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Pure Carrière est un binôme singulier formé de Laurence Gauthier-Brown et de Jean-Michel Letendre-Veilleux. Ces intrépides et vaillants créateurs de Québec mènent de front différents projets – notamment Beat Sexü pour J.-M. et Victime pour Laurence –, comme nombre de leurs collègues musiciens en cette ère précaire. La musique de Pure Carrière échappe aux clichés du rock indé expérimental (cette affirmation en est un, de cliché, ce qui la rend ironique mais pas moins vraie) en ce sens qu’elle est bien réfléchie, riche et édifiante : on est loin, fort loin d’une patente à gosse où des adulescents divaguent en bizounant sur de vieux synthés. L’album Eterna 83, lancé plus tôt cette année, le démontre éloquemment, à coups de violoncelle, de clarinette, de chœurs grecs et ainsi de suite. Pan M 360 a posé quelques questions à Laurence et Jean-Michel, qui y ont répondu généreusement.
Pan M 360 : Tout d’abord, merci de vous prêter à cette entrevue et félicitations pour votre fort goûteux album Eterna 83. Vous menez plusieurs projets de front; croyez-vous que Pure Carrière prendra davantage de place dans vos horaires respectifs?
Jean-Michel : J’ai vraiment envie de sauter dans le vide et de donner plus de temps au projet, c’est un projet qui me rend vraiment heureux et fier, en même temps ça m’a pris beaucoup d’années pour donner une chance à cette partie de moi qui est investie dans ce projet.
Laurence : En fait, depuis la pandémie, tous mes projets sont au même stade de priorité. Ce qui fait que rien n’est à 100 % non plus. En ce moment, je ne refuse rien de ce qui se présente à Pure Carrière. Mais la musique étant ce qu’elle est, c’est plutôt difficile de se concentrer sur un seul projet.
Pan M 360 : Il y a des trucs épeurants dans certaines de vos chansons. Les chœurs dans Bum originel (Vox Eterna), par exemple, ça m’évoque – entre autres – la musique du générique d’ouverture de « The Shining » (qui, on s’en souviendra, consiste de la portion Songe d’une nuit du sabbat de la Symphonie fantastique de Berlioz, passée dans les synthés de Wendy Carlos. Vous aimez écouter des trucs qui font peur, volontairement ou pas, comme Throbbing Gristle ou des chants grégoriens?
Pure Carrière : On ne considère pas que c’est des trucs qui font peur. Selon nous, c’est plus de la musique avec laquelle on n’est pas souvent en contact et c’est ça qui fait peur. Une fois qu’on s’accoutume à ces différents styles, on y découvre des richesses dont la musique pop gagne à s’enrichir. Parlant de vieille musique, quand on écoute Allegez Moy de Josquin Desprès, c’est dur d’imaginer en écoutant la musique grave que la toune parle d’un dude qui veut se faire crosser, pourtant dans les années 1500, le monde ne reliait pas les modes majeurs à de la musique heureuse, puis le mode mineur à de la musique triste, et ils trouvaient la toune très drôle. C’est quelque chose que le public a acquis avec le temps, mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas vivre des trucs heureux en écoutant du Penderecki, par exemple. Plus on arrive à mélanger des références qui nous font buzzer, plus on trippe, et ce, indépendamment de l’émotion qui est généralement ressentie par le public en lien avec ces styles musicaux. Mais clairement, Berlioz, Wendy Carlos, Throbbing et les chants grégoriens sont des trucs qu’on aime.
Pan M 360 : Azraël, c’est la première pièce d’Eterna 83, mais c’est également un ange pas gentil du tout dans tout un tas de traditions religieuses (et c’est aussi le très méchant chat de Gargamel dans les Schtroumpfs). De fait, dans la chanson, le narrateur incite le héros ou l’héroïne à revirer la Mort (Azraël) de bord. L’auditeur peut saisir un message très grave, dans cette toune aux abords désinvoltes : on ne badine pas avec la vie.
Pure Carrière : Ça nous arrive à tous d’être morts de l’intérieur parce qu’on abandonne la bataille en dedans de nous, parce que ça fait un bout qu’on ne s’est pas garroché par la fenêtre (la fenêtre artistique), sans prendre le temps de voir où ça allait nous mener. La pièce se veut plus un encouragement à rester dans l’inconnu et l’inconfort, afin de proposer un dialogue pertinent avec les autres.
