Piknic Electronik : Fred Everything, succès et projets en effervescence

Entrevue réalisée par Elsa Fortant

Pionnier de la scène électronique québécoise, Fred Everything alias Frédéric Blais a connu le succès tant à l’échelle internationale que locale. Sa carrière de producteur, DJ et gestionnaire du label Lazy Days Recordings s’étale sur plus de deux décennies. Ses DJ sets, sa discographie – il a été crédité sur plus de 250 productions et a collaboré avec de grands noms – révèlent l’étendue de son talent et de son rôle charnière pour la scène. Avec une nomination aux Junos 2023 pour la catégorie Single dance underground de l’année, plusieurs albums dans les cartons et un DJ set au Piknic Electronik ce dimanche 9 juillet, on peut déjà affirmer que 2023 se place sous le signe du prolifique.

Vous pouvez retrouver Fred Everything sur la scène Fizz, en ouverture de l’ambassadeur de la deep house de la côte Est américaine Kerri Chandler. À quelques semaines de son passage, PAN M 360 s’est entretenu avec lui pour discuter les différentes facettes de son parcours d’artiste inarrêtable.  

PAN M 360 : Si vous deviez résumer la bande musicale de votre enfance et de votre adolescence, par quoi commenceriez-vous ?

Fred Everything : Mon éducation s’est faite par la radio. Ce qui m’intéressait particulièrement, ce sont les sonorités électroniques. Dès les années 1980, on pouvait trouver des éléments tels que les drum machines, les vocoders et les synthétiseurs. Des artistes comme Human League et Eddy Grant avec « Electric Avenue » utilisaient ces sonorités et effets, même si leur musique n’était pas strictement électronique. David Bowie, lui aussi, utilisait la technologie d’une manière différente, notamment en travaillant avec son producteur Brian Eno. La musique était définitivement influencée par la technologie. Personnellement, j’ai été plus attiré par la musique alternative qui comportait également de nombreux éléments électroniques. Je pense à des groupes comme New Order, Depeche Mode, The Smiths et The Cure. New Order en particulier a réussi à rendre la musique dance plus cool en s’inspirant de différentes influences. C’était un groupe issu d’un univers un peu plus sombre et gothique avec Joy Division, puis ils ont soudainement adopté un style disco influencé par le mouvement acid house. Quand je regarde ce que j’ai aimé, je réalise que la dance music m’a influencé dès le début.

PAN M 360 : Vous avez rapidement commencé à fréquenter les clubs ?

Fred Everything : J’ai fréquenté les clubs très jeune, avant même d’avoir l’âge d’y entrer légalement. Ils ont toujours été présents dans ma vie et représentaient pour moi un espace particulier, un peu comme un safe space, bien que le terme n’était pas utilisé à l’époque. C’était là que je me sentais à ma place. Même si je n’avais pas assez d’argent pour me permettre ne serait-ce qu’un verre, ce n’était pas cela qui m’attirait. Ce qui m’intéressait avant tout, c’était la musique. Je me suis rapidement lié d’amitié avec des DJ à Québec. Comme j’ai toujours fait de la musique, dès que je me suis intéressé plus à la musique house et techno, il fallait que je trouve un moyen d’en faire. C’était aussi l’attrait de pouvoir faire ça seul.

PAN M 360 : Avez-vous tout de suite commencé à composer de la musique électronique ?

Fred Everything : J’étais dans des groupes, on était hybride, c’était un peu à la, justement, je reviens encore sur New Order, mais c’est parce que c’était un modèle pour plein de groupes. À cette époque, il y avait également le groupe Handful of Snowdrops à Québec, qui était influencé par ces mêmes courants. Leur musique était à la fois électronique et comportait des instruments, notamment des voix et de la basse. Quand j’ai commencé à faire la musique seul, c’était carrément juste des machines.

PAN M 360 : À quoi ressemblait le paysage des clubs à Québec ?

