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La 35e saison du Nouvel Ensemble Moderne sera la dernière de Lorraine Vaillancourt, sa fondatrice, directrice artistique et directrice musicale. Depuis 1989, l’ex-prof de l’Université de Montréal pilote le NEM pour une ultime saison avant de confier le gouvernail à son successeur désigné, Jean-Michaël Lavoie. Le programme présenté lundi marque l’ouverture de la saison de l’ensemble, nous avons rencontré Lorraine Vaillancourt pour nous en causer.
PAN M 360 : Vous avez deux grands concerts anniversaire à part la semaine du 9 au programme cette année?
Lorraine Vaillancourt : Oui, c’est ça. C’est les deux grands concerts anniversaires, effectivement, à la rentrée. Et puis le 3 mai 2014, c’est vraiment 35 ans pile, puisque notre premier concert était le 3 mai 1989. C’est ma dernière saison aussi, comme capitaine du navire.
PAN M 360 : Vous vous étiez pourtant retirée une fois, pour reprendre la barre.
Lorraine Vaillancourt : Oui, je suis comme Charles Aznavour, j’ai plusieurs fins! (rires). En fait, j’avais laissé la direction artistique et conservé la direction musicale. Je continuais à diriger les concerts mais bon, il y a eu toutes sortes de problèmes, puis il y a eu le covid et j’ai repris la direction artistique pour mener l’ensemble jusqu’à son 35ᵉ anniversaire. Disons, j’ai accepté de rentrer au bercail parce que ça marchait plus ou moins. Après coup, je dirais qu’on ne peut vraiment scinder direction artistique et musicale dans un organisme comme le NEM.
PAN M 360 : Un organisme de cette taille ne peut effectivement créer plusieurs postes de direction.
Lorraine Vaillancourt : Oui, c’est ça. En plus, nous sommes en résidence à l’Université de Montréal, je n’avais plus de salaire comme direction artistique au NEM. Mine de rien, c’était important de remédier à cette situation. C’est précisément celui qui a pris ma place à l’université, Jean-Michaël Lavoie, qui a pris en main l’atelier de musique contemporaine depuis que j’ai quitté l’enseignement, qui est très, très actif, très dynamique.
PAN M 360 : Et c’est lui qui prendra la relève du NEM pour la saison 2024-2025?
Lorraine Vaillancourt : Oui, c’est lui qui prend la relève l’année prochaine. Il a travaillé déjà avec le NEM, il est un très bon chef et sera le prochain directeur du NEM. Il travaille déjà en coulisses avec nous depuis un bon bout de temps. On se parle beaucoup, on est sur la même longueur d’ondes, on a la même passion et le même désir de continuer d’écouter la musique qui se fait ailleurs et qui nous concerne. Pour les répétitions du concert de lundi, il est là. Et il parlera de la prochaine saison aux musiciens. On est déjà dans la suite des choses.
PAN M 360 : Vous avez quand même une saison à savourer !
Lorraine Vaillancourt : Ma dernière saison en a motivé quand même un peu la programmation. Au fil des ans, le NEM s’est modifié. Nous avons encore deux interprètes de la formation originelle et les autres se sont progressivement greffés à l’ensemble. Certains sont avec nous depuis 15 à 20 ans, tout de même. D’autres sont là depuis tout récemment, on a dû remplir certaines chaises.
PAN M 360 : Et donc vous pouvez compter sur un ensemble solide aujourd’hui.
Lorraine Vaillancourt : C’était mon premier objectif que de se rassembler des musiciens de cette trempe. Je pense que ce qui a toujours fait la force du NEM, c’est sa cohésion. Bien sûr, on part du principe que tous les musiciens, individuellement, sont des super musiciens, mais après ça, il faut jouer ensemble. Ce n’est pas si évident que de jouer ensemble et avoir le goût de jouer ensemble et de transmettre cette musique, quelle que soit la complexité des œuvres, d’avoir envie de s’en investir. En pensant à la suite, mon désir aussi était de laisser au suivant l’ensemble le plus cohérent possible.
PAN M 360 : Et donc faire connaître les œuvres des compositeurs actuels.
Lorraine Vaillancourt : Oui et c’est pour ça qu’il y a autant de commandes dans ces deux concerts. D’ailleurs, c’est un petit peu contradictoire avec mon objectif du début où je voulais surtout faire du répertoire et m’éloigner un peu de la création. Là, je fais exactement le contraire, car les deux programmes anniversaires seront des concerts de création. Pourquoi? Parce que quand on fait une commande, l’œuvre est écrite pour les 15 musiciens sans exception, ce qui nous permet vraiment de baigner dans l’œuvre, de vraiment travailler ensemble.
PAN M 360 : Il faut donc de nouvelles œuvres faites sur mesure pour le NEM.
