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On l’a connu avec ses nombreux albums, EP, remixes et productions ou encore lors de ses populaires soirées Karnival, Bounce le gros, Sud-West et plus récemment Qualité de luxe… Depuis 20 ans, Ghislain Poirier nous amène avec lui dans ses valises. Sa musique est à l’image de Montréal, cosmopolite, bigarrée, multiculturelle et très souvent festive. Avec Soft Power, son 11e et tout nouvel album, Poirier se veut encore plus rassembleur. Ici, tout est question d’équilibre et de délicatesse sans pourtant s’éloigner de la piste de danse. PAN M 360 est allé à la rencontre du plus groovy des agents de voyage.
PAN M 360 : Avec ton premier album Il n’y a pas de Sud paru en 2001, ça va bientôt faire vingt ans que tu fais de la musique, et pourtant, c’est comme si c’était hier…
Poirier : (il rigole) Tu as remarqué ça, hein ? Je me demande si y’a beaucoup de monde qui sait ça. Même moi, j’ai du mal à y croire. Ça a passé vite. Quand j’ai commencé à faire de la musique, juste de terminer une pièce était un petit miracle car je n’aurais jamais pensé être capable de me rendre au bout. C’était un rêve. La musique était pour moi une sorte d’éden créatif que je n’arrivais pas à atteindre. Mais quand j’ai commencé à composer une chanson, j’ai réalisé que j’étais capable de créer de la musique. Et à chaque album ou chanson que je réalise, je suis encore étonné d’être capable de faire ça. Là, je regarde le disque que je sors aujourd’hui et, 20 ans plus tard, je suis toujours aussi fasciné par ce que j’arrive à accomplir.
PAN M 360 : Ce qui nous amène à ton 11e album, Soft Power, un disque étonnant, beaucoup plus proche de la chanson que du brûlot pour pistes de danse. Un mot sur la conception?
Poirier : Je voulais clairement faire quelque chose de plus pausé, de plus relax. J’avais le goût de recentrer ma musique vers un format plus « chanson », établir la juste balance entre quelque chose que tu peux écouter tranquille chez toi mais qui te feras danser si tu l’entends plus fort dans une fête. Donc, je voulais explorer et bien maîtriser cette zone entre le dancefloor et la chanson. Je tenais à me positionner entre les deux mais je voulais surtout que cet album s’écoute bien; je cherchais à donner plus de délicatesse à ma musique, donc pour moi cela a été surtout un véritable travail de retenue, soit dans le mix des sons, soit dans la structure des chansons. Je crois encore au format d’un album, je crois encore qu’un artiste puisse nous amener dans un voyage de 40, 50, 60 minutes.
PAN M 360 : Soft Power est un album assez diversifié, sur lequel on retrouve plusieurs collaborateurs et invités. Tu as mis du temps pour y arriver ?
Poirier : Ça m’a pris entre deux ans et deux ans et demi. Parce que ce n’est pas le genre de disque que tu peux faire en t’isolant deux semaines dans un chalet. Ça s’est échelonné sur plusieurs mois, au fil des rencontres, et aussi au fil de mon propre cheminement créatif et artistique. Y’a des chansons qui ont pris du temps à germer et à maturer. Plus j’avançais, plus ça se précisait. Car des fois on se fixe un but mais on manque de focus, donc ça prend un certain temps avant de se recentrer. Donc, oui, ça m’a demandé beaucoup de travail, mais c’est, au final, exactement l’album que j’avais envie d’entendre et je suis bien content!
PAN M 360 : Flavia Coelho, Flavia Nascimento, Boogat, Daby Touré, Mélissa Laveaux, Coralie Hérard, Red Fox, Samito… Il y a presque autant de collaborateurs qu’il y a de chansons sur ce disque. Comment les as-tu choisis?
Poirier : Il y a des collaborateurs pour les voix, mais y’a aussi des musiciens d’impliqués. Il y a plein de monde. Ça se fait au gré des rencontres et selon les chansons. Des fois, c’est tout à fait par hasard. Mais j’aime bien avoir une bonne base à Montréal au niveau des gens avec qui je collabore, bien qu’il y ait quelques artistes étrangers là-dessus. Il n’y a pas de science par rapport aux gens avec qui je travaille. Des fois, ce sont des gens avec qui j’ai envie de travailler et le timing est bon, des fois il ne l’est pas, ou alors ce que je leur propose ne les inspire pas. Donc, c’est souvent un processus assez instinctif, je dirais.