Fred Everything : C’était assez minuscule, on se retrouvait dans un endroit qui s’appelait L’Express de minuit, qu’on surnommait le Midnight. Au niveau des événements, c’est plutôt nous qui les avons organisés. Quand je dis nous, j’étais un peu impliqué, mais il y avait d’autres gens, les DJ et on était directement influencés par ce qui se passait à Montréal. Au départ, on était influencés par l’Angleterre, ce qu’on voyait dans les magazines. Ensuite, c’est quand on a commencé à aller à Montréal qu’on a vraiment eu une autre influence. En 1993, il y a eu un événement fort à Montréal qui s’appelait Solstice et qui a vraiment tout changé, c’était un peu comme le premier gros rave de Montréal. C’était dans un ancien musée, il y avait des artistes d’un peu partout dans le monde, plusieurs salles, une plus techno hardcore, une salle progressive house qui serait un peu le deep house de de nos jours et un espace chill out.

PAN M 360 : Vous avez commencé par produire avant d’être DJ, on voit plus souvent le chemin inverse.

Fred Everything : J’ai commencé par des cours de piano, j’étais pas très assidu et on n’avait pas de piano donc j’ai jamais été un grand musicien. Mais le désir de de créer, de savoir comment les choses se font était toujours assez présent pour moi. J’étais adolescent quand j’ai vraiment commencé à comprendre ce qu’était la culture DJ. Dans les années 1980, acheter des disques coûtait cher, on achetait un 12 pouces pour 15$ et ils étaient très difficiles à trouver. Je préférais prendre mon argent et m’acheter un synthétiseur ou une machine. 

Le DJing est arrivé après avoir fait le circuit des raves à Québec et à Montréal avec le live et à un moment donné je me ramassais avec des sets qui étaient très courts, des cachets qui étaient moindres que les DJ et une logistique qui était plus compliquée. À un moment donné, je me suis dit que j’allais garder les machines à la maison, puis commencer à faire DJ.

PAN M 360 : Est-ce que créer son propre label était une suite logique ?

Fred Everything : Oui, c’est arrivé beaucoup plus tard, en 2005. Disons que j’ai commencé à vraiment à sortir de la musique pour vrai à peu près en 1995 donc il y a eu 10 ans qui se sont écoulés. J’ai été chanceux de travailler avec des maisons de disques qui étaient qui m’ont aidé, entre autres 20:20 Vision, Om Records. J’étais dans une zone qui était assez confortable, puis je dirais que je début de ma carrière a été assez intéressant. J’étais un des seuls sinon le seul de Montréal à faire de la musique électronique, à sortir des disques et tout ça. Il y avait beaucoup d’attention sur moi et à un moment donné tu évolues aussi musicalement, il y a des choses que tu veux faire et ça ne s’aligne pas toujours avec les étiquettes de disque. C’était clair qu’il fallait que je devienne indépendant et que je parte ma maison de disque. C’est toujours resté une petite entreprise basée sur les relations personnelles.

PAN M 360 : Est-ce qu’il y a eu des collaborations importantes pour vous sur Lazy Days Recordings ?

Fred Everything : Une personne qui est très importante dans ma vie personnelle et professionnelle, c’est Atjazz, Martin Iveson, qui est un ami de longue date. On se connaît depuis 1998 donc on a collaboré énormément, entre autres sur le label. Dans les artistes qui ont beaucoup sorti avec nous, il y a entre autres Shur-I-Kan, Ludovic Lorca, qui maintenant opère sous le nom Art of Tones. Ça serait quelques exemples mais il y a eu quand même beaucoup de personnes qui sont passées sur le label depuis 2005, ça va faire bientôt 20 ans. 

PAN M 360 : Quels ont été les défis que vous avez vécu avec la gestion du label ?

Fred Everything : On a commencé quand on était sur la fin du gros buzz du vinyle, c’était le début du digital. La première sortie qu’on a fait était un remix de Trentemoller donc c’était vraiment un gros release et on a vendu 4000 vinyles, si tu regardes ça maintenant, c’est énorme. On a migré vers le digital, les sites qui ont commencé à apparaître, Tracksource, Beatport, et tout d’un coup c’était plus la même chose. Quand on faisait du vinyle, il y avait moyen d’avoir un profit un peu plus intéressant, à chaque morceau qui était vendu on avait quand même quelques dollars. Tandis qu’avec le digital, tout de suite on est arrivé avec un modèle qui était piratable et après les profits commençaient à baisser, donc oui, ça a été directement un défi et surtout quand tu commences sur une grosse note. Je dois dire franchement que j’ai appris sur le tas. 