Lorraine Vaillancourt : C’est sûr que ça influence mon choix d’œuvres. Mon désir au début était de rappeler qu’on venait de quelque part; on regarde en avant, mais on a intérêt à regarder souvent par-dessus l’épaule et voir qui se trouve derrière. Ce désir reste important, car plusieurs ont tendance à vouloir gommer l’histoire. Il sont nombreux les compositeurs qui m’ont inspirée depuis 50 ans, mais il y en a aussi très nombreux et ils sont disparus maintenant. Je ne suis pas la seule qui vieillit! Et c’est pourquoi, par exemple, on rend hommage à Harrison Birtwistle, décédé au printemps 2022, en jouant une de ses œuvres que le NEM avait jouée en 1994. Secret Theatre, c’est vraiment une œuvre très costaude dans tous les sens du terme. Birtwistle demeure un monument du répertoire pour notre ensemble. Un géant.
PAN M 360 : Il y a aussi deux créations au programme.
Lorraine Vaillancourt : Oui une de Samuel Andreyev et une autre de Tomás Diaz Villegas, qui fait son doctorat à l’Université de Montréal et qui est en résidence au NEM. Samuel Andreyev est Canadien, mais il vit actuellement à Strasbourg. Nous allons jouer Contingency Icons, de Samuel Andreyev, et La persistance, l’éphémère de Thomas Diaz Villegas, un titre qui ne pouvait pas me rejoindre plus que ça! Mon rapport au NEM depuis 35 ans, c’est un peu un signe de persistance et de résistance et puis aujourd’hui, où tellement de choses sont éphémères, dès qu’on dure un peu, ça devient exceptionnel de durer 35 ans… ce qui n’est rien dans l’histoire de l’univers. Donc, je me suis approprié son titre avec sa permission en lui disant « Écoute, c’est un titre qui va directement au but ».
PAN M 360 : Voyez-vous un lien entre ces deux créations?
Lorraine Vaillancourt : Ces deux jeunes compositeurs utilisent des formes anciennes dans leurs œuvres – canzone, prelude, aria, etc. Coïncidence intéressante, ils ont fait ça sans se consulter, évidemment, tout ça est réinventé à leur manière, mais ils ont repris des formes anciennes.
PAN M 360 : Il y a donc ces deux créations, mais aussi une orchestration spéciale.
Lorraine Vaillancourt : Quand j’ai pensé à la programmation de ce 35ème, j’avais vraiment envie d’un petit retour sur l’histoire, et si on connaît cette œuvre de John Rea, c’est la première à laquelle j’ai pensé. C’est une œuvre de John Rea, une œuvre à l’origine pour piano inspirée d’une peinture célèbre de Diego Velsaquez. John Rea fut le premier que j’ai approché en lui disant « Tu ne voudrais pas m’orchestrer ça pour les 15 musiciens? »
Parce que c’est très particulier; évidemment, ça fait référence au tableau magnifique de Velasquez une sorte d’effet miroir où l’on voit des personnes qui regardent des personnes qui en regardent des personnes et ainsi de suite. Il y a plusieurs couches dans cette peinture et c’est exactement ça l’œuvre de John Rea. On y trouve 21 très courtes variations, parfois, c’est moins d’une minute, ça peut aller jusqu’à deux ou trois minutes.
J’ai choisi 11 de ces miniatures de Tableaux de Las Meninas, qui est aussi un hommage à des compositeurs du passé ou du présent – Schumann, Berio, Vivier, Mahler, Satie, Evangelista, Webern, Schoenberg, etc. Évidemment, on a la patte de John Rea, mais aussi celle de l’excellent orchestrateur François Vallières qui a accepté d’orchestrer pour les 15 musiciens – et qui joue aussi dans cette exécution.
PAN M 360 : Ces pièces sont peu jouées. Cela nécessite-t-il plus de travail en répétition?
Lorraine Vaillancourt : Sauf la pièce de Birtwistle, les autres n’ont pas été jouées du tout. Évidemment, on ne fait plus une heure de répétition par minute de musique comme on faisait au début, mais on continue quand même d’entrer dans les œuvres trois mois avant le concert, ce qui n’est pas du tout régulier dans le milieu de la musique. Dans les orchestres, les lecteurs sont absolument fabuleux et connaissent le répertoire général. En musique contemporaine, cependant, le langage musical n’est pas toujours le même, les codes peuvent être différents. Quand je l’ai fondé, un des buts de l’ensemble était justement d’essayer de donner du temps aux musiciens de s’approprier la musique, pas seulement la partie qu’ils font mais aussi celle des autres pour avoir une sorte de recul. Si on a juste le temps d’assumer sa propre partie, cela ne suffit pas à l’exécution d’une œuvre réussie.
SOUS LA DIRECTION DE LORRAINE VAILLANCOURT, LE NOUVEL ENSEMBLE MODERNE (NEM) SE PRODUIT LE LUNDI 16 OