Chilly Gonzales & Plastikman : 1 + 1 = 3

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : électronique / pop instrumentale

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D’entrée de jeu, la rencontre de Richie Hawtin alias Plastikman et de Chilly Gonzales, soit deux artistes canadiens de réputation internationale, était improbable.  Les deux se connaissaient de réputation mais leurs mondes créatifs, l’un électronique et l’autre (surtout) instrumental, n’étaient pas concomitants. Or, grâce à Tiga, autre pointure d’ici connue mondialement, la rencontre eut lieu et fut parfaitement concluante. Sous étiquette Turbo, Consumed In Key s’avère une authentique synergie entre Plastikman et Gonzales, chacune des expressions s’y voit magnifiée, revivifiée, et devient un facteur de relance créative pour ces deux musiciens hautement prolifiques comme on le sait.

PAN M 360 a voulu en savoir plus long sur cette collaboration, Richie Hawtin a répondu à nos questions en toute générosité.

PAN M 360 : Entre Richie Hawtin / Plastikman et Chilly Gonzales, la rencontre s’avère  visiblement fructueuse. Quelles sont vos propres impressions du résultat? 

RICHIE HAWTIN : Nous sommes heureux et fiers du résultat. D’une certaine manière, c’était une garantie, parce que je pense, vous savez, que vous mettez deux personnes concentrées et talentueuses ensemble qui ont leurs propres identités. La seule chose qui aurait pu se mettre en travers, ç’aurait été l’égo de chacun. Et, vous savez,  quand Tiga m’a contacté pendant la pandémie et m’a dit que Chilly avait commencé à travailler sur cette idée et avait fait trois maquettes, j’ai été rébarbatif. Comment quelqu’un d’autre pouvait penser à un projet comme Consumed in Key? Que pourrait-il y ajouter? Bien sûr,  Chilly est un musicien très connu et respecté. Mais je ne le connaissais pas, je ne savais rien de lui. Or, puisque Tiga a été un grand supporter de Plastikman depuis les premiers jours, il devait bien y avoir quelque chose dans cette idée de collaboration. Et donc j’ai écouté les maquettes et je n’étais toujours pas convaincu, probablement parce que je ne suis pas un fan authentique de musique acoustique.

PAN M 360 : On observe que les ajouts de musique acoustique dans les projets électroniques sont souvent superficiels, sans substance. La plupart du temps, quand nous voyons une inclusion d’instrumentaux du point de vue électronique, c’est souvent moyen, parce que les musiciens  conviés ne sont pas à un  haut niveau, et aussi parce que les musiciens électroniques ne connaissent pas beaucoup la musique acoustique ou instrumentale. 

RICHIE HAWTIN : Oui.  Donc j’ai pensé que oui c’était intéressant et que nous devrions faire ce projet, à la condition que je sois en mesure de contrôler le mixage final. J’avais l’impression que Chilly abordait l’album de son propre point de vue, un point de vue très distinct et je ne voulais pas m’éterniser dans une conversation sur les pour et les contre de l’impact  potentiel de ce produit. Donc je pense que l’une des meilleures décisions a été de laisser ça comme ça et de permettre à Chilly d’approcher cette œuvre comme il l’interprète, et de le laisser aller avec tout ça. Et c’est ce que nous avons fait. Et donc je pense que la collaboration réside dans la collaboration de Chilly avec mon fantôme, notre dialogue résidait à ce que  nous faisions musicalement. Donc il a appris à me connaître  en composant ses premières pièces. Quand il me les a envoyées, j’ai fait de même de mon côté, j’ai dû réfléchir à la manière d’intégrer son travail.  Et ce fut un très long voyage pour moi, il y a eu, je pense, près d’une centaine de versions de la  finale.

PAN M 360 : On comprend que Tiga était intermédiaire entre vous et Chilly Gonzales.

RICHIE HAWTIN :  Nous étions tous deux amis de TIGA. Chilly lui avait mentionné qu’il avait composé quelque chose et que je pouvais y être réceptif. Tiga a un sens aigu du timing et il devint pour Chilly le traducteur de mes pensées créatives, sachant que cette collaboration était possible et qu’elle pouvait nous mener plus loin. Il fut en quelque sorte le producteur exécutif de ce projet, au vrai sens de l’expression car il fut vraiment impliqué dans l’échange Chilly et moi-même.

PAN M 360 : Pouvez-vous nous expliquer la méthode de travail?

