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Imaginé par le saxophoniste américain Steve Lehman et le compositeur Frédéric Maurin, directeur artistique de l’Orchestre National de Jazz, en étroite collaboration avec l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (IRCAM) de Paris, le projet Ex Machina “explore des directions musicales inédites” en mettant au point un jeu d’interactions en temps réel entre les solistes et une forme d’intelligence artificielle dans le contexte d’un grand ensemble de jazz.
Résultant d’une collaboration avec l’équipe Représentations musicales de l’Ircam dirigée par Gérard Assayag, le projet Ex Machina intègre des dispositifs créés à partir de l’environnement DYCI2 par Jérôme Nikapour dans le processus de composition et dans les improvisations des solistes en temps réel. Ainsi, l’ordinateur et son logiciel deviennent tour à tour “un générateur d’orchestrations électroniques pour les compositeurs et un partenaire d’improvisation pour les musiciennes et musiciens”.
Projet des plus singuliers, sa présentation à l’Off Jazz, soit ce vendredi au Théâtre Plaza, mérite toute notre attention. Voilà qui justifie cette conversation avec ses protagonistes!
PAN M 360 : De quelle « machine » est-il ici question?
STEVE LEHMAN : Dans ce contexte, la « machine » fait référence au logiciel DYCI2 mais aussi à tous les autres outils que nous utilisons souvent dans le cadre de notre processus de composition : ableton live, max/msp, spear, open music, etc
PAN M 360 : Qu’est-ce que l’environnement DYC12?
STEVE LEHMAN : DYCI2 est un environnement musical piloté par ordinateur capable de répondre intelligemment aux signaux audio en direct ou préenregistrés provenant d’instruments acoustiques ou d’autres sources.
PAN M 360 : S’agit-il alors d’intelligence artificielle (IA)?
STEVE LEHMAN : Oui, DYCI2 est destiné à démontrer une sorte de comportement musical (artificiellement) intelligent.
FRÉDÉRIC MAURIN : Mais il me semble que le terme d’IA est parfois sur-utilisé en tout cas dans le type de musique que nous faisons car cela reste finalement un système qui a besoin d’idées humaines pour fonctionner.
PAN M 360 : Comment les déclencheurs ont-ils été conçus pour créer ce dialogue?
STEVE LEHMAN : Les déclencheurs sont utilisés dans ce contexte plutôt pour le travail avec de l’audio préenregistré et des synthétiseurs. L’interaction en temps réel n’implique pas de déclencheurs.
FRÉDÉRIC MAURIN : Dans ce contexte, les déclencheurs sont davantage utilisés pour travailler avec de l’audio et des synthétiseurs préenregistrés. L’interaction en temps réel n’implique pas de déclencheurs, à part le fait d’envoyer un signal au système DYCI2 qui dit « maintenant écoute tel instrument »
PAN M 360 : Quel fut l’engagement de l’IRCAM, généralement dédié aux musiques contemporaines électroacoustiques, dans ce processus créatif?
STEVE LEHMAN : Fred et moi avons travaillé en étroite collaboration avec le chercheur, Jérôme Nikapour, pour explorer et, dans certains cas, étendre les capacités de DYCI2 et son intégration dans notre musique écrite et improvisée pour instruments acoustiques.
PAN M 360 : Comment cette collaboration avec l’IRCAM s’est-elle construite?
FRÉDÉRIC MAURIN : Pour ma part j’étais en contact avec l’IRCAM depuis quelques temps et j’avais suivi plusieurs de leurs formations
STEVE LEHMAN : Lorsque Fred est devenu directeur de l’ONJ en 2018, il a proposé à l’IRCAM cette collaboration pour commander l’œuvre Ex Machina.
Personnellement, j’ai également été impliqué dans divers projets avec l’IRCAM et chercheur invité et artiste en résidence depuis 2011.
PAN M 360 : Quelle est la part de l’exécution collective au-delà de l’interaction avec DYCI2?
STEVE LEHMAN : Une bonne partie de la musique est écrite pour l’orchestre. Et la conception formelle de la musique est également structurée dans les moindres détails.
PAN M 360 : Quelle est la part de l’improvisation? Performances indiviuelles?
STEVE LEHMAN : Oui. Des solos individuels et puis des solos individuels qui se produisent dans le contexte/structure d’une composition donnée.
FRÉDÉRIC MAURIN : Il y a aussi bien des solos individuels et un duo qui forment des sortes de « cadences » que des solos individuels qui se produisent au sein dans le contexte/la structure d’une composition donnée avec parfois tout le reste de l’orchestre qui joue.
PAN M 360 : Pourquoi 39? Pourquoi Ex Machina?
STEVE LEHMAN : Pour 39, il faudra demander à Fred. Pour Ex Machina, il s’agit d’évoquer l’idée que certains aspects de la musique viennent « de la machine » Et peut-être aussi une référence au Tempus ex Machina de Gérard Grisey.