PAN M 360 : Votre carrière est très internationale

Fred Everything : Oui, j’ai toujours été concentré plus sur l’international et drôlement en ce moment dans ma carrière, je suis un peu plus concentré sur le local depuis que je suis revenu à Montréal. J’ai habité entre autres à Londres en 1999, ensuite j’ai habité à San Francisco de de 2007 à 2015. Ce qui devait être un séjour de peut-être 2 ans s’est transformé en 8 ans. J’avais un historique avec San Francisco, c’était la première place ou j’étais allé DJ en dehors du Canada.

PAN M 360 : Vous avez plusieurs albums à votre actif, c’est un format parfois sous-exploité dans les musiques électroniques de danse

Fred Everything : Je pense que le format album est pertinent, il est là pour rester. Ça me donne une opportunité de m’exprimer dans toutes sortes de tempo ou de style qui ne serait pas nécessairement possible avec le format single. 

PAN M 360 : Votre prochain album doit sortir cet automne, est-ce-que vous voulez nous en dire quelques mots ? 

Fred Everything : C’est mon album le plus personnel. Je ne suis pas encore à lancer tout ça mais j’ai très hâte parce que j’ai l’impression que c’est beaucoup de choses que je n’avais pas encore exprimées, du côté de la pandémie et post-pandémie. C’est assez positif comme album, c’est tourné vers les valeurs qui me qui me tiennent à cœur. Il s’appellera Love, Care, Kindness & Hope et sortira cet automne sur mon label Lazy Days Recordings. J’ai aussi un autre album ambient sous mon pseudonyme All Is Well, A Break In Time qui sortira sur Compost fin 2023. Il sera possible de l’écouter en Dolby Atmos dans la salle Habitat Sonore du Centre Phi à la sortie. Je prépare aussi un album en collaboration avec Atjazz pour 2024.

PAN M 360 : À ce stade de votre carrière, ressentez-vous une tension entre votre créativité, les attentes du public et le besoin de se renouveler ?

Fred Everything : Je mentirais si je disais non, mais de moins en moins. J’ai l’impression que la meilleure façon de ne pas plaire, c’est en essayant justement de plaire. Je pense que le public, les gens en général ont besoin de quelque chose d’honnête et d’authentique. Surtout dans un monde, où on est absolument bombardé de musique. On n’a pas besoin de choses qui qui ressemblent à d’autres choses. Avec l’intelligence artificielle ça fait des années que j’entends des choses et que je me dis mais ça peut être un algorithme qui a fait cette musique parce qu’elle est prévisible, il manque une voix honnête. J’aime mieux présenter une musique qui peut avoir moins de succès, qui va être moins prévisible et peut-être que les gens n’aimeront pas, mais au moins ce sera ce que j’ai vraiment envie de dire et ce avec quoi je peux vivre le reste de ma vie. 

PAN M 360 : Est-ce que jouer au Piknic Electronik a une signification particulière pour vous ?

Fred Everything : J’ai joué au deuxième Piknic à vie, on était une cinquantaine, c’était vraiment hyper communautaire et ce jour-là, il y a eu une tempête. On était en dessous du Calder, les pieds dans l’eau, avec des fils qui traînaient avec les éclairs, on tenait la tente qui servait de DJ booth. Maintenant c’est un gros événement et c’est toujours un plaisir pour moi de le faire. Non seulement l’événement, mais de faire l’ouverture de Kerri Chandler pour moi c’est quelque chose de gros. C’est un artiste que je suis depuis très longtemps et qui m’avait été introduit par un très bon ami à moi qui n’est plus malheureusement, donc c’est une grosse signification. J’ai sorti quelque chose sur son label, on s’est rencontré quelques fois, pour moi c’est un immense honneur. 

BILLETS PIKNIC ÉLECTRONIK MTL #8: KERRI CHANDLER / INTERPLANETARY CRIMINAL

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