« Soft Power est un disque qui fait le pont entre les genres et les époques, c’est aussi un disque qui fait le pont entre les communautés. Un peu comme si je montrais le visage du Québec actuel, comment je le vois, comment je le vis ».
PAN M 360 : Sur le disque, ça part dans toutes sortes de directions. On te savait attiré par la grande famille du soca et du dancehall, mais là tu touches à la musique latine, brésilienne, celle du Mozambique, de l’Afrique de l’Ouest, du Mexique… Parles-nous un peu de ce tour du monde.
Poirier : Je voulais faire non seulement un tour du monde stylistique mais aussi un tour d’époques. Je voulais que ce disque soit intemporel. Y’a des tracks là-dessus qui auraient pu être faites il y a 10, 15 ou 20 ans, comme elles auraient pu être faites aujourd’hui et même dans 20 ans! Je voulais trouver une sorte d’équilibre entre les époques et les styles pour que tout ça s’inscrive dans une sorte de grande conversation musicale. Mais en même temps, je ne voulais pas ignorer ce qui se passe aujourd’hui. Mon but, et ça, l’avenir me dira si je me suis planté ou non, est que ces chansons puissent parler autant à des gens qui connaissent super bien la musique et les références que j’utilise tout autant qu’à des gens qui n’ont pas les mêmes références, même peut-être aucune référence, mais que tout ça leur parle quand même. Et aussi que cela parle à plusieurs générations. C’est ce qui m’a amené par exemple à collaborer avec des guitaristes, à mettre plus de mélodies sur mes bases rythmiques.
PAN M 360 : Dirais-tu que c’est ton disque le plus organique ?
Poirier : Oui, certainement. Il y a un mélange d’acoustique et d’électronique mais j’ai essayé de faire ça de manière subtile, que ce ne soit pas trop évident, tape-à-l’œil. Je voulais qu’il y ait quelque chose de naturel comme mélange. Je voulais une sorte de chaleur. Et je tenais à ce que les voix soient à l’avant-plan.
PAN M 360 : Et si on devait cataloguer ce disque, on le mettrait où ?
Poirier : Je ne vois pas ce disque comme étant du courant global bass, bien que ça risque de parler à des gens qui suivent ce courant. Je le vois plutôt dans la catégorie chanson, un disque très montréalais, avec des artistes de toutes sortes d’origines mais foncièrement québécois. C’est un disque très mondial dans son ouverture, ceci dit. Et ça, c’est ce que je cherche à faire depuis mes débuts en 2001, c’est-à-dire être dans une sorte de conversation musicale mondiale. Cela a toujours été très important pour moi. Donc avec ce disque, je pense que c’est encore plus probant. On pourrait presque dire que c’est de la pop sans frontières. C’est un cross-over de plein de styles. J’ai joué un peu partout, Afrique, Haïti, Cuba, Éthiopie, Dakar, Cap-Vert, Mayotte, Île de la Réunion, Europe… Je veux que cet album parle à beaucoup de gens, mais je n’ai pas fait beaucoup de compromis pour y arriver.
PAN M 360 : Comment comptes-tu promouvoir l’album en ces temps incertains ?
Poirier : On fait comme on peut. C’est un moment difficile mais la musique circule toujours et il était hors de question pour moi et le label de retarder la sortie de l’album; il est prêt depuis février. Je ne vais pas jouer dans un futur immédiat et si je dois attendre encore jusqu’en 2021, j’attendrai. Car je n’ai pas l’intention de faire un truc live sur le web non plus. Je n’ai pas fait un disque lié à une mode précise et actuelle, il est plus intemporel. Ça ne m’inquiète pas.
PAN M 360 : Après 20 ans dans la musique, qu’est-ce qui t’allume toujours?
Poirier : J’ai toujours aimé la beauté de l’art pour l’art, que la beauté de l’art puisse se suffire. J’aime à penser qu’il y a des statements dans les disques que j’ai faits. En 2003, j’ai fait Beats As Politics, j’ai fait Conflits, j’ai eu le projet Boundary aussi… Je pense que Soft Power s’inscrit dans le même ordre d’idée. C’est une sorte de force tranquille de l’art et de la musique qui peut, j’espère, changer les mœurs ou à tout le moins les influencer positivement. Car on pourrait dire que c’est vraiment un disque du « vivre ensemble ». Tout comme c’est un disque qui fait le pont entre les genres et les époques, c’est aussi un disque qui fait le pont entre les communautés. Un peu comme si je montrais le visage du Québec actuel, comment je le vois, comment je le vis. Ce disque, c’est un statement musical et social.