FRÉDÉRIC MAURIN : Pour 39, c’est très simple : c’était le titre provisoire de travail de cette pièce car c’était la 39e pièce que j’écrivais pour grand ensemble et puis en plein covid, pendant une répétition une musicienne de l’orchestre m’a dit « garde ce titre, puisqu’en ce moment plein de gens sont à 39°C à cause de la maladie ». Alors je l’ai gardé.
PAN M 360 : On peut voir quelques extraits de l’exécution de cette œuvre par l’ONJ sur YouTube… Un album sera-t-il enregistré?
STEVE LEHMAN : Oui, nous enregistrerons fin janvier avec une sortie prévue à l’automne 2023. Il devrait sortir en septembre 2023.
PAN M 369 : Pouvez-vous nous expliquer comment vos chemins (Steve et Frédéric) se sont croisés et quels sont vos intérêts communs pour mener à bien ce projet?
STEVE LEHMAN : Fred et moi nous sommes rencontrés à Paris après un concert que j’ai présenté avec mon octuor en 2016. Nous avons rapidement découvert que nous avions beaucoup d’intérêts musicaux en commun, dont un profond intérêt pour l’école française de composition spectrale (Tristan Murail, Gérard Grisey ) et son intégration potentielle dans la musique improvisée.
PAN M 360: Connaissez-vous d’autres projets comparables, c’est-à-dire une interaction entre jazz contemporain et dispositifs électroniques favorisant une interaction , voire une œuvre ficelée en temps réel?
STEVE LEHMAN : Pas tant que ça. Mais je pense que George Lewis et son développement du logiciel Voyager pour l’interaction en temps réel est un précédent important qu’il convient de noter.
PAN M 360 :Quel fut l’accueil de cette démarche auprès des auditoires européens?
STEVE LEHMAN : Extrêmement enthousiaste ! Nous avons reçu des ovations debout lors de nos 5 premiers concerts à Paris, Amsterdam, NYC, Washington DC et Brown University. C’est très agréable. Je pense que le public voit et entend que tout l’ensemble est investi à 100% dans la musique. Et je pense qu’il y a un sentiment que ce projet implique beaucoup de risques et d’exploration. Et il semble que les auditeurs se connectent et apprécient beaucoup cela.
PAN M 360 : Quelle sera l’instrumentation à Montréal? Est-ce bien cet alignement?
Steve Lehman – Compositions, saxophone alto
Frédéric Maurin – Compositions, direction
Fanny Ménégoz – Flûte, flûte alto, piccolo
Catherine Delaunay – Clarinette, cor de basset
Steve Lehman – Saxophone alto
Julien Soro – Saxophones ténor et soprano, clarinette
Fabien Debellefontaine – Saxophone baryton, clarinette, flûte
Jonathan Finlayson – Trompette
Fabien Norbert – Trompette
Daniel Zimmermann – Trombone
Christiane Bopp – Trombone
Fanny Meteier – Tuba
Chris Dingman – Vibraphone
Stéphan Caracci – Marimba, vibraphone, glockenspiel
Enzo Carniel – Piano
Sarah Murcia – Contrebasse
Rafaël koerner – Batterie
STEVE LEHMAN : Oui, c’est ça. Il faut aussi inclure « Dionysios Papanikolaou – Live Electronics ».
PAN M 360 : Comment situez-vous cette démarche dans un contexte où le jazz « sérieux » a tout intérêt à se renouveler?
STEVE LEHMAN : Je ne suis pas sûr de comprendre la question. Mais en tant qu’élève de Jackie McLean et de Tristan Murail, je peux dire que ce projet est très personnel pour ce groupe mais aussi 100% cohérent avec l’évolution sans fin des traditions du jazz et de la musique spectrale.
FRÉDÉRIC MAURIN : Je crois que le jazz est justement une musique qui se réinvente toujours depuis ses débuts. Ça n’a jamais cessé et ça continue aujourd’hui ! Le problème vient plutôt aujourd’hui d’une partie de la critique et de certains lieux ou festivals qui croient que cette musique devrait être celle qui se jouait il y a 70, 60 ou 50 ans. Mais c’est l’histoire même du jazz que d’évoluer. En 1947, une partie de la critique et des programmateurs disaient que le be-bop n’était pas du jazz. L’histoire se répète.
PAN M 360 : À bien y penser, la formulation de cette question est réductrice et prête à confusion. L’intention était plutôt de souligner que votre démarche est extrêmement pertinente dans un contexte plus difficile et moins propice au jazz qu’il ne le fut, ce qui a peu à voir avec sa créativité réelle.
FRÉDÉRIC MAURIN : Pas de problème. En effet, nous sommes d’accord que les temps ne sont pas très propices à la prise de risque malgré l’incroyable vivacité des artistes.
CRÉDIT PHOTO ONJ: SYLVAIN GRIPOIX