RICHIE HAWTIN : Bien sûr. Des morceaux me parvenaient via Tiga, au fur et à mesure que Chilly terminait chaque piste. Je renvoyais alors quelques informations à Tiga, qu’il transmettait à Chilly. Et nous arrivions à un point où le travail du Chili était fait, jusqu’à ce qu’il soit entièrement satisfait de ce qu’il avait accompli. Méthodiquement, j’ai alors commencé à parcourir l’enregistrement du début à la fin, car il faut bien comprendre que cet album doit être consommé du début à la fin, dans un ordre assez proche de la première version de travail. Au fur et à mesure que je me suis investi dans ce projet, je suis devenu plus sensible à la compréhension des pièces composées par Chilly. Et les morceaux ont commencé à  se préciser, à se rapprocher les uns des autres. Pendant un moment, je me suis dit, ok, peut-être qu’à la fin, je devrais revenir en arrière maintenant et avoir une discussion avec Chilly. Et finalement, non. C’était une danse que nous avions ensemble à distance, une sorte de romance artistique entre deux approches.  La beauté de ça, en fait, c’est l’intimité d’un pianiste seul dans son studio et moi seul avec cette musique de piano dans mon studio. Ça devient alors quelque chose de vraiment unique. Cette façon de faire nous a permis de vivre chacun nos moments créatifs et nos moments d’affirmation de nos egos respectifs, pour ainsi mettre nos travaux en phase à la fin.


PAN M 360 : Il y a eu un va-et-vient, donc, dans le contexte une relation virtuelle.

RICHIE HAWTIN : Ce fut virtuel jusqu’au mixage final. Pendant des mois, je n’ai pas eu un seul appel téléphonique direct de sa part, toutes les informations transitaient par Tiga. Et je n’ai rencontré Chilly en personne qu’en décembre dernier, lorsque nous avons tourné la première vidéo de promotion et donné notre première interview. C’est aussi ce qui m’a séduit dans ce projet non conventionnel, ça fait partie de son charme. 

PAN M 360 : C’est un vrai défi que de réussir ce mélange avec le piano et l’électronique. Ça peut aisément déraper dans le new age à bon marché, alors que nous avons ici un projet substantiel au bout du compte. Ça permet à chacun d’offrir une nouvelle facette de son travail.

RICHIE HAWTIN :  Et Chilly vous dirait possiblement qu’il a entendu quelque chose dans ce projet qui l’a mis au défi, parce que ça allait à l’encontre de son éducation musicale. Nous aurions pu en parler mais nous ne l’avons pas fait. De mon côté, j’étais vraiment à la recherche d’une nouvelle inspiration, je lisais alors des biographies de musiciens jazz, tel Miles Davis. Bien que Consumed in Key ne devait pas être un album de jazz électronique, il y avait cette idée de laisser de l’espace entre les notes, comme dans la musique de Miles Davis. Chilly a aussi ressenti cela. Je pense donc que pour lui, c’était un défi qui l’a poussé à s’asseoir au piano, en se demandant comment négocier avec le silence. Une fois qu’il me faisait parvenir son travail, je devais aussi me demander comment y répondre avec cette approche ouverte.

PAN M 360 : De votre propre point de vue, qu’avez-vous accompli ? Comment cela a-t-il changé votre propre pratique ?

RICHIE HAWTIN :  Je me suis connecté à la beauté d’un flux organique, et j’ai réalisé combien il est important de faire confiance à son instinct. Vous savez, plus vous avancez dans votre carrière, plus vous utilisez la technologie et ceci et cela. Et plus vous le faites, plus  de gens savent ce que vous faites…  un bruit s’installe autour de vous, vous pouvez perdre le fil… Ce travail avec Chilly m’a permis d’être à nouveau intime avec moi-même artistiquement, tenir le miroir très, très, très proche de mon travail et l’affiner. Bien sûr, on ne se change pas soi-même fondamentalement mais,  parfois, de nouveaux flashs peuvent se produire. Et c’est ce qui s’est produit. J’ai senti ce quelque chose de vraiment spécial en faisant confiance à mon intuition, en acceptant de voir où cela me mènerait. Ainsi, après tant d’années, la musique électronique continue à me surprendre, à me défier et à m’inspirer. 

PAN M 360 : Cette matière pourrait-elle être transposée sur scène dans un avenir proche ?

RICHIE HAWTIN : Je ne pense pas. Ce n’est pas un problème de créativité, c’est un problème d’horaire, aussi banal que cela puisse paraître. Cela dit, nous sommes très, très fiers et satisfaits de la façon dont cela a tourné, et si quelque chose d’autre de stimulant surgit de cette collaboration, eh bien nous verrons bien où cela nous mènera. Pour l’instant, en tout cas je me sens vraiment bien. C’est beau quand j’écoute cet enregistrement, c’est beau quand je vois des gens l’entendre pour la première fois.

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