Orchestre symphonique de Laval | Âmes slaves, entre tragédie et lumière

Entrevue réalisée par Alexandre Villemaire
Genres et styles : classique / période romantique

renseignements supplémentaires

crédit photo de Thomas Le Duc-Morau: Antoine Saito

L’Orchestre symphonique de Laval donnera le coup d’envoi de sa saison 2023-2024 à la Salle André-Mathieu. La tâche de diriger ce premier concert a été confiée à Thomas Le Duc-Moreau, étoile montante de la nouvelle génération de chefs d’orchestre. Il sera le premier d’une série de chefs renommés avec Andrew Crust, Julien Proulx, Jacques Lacombe, Jean-Michel Malouf, Simon Rivard et Naomi Woo qui viendront diriger l’ensemble lavallois, sans direction musicale permanente depuis le départ en 2022 d’Alain Trudel.

Formé au Conservatoire de Montréal auprès de Jacques Lacombe, le parcours de Thomas Le Duc-Moreau est déjà bien rempli, alors qu’il est le plus jeune artiste de l’histoire de l’Orchestre symphonique de Montréal à avoir été nommé chef assistant de 2019 à 2021. Il a occupé des fonctions similaires auprès des orchestres de Trois-Rivières de Québec et a été chef invité en Ontario et en Europe, notamment à Bonn et à Prague.

Soliste invité pour la soirée, le pianiste d’origine ukrainienne Serhiy Salov n’est plus à présenter. Récipiendaire de nombreux prix notamment au Concours musical international de Montréal (2004; 2014), il s’est aussi fait connaître pour son implication humanitaire dans le conflit russo-ukrainien.

Nous avons eu une discussion croisée avec ces protagonistes à propos du programme du concert. La voici !

PAN M 360 : Parlez-nous un peu du répertoire que vous allez interpréter avec l’OSL, un programme tout slave. D’abord vous Thomas, est- ce que vous qui avez monté ce programme – ou bien vous l’a-t-on proposé?

Thomas Le Duc-Moreau : C’est un programme qui m’a été proposé par l’administration de l’orchestre. La première pièce, c’est une ouverture Rouslan et Ludmilla de Glinka, ensuite le Concerto pour piano no 1 de Tchaïkovski avec Serhiy Salov comme soliste et la quatrième symphonie de Tchaïkovski pour terminer. La première pièce, très courte, à peu près cinq minutes, met en valeur la virtuosité de l’orchestre avec des passages très rapides et excitants. On n’est pas dans des subtilités, on est vraiment dans les festivités. C’est vraiment une ouverture qui va mettre le feu à la salle. Par la suite, le concerto pour piano dont le thème principal du premier mouvement est très connu, avec son grand lyrisme, c’est une pièce complexe au niveau de sa forme. Elle est plutôt libre, donc on va passer d’un thème à l’autre, d’une émotion à l’autre assez rapidement. Au niveau des émotions qui sont déployées, on est vraiment dans du grand romantisme dans la joie et dans l’exaltation avec dans grandes lignes et une richesse sonore. Je dirais que c’est un concerto dont les thèmes amènent un certain positivisme. On peut ressentir des moments de bonheur, de grandeur d’esprit, de grandeur d’âme je dirais aussi, alors que dans la quatrième symphonique, Tchaïkovski va beaucoup parler de la fatalité des émotions humaines. C’est le rapport au destin, qui pour Tchaïkovski, est quelque chose d’inévitable, de dramatique, de nécessairement pessimiste. Il va être question de bonheur dans la symphonie, mais du bonheur des autres. Il va être question de mélancolie, de souvenirs heureux, mais qui nous plonge dans une certaine amertume.

PAN M 360 : Partagez-vous cette interprétation, Serhiy ?

Serhiy Salov : Oui, il aurait pu lire dans mes pensées! J’ajouterais aussi qu’une œuvre musicale n’est jamais « uni-émotionnelle ». Dans la quatrième symphonie, on a une finale absolument éclatante et une danse extrêmement euphorique mélangée avec la tragédie qui revient sans cesse comme une idée fixe. Dans le concerto, on a l’optimisme au début, qui même s’il est écrit dans le ton de si bémol mineur, baigne dans les tons majeurs. Il commence en majeur et finit dans un majeur éclatant. Mais, dans des endroits comme la cadence par exemple, Tchaïkovski puise aussi dans la tragédie, dans la dépression. C’était un être extrêmement sensible qui a perdu sa mère très tôt. Sa sensibilité n’était rien moins qu’exaltée, et la tragédie, la dépression n’étaient jamais loin de ses compositions. On y voit toujours un être très complexe qui n’est pas dans la sérénité.

