Nuits d’Afrique: La Percée, laboratoire vivant pour une vraie diversité musicale en ligne

Entrevue réalisée par Alain Brunet

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Les 22 et 23 juillet prochains, les Productions Nuits d’Afrique encadrent le lancement d’une initiative de laboratoire vivant intitulé La Percée, qui se veut un laboratoire collectif pour le rayonnement en ligne de la musique dans toute sa diversité. À travers différents projets menés par La Percée, « des artistes, universitaires et membres de l’industrie musicale s’engagent et contribuent au rayonnement d’une plus grande diversité musicale dans l’environnement numérique. »

Dans le contexte du FINA qui bat son plein, La Percée « analyse et met en lumière les défis de découverte en ligne des créations et productions labellisées Musiques du monde » , une expression fourre-tout et limite colonialiste, qui définit un très vaste ensemble hétérogène de musiques venues de partout sur cette planète… sauf les populations des pays les plus riches.

Pour souligner le lancement de cette initiative, le public est invité à une exposition participative afin de découvrir les réflexions et projets portés par La Percée.

Communauté de La Percée, un « laboratoire vivant ».

PAN M 360 : Faisons d’abord avec vous la genèse de La Percée, ce qui en a motivé l’existence :

Johan Lauret : On a décidé de s’attaquer à un problème qu’on a constaté depuis longtemps, qui est pas propre aux seules musiques du monde, mais qui est encore plus visible sur les productions et créations labellisées musiques du monde. D’ailleurs, c’est aussi une expression qu’on interroge. Avec La Percée, l’idée était déjà d’en analyser les défis de découvrabilité. C’est d’ailleurs pour ça qu’on vous avait rencontré dans la foulée de votre livre La Misère des Niches, soit dans le cadre d’une étude que Destiny a réalisée.

PAN M 360 : Et quelle fut l’étape suivante?

Johan Lauret : On a décidé d’aller un peu plus loin parce qu’on a réalisé que les enjeux que Destiny a fait émerger étaient vraiment importants. Plutôt que de laisser l’étude là telle qu’elle est, on a décidé de la présenter aux artistes, la vulgariser, et voir ensemble comment on pouvait trouver des pistes de solution. Quand je dis ensemble, c’est vraiment les artistes, les professionnels de l’industrie, les institutions qui portent des projets de découvrabilité et les chercheurs. Ces projets là, on va les incuber dans le laboratoire
.
PAN M 360 : Résumez-nous les grands paramètres de recherche de ce laboratoire :

Johan Lauret : Il s’agit d’abord d’un laboratoire collectif pour favoriser le rayonnement d’une plus grande diversité musicale en ligne. On a fait le constat que dans l’univers numérique, que ça soit sur les plateformes de streaming, mais aussi sur le web, il y a une offre musicale en ligne qui foisonne. Il y a énormément, énormément de contenu, mais les algorithmes de recommandation, notamment des plateformes de streaming, se concentrent vraiment sur la promotion d’une très petite quantité d’artistes. On s’est dit qu’évidemment, quand on parle de musique, finalement, c’est plus l’invisibilité qui prévaut.

PAN M 360 : Et comment faire pour changer le cours des choses sur le web?

Johan Lauret : On s’est d’abord posé deux grandes questions : primo, quelles sont les chances réelles de découvrir des musiques diversifiées en ligne ? Secundo, ladite catégorie “musiques du monde » est-elle encore pertinente pour garantir la repérabilité et la visibilité d’une pluralité de genres musicaux sur les plateformes d’écoute et sur le web ? Pour y répondre, on a commencé à faire émerger des pistes de solution. La première est un programme de recherche/ action qui va être porté par Destiny et un conseil scientifique qui nous permettra d’essayer de comprendre pourquoi ces contenus sont moins poussés par les algorithmes de recommandation, et ainsi voir comment on peut améliorer cette découvrabilité en ligne.

Destiny Tchéhouali : Je dois rappeler que ce qu’on a apporté vraiment comme plus-value dans nos constats par rapport aux constats qui sont faits jusqu’ici, vie, c’est que la problématique de la découvrabilité de ces musiques du monde, des musiques nichées, vient vraiment amplifier un problème dont on était déjà au courant, mais dont on ne prenait pas totalement la mesure, notamment par rapport au rôle que jouent les algorithmes en termes d’anticipation, de fabrique des tendances, des habitudes musicales et de la manière de normer même des styles, des genres, des univers musicaux qui sont totalement éclatés aujourd’hui à l’ère des plateformes de streaming.

Et surtout qu’on est dans une tendance au populisme musical où on essaie vraiment d’offrir au public ce qu’il connaît, ce qu’il a, ce qui est suffisamment connu pour qu’il ne le refuse pas. Et donc, la demande globale d’une musique mainstream qui est relayée par les radios, qui est supposée plaire à tout le monde, qui est facile d’accès à tout ça, c’est une tendance qui, non seulement se confirme, mais qui est accentuée actuellement. Et qui ne se justifie pas.

PAN M 360 : Depuis plusieurs années, les mélomanes le constatent et le subissent.

Destiny Tchéhouali : On subit une forme de dictature de ce qui est recommandé par les plateformes. C’est vraiment une conclusion majeure. Cet état des choses se maintiendra tant et aussi longtemps qu’on n’aura pas pris des mesures adéquates pour aller dans le sens d’une définition commune de ce qu’on entend par les musiques de niche. Le milieu de la musique devra donc s’unir autour d’un lexique commun, calibré et consensuel afin de contrer cette dictature des plateformes.

PAN M 360 : Est-il vraiment possible d’inverser cette tendance ?

Destiny Tchéhouali : Je ne dirais pas inverser la tendance, mais au moins développer une nouvelle culture de diversité musicale par la recommandation de la diversité musicale en ligne. Pour cela, il faut d’abord faire ce travail de qualification, de reconnaissance et de caractérisation. Il faut le faire en s’appuyant à la fois sur des critères musicologiques ou même sur des paramètres acoustiques, peut être aussi en en utilisant des systèmes d’intelligence artificielle pour ainsi mieux prendre en compte compte la diversité de ces genres et sous-genres musicaux, notamment ceux qu’on regroupe un peu de manière fourre-tout dans cette catégorie « musiques du monde ».

On veut, au delà des catégories institutionnalisés, laisser la possibilité aux mélomanes, aux usagers, aux utilisateurs, aux artistes, de pouvoir finalement répertorier, recenser l’ensemble des mots clés, des tags, pour en arriver peut être à un genre de nouvelle taxonomie basée sur l’indexation musicale des musiques du monde. Il s’agit d’adopter un lexique qui reflète mieux la diversité de ses genres et sous genres.

PAN M 360 : Et qu’en pense le milieu?

Destiny Tchéhouali : L’intuition qu’on a confirmée a soulevé l’intérêt d’autres acteurs comme Rideau, MétaMusique ou l’ADISQ. On se dit qu’il y a quelque chose à faire en se mettant tous ensemble autour de la table, quitte à développer un nouveau modèle qui puisse être peut être finalement réglé et approprié, ou même utilisé aussi par les plateformes de streaming musical.

Johan Lauret : L’idée de la première étape est de contaminer tout l’écosystème des projets en culture et numérique au Québec et au Canada et de voir si déjà sur des plateformes comme Scène Pro et Rideau, qui mettent en lien les diffuseurs et les producteurs, on peut faire en sorte de mieux définir tous ces genres musicaux qui composent la catégorie « musiques du monde ». C’est ça aussi l’idée du laboratoire, c’est de voir comment le travail de recherche peut nourrir des projets concrets ici au Canada. Avec La Percée, l’idée est d’organiser des événements réguliers pour partager nos apprentissages et rester à l’écoute. Avec les grands acteurs de l’industrie, il s’agit de voir comment ils fonctionnent et trouver un terrain d’entente pour satisfaire tout le monde. C’est un peu ça notre ambition.

PAN M 360 : Pour l’instant, en tout cas, rien n’indique que la situation pourra très bientôt s’améliorer.


Destiny Tchéhouali : On a lu cet article d’Étienne Paré, paru récemment dans Le Devoir, soulignant que la musique franco était la grande absente des palmarès d’écoute. Parmi les 100 morceaux les plus populaires actuellement au Québec sur les plateformes d’écoute, il n’y en a aucun qui soit québécois francophone. C’est vraiment inquiétant, mais il ne faut pas jeter la pierre aux auditeurs. Il s’agit plutôt de comprendre la dynamique de l’offre telle qu’elle est structurée par les plateformes et les algorithmes de recommandation. On retombe invariablement sur la question de la similarité des goûts; les algorithmes nous catégorisent et cela va totalement à l’encontre du développement de la curiosité et de l’éclectisme des goûts musicaux. Il s’agit maintenant de trouver comment on arrive à trouver un juste milieu dans cette offre et redonner un peu de pouvoir et d’autonomie à l’auditeur. Quand je dis « pouvoir », c’est plus la liberté de pouvoir choisir, de se perdre des fois dans des répertoires pour aller découvrir de nouveaux univers musicaux. Ça, c’est la vraie découvrabilité.

PAN M 360 : Pour terminer, de quelle nature quel est votre partenariat avec les Productions Nuits d’Afrique?

Johan Lauret : Nuits d’Afrique compte près de 40 années d’archives – contenus audios, contenus vidéos, contenus photos. Finalement, c’est vraiment une partie de l’histoire de la musique qu’on veut valoriser. L’idée, c’est vraiment d’en faire à la fois une plateforme de contenu au cœur de laquelle on placerait vraiment les artistes, , notamment ceux de la scène locale. On va aussi s’appuyer vraiment sur leurs témoignages pour raconter cette histoire. Mais derrière ça, on veut aussi vraiment travailler sur une base de données structurée et liée afin que ce contenu là puisse être découvrable.

L’idée est d’aussi créer du contenu rédactionnel riche et pérenne qui vient documenter, finalement, tous les artistes locaux et internationaux qui sont passés par le Festival International Nuits d’Afrique. Avec ce projet de plateforme, il y a à la fois l’idée de raconter une histoire qui, finalement, n’est pas tant racontée, et de reconnaître l’apport de tous ces artistes dans le patrimoine culturel québécois canadien, mais aussi de travailler à rendre plus découvrables tous ces contenus que tous ces artistes dans un environnement numérique.

L’exposition aura lieu au Réfectoire de L’Esplanade Tranquille du Quartier des spectacles , les 22 et 23 juillet de 13h à 20h.

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