Pan M 360 : Vos chansons comportent généralement plusieurs couches de stock. Kyrié Gros Parté, c’est la tradition catholique sur des rythmes tropicaux avec un solo de guitare dément. D’où vous vient ce désir de complexité?
Pure carrière : Il n’y avait pas vraiment un désir de faire de quoi de complexe, mais plutôt de créer des alliages homogènes entre les influences qui nous ont formés, indépendamment des barrières entre les styles. Il y avait aussi un besoin de s’assumer dans le contexte de la musique Québ et d’y apporter quelque chose qu’on considérait comme pertinent, sans égards au succès que ça allait avoir. Souvent, quand on sentait qu’on aurait trippé à écouter ça quand on était ados, on se disait qu’on était sur la bonne voie. On avait besoin de sentir que la musique nous validait, avant de se demander si on pognerait une tournée ROSEQ avec ça (rires). On a davantage pensé à ce que chaque pièce avait besoin, avec le temps les différentes couches d’idées ont créé l’album. Parlant aussi de la symphonie fantastique de Berlioz, dans le cinquième mouvement, on peut entendre la mélodie du Dies Iræ. Ce n’est pas lui qui a composé ça, ça date du moyen-âge. C’est pas loin de 300 ou 400 ans de différence, Berlioz et le moyen-âge. On est fasciné par le fait que certaines mélodies et certains thèmes aient traversé les âges par le savoir humain, et on aimait l’idée de contribuer à ça en apprêtant le Kyrie et le Libera me à notre sauce.
Pan M 360 : Votre esthétique est fascinante, vous passez du psych-folk de chambre (Azraël) au grunge sériel (Ménage Magique) au punk crotté (Né fucké) au chant sacré (Kyrié Gros Parté) au prog mélodique (Fièvre) au lo-fi 2.0 (Bolero) à l’ambient industriel (Splice 22283), notamment. D’où vient ce désir de ratisser large?
Pure Carrière : On suivait plus des images, des sentiments, des envies soudaines que des styles. Quand ça nous parlait, on suivait la vibe et c’est tout. On se disait que ce serait un album qui passe ou qui casse, mais qui ne laisse clairement pas indifférent. Il y a quelque chose de vraiment enfantin dans notre façon de faire. L’autre fois ma blonde travaillait avec un enfant. Elle lui demande comment son toutou s’appelle. Il répond « Planète Autobus Rouge »! Pour lui, ce n’est pas compliqué c’est du genre « J’aime mon toutou, j’aime les planètes, j’aime les autobus, j’aime la couleur rouge, pourquoi je crisserais pas tout ça ensemble »? J’étais genre « Shit, c’est exactement ça qu’il faut faire! Mettre les trucs qui nous font tripper ensemble sans réfléchir et voir si ça nous parle ou pas ». On pense que ça a marché comme technique, pour cet album.
Pan M 360 : J’ai manqué votre prestation au Coup de cœur francophone, je compte me reprendre à M pour Montréal. Serez-vous en configuration duo ou y aura-t-il une tonne de musiciens sur scène avec vous? Qui va jouer de la clarinette basse?
Pure Carrière : On est 5 sur scène, quand l’horaire le permet et les cachets on essaie d’avoir Alex Dodier pour la clarinette basse. On avait insisté pour qu’il souffle dans le registre du chalumeau de l’instrument, parce que c’est vraiment beau comme timbre. Mais sinon, c’est Odile Marmet Rochefort qui assure le solo. On aime beaucoup travailler sa voix comme un instrument de musique au même titre qu’un synthé, un cuivre ou d’autres instruments monodiques. L’autre fois, elle avait oublié ses percussions alors elle les a chantés et on trippait. On aime imaginer que le projet est plus un orchestre de chambre qu’un band. En plus, on est en phase quand nos grands-parents nous disent « Pis comment va ton orchestre »?
Pan M 360 : Merci Pure Carrière, poursuivez votre œuvre fascinante!
Pure Carrière : Merci d’avoir pris le temps de poser des questions pertinentes 🙂 C’est apprécié (no joke).
Illustration : Kaël Mercader
Pure Carrière sera à M pour Montréal le vendredi 19 novembre avec Choses Sauvages, Bleu Nuit et Yoo Doo Right au Ministère, de 14 h 30 à 16 h.