PAN M 360 : Ce concert qui englobe ces trois œuvres s’intitule L’âme slave. Qu’est-ce que « l’âme slave » évoque pour vous en musique?

Serhiy Salov : C’est justement ce sentimentalisme exalté, les émotions exposées, contrastées. Ce qui me vient à l’esprit ce sont les mots de Milan Kundera, qui disait que l’optique des Slaves est opposée à l’optique américaine. Un Américain cherche un « happy end », un Slave pense que le monde doit se terminer en apocalypse. Ici, le point sur Tchaïkovski représente une exception spectaculaire pour ce qui est de la fin du premier et troisième mouvement du concerto et de la symphonie qui tous deux se terminent avec un accord éclatant. Les plus grands compositeurs slaves, y compris les Tchèques, Dvořák par exemple, ont toujours eu une nostalgie pompeuse que les Germaniques. C’est intéressant parce que des compositeurs autrichiens comme Schubert et Mahler, ont pris ce sac de sentimentalisme quand même qui est déchirant.

PAN M 360 : Que représente le concerto de Tchaïkovski pour vous, Serhiy?

Serhiy Salov : C’est un concerto qui m’accompagne depuis toujours, qui d’abord m’a accompagné en enfance quand j’étais auditeur moi-même et qu’il était hors de ma portée pianistiquement. J’avais toujours ce désir un peu fou de le jouer, mais mon professeur m’a toujours défendu d’y toucher parce que, évidemment, ma main n’était pas assez grande et aussi parce que le côté émotionnel de la maturité n’était pas assez développé. Je l’ai finalement apprivoisé à l’âge de 19 ans pour le concours Marguerite-Long à Paris. Après, elle est devenue ma pièce de concours. Maintenant que ma carrière de candidat dans les concours a été terminée, cette pièce va rester une amie pour le restant de mes jours. C’est génial de pouvoir la présenter demain à Laval, un des concertos qui me touche le plus.

PAN M 360 : Est-ce la première fois que vous dirigez ces trois pièces, Thomas?

Thomas Le Duc-Moreau : La symphonie, c’est celle où j’ai le plus joué comme violoncelliste, quand j’étais aux études. Je l’ai même déjà dirigée au Conservatoire. Mais j’avoue que c’est rare que je ne sois pas à mes premières directions d’œuvres. Le concerto va être une première et l’ouverture aussi, mais étonnamment, la symphonie, je l’ai déjà dirigée.

PAN M 360 : Vous avez travaillé avec nombre de chefs assez reconnus et importants, avec Jacques Lacombe qui a été votre professeur au Conservatoire, Bernard Labadie, Kent Nagano, François-Xavier Roth, Rafael Payare, Valéry Gergiev et j’en passe. Que retenez-vous de leurs enseignements et comment le fait de les avoir côtoyés, d’avoir travaillé avec eux, a façonné le chef que vous êtes aujourd’hui et que vous devenez?

Thomas Le Duc-Moreau : C’est intéressant comme question. Honnêtement, peut-être que dans quelques années, je le saurai vraiment, mais ce qui est certain, c’est que tous ces chefs-là, que vous avez mentionnés, ont certainement eu une énorme influence sur une facette de mon approche musicale.

Le premier chef avec qui j’ai travaillé énormément, c’est Jacques Lacombe. C’est certain que son enseignement est quelque chose qui m’a formé, qui m’a forgé et qui me suit énormément. Encore aujourd’hui, il y a des choses qu’il m’a montrées il y a sept ans auxquelles je pense encore aujourd’hui et il y a des choses que je comprends aujourd’hui dans ce qu’il m’a montrées à l’époque. Je dirais aussi que de mon passage à l’OSM, avec François-Xavier Roth et Gergiev, c’est certainement les deux où j’ai trouvé qu’en seulement quelques secondes, le son de l’orchestre a été complètement transformé. C’est de chercher à comprendre « qu’est-ce qui fait ça » qui est fascinant.

PAN M 360 : Qu’est-ce qui vous anime quand vous êtes sur le podium?

Thomas Le Duc-Moreau : Il y a plusieurs choses. Je dirais que déjà, il y a le fait de pouvoir accomplir le résultat de tout le travail qui est fait en amont. Pour moi, c’est des dizaines et des dizaines d’heures qui sont passées dans mon bureau avec la partition à imaginer comment avec les musiciens, avec l’orchestre, avec le répertoire, on va arriver à transmettre les émotions de ces pièces et de transmettre les idées qui se trouvent dans celles-ci. Il y a une excitation immense à pouvoir sortir de ma tête tout ce que j’ai pu rêver, imaginer, et de pouvoir communiquer avec les musiciens. Ensuite, il y a carrément d’être dans le moment, de ressentir la musique. Il y a quelque chose de très physique avec le fait de diriger, de jouer. On bouge avec la musique. Le public est assis et écoute, mais pour les musiciens, il y a un geste qui est associé à tout ça. Le fait de l’avoir dans le corps, de pouvoir exprimer physiquement ce qu’on ressent, c’est très gratifiant.

PAN M 360 : Revenons un peu en arrière, Serhiy Salov, en février 2022 lorsque vous avez remplacé au pied levé André Laplante pour le concert avec l’Orchestre métropolitain et où vous avez interprété le Concerto pour piano no 1 de Liszt. Vous aviez qualifié ce concerto, dans le contexte qui est malheureusement encore actuel, de très symbolique. Est-ce que ce même symbolisme se retrouve pour vous dans le concerto de Tchaïkovski?

Serhiy Salov : Il y a un symbolisme même plus direct et plus évident par les thèmes qu’utilise Tchaïkovski dans le premier et troisième mouvement. Les deux thèmes principaux sont tirés du folklore ukrainien qui n’était jamais trop loin de Tchaïkovski puisqu’il avait de la parenté en Russie et il avait de la parenté en Ukraine. C’est cette parenté ukrainienne qu’il visitait tous les étés et où il entendait des chansons vraiment spéciales qui l’ont marqué, entre autres dans le premier concerto. Ça me ravit et me réconforte aussi dans toute cette histoire.

PAN M 360 : Je ne peux pas m’empêcher en terminant de vous poser la question, Thomas, par rapport au tragique événement qui a frappé l’Orchestre de Kitchener-Waterloo que vous avez dirigé comme chef invité à plusieurs reprises et qui a déposé le bilan il y a quelques jours. Quelle est votre réaction par rapport à cette situation?

Thomas Le Duc-Moreau : C’est sûr que c’est extrêmement difficile. D’autant plus que la semaine prochaine, je devais être à Kitchener pour donner un concert. C’est un immense vide qui va se créer. Pour moi, c’est une semaine de travail, mais pour des musiciens d’orchestre, ce sont des vies entières qui en 48 heures ont changé. Ça nous fait réfléchir énormément sur la fragilité de nos institutions, c’est-à-dire qu’on n’est jamais vraiment protégés. Pour la plupart des orchestres, c’est une année à la fois, donc on n’est jamais vraiment à l’abri de ces situations. En ce moment, alors que j’ai la tête remplie de la musique de Tchaïkovski, je ne peux m’empêcher de faire le lien avec le programme qu’on va présenter. Dans la symphonie, il va imager une sorte d’épée de Damoclès. Et, parfois, cette épée de parfois, elle tombe. Elle est toujours au-dessus de nos têtes, on ne doit jamais oublier qu’elle est là. C’est d’autant plus malheureux que le directeur musical, Andrei Feher, au-delà d’être un collègue, est un très bon ami. Je crois que s’il y a quelque chose qui ressort de ça, c’est que ça démontre qu’il faut continuer de se battre pour montrer aux gens qu’on a une place dans la société.

Le concert L’âme slave sera présenté à la Salle André-Mathieu, le mercredi 27 septembre à 19h30. 

Programme

Mikhaïl Glinka

Rouslan et Ludmilla, ouverture

Piotr Ilitch Tchaïkovski

Concerto pour piano n° 1 en si bémol mineur, op. 23

Piotr Ilitch Tchaïkovski

Symphonie n° 4, en fa mineur, op. 36

Thomas Le Duc-Moreau, chef d’orchestre

Serhiy Salov, pianiste

Pour infos et billets, c’est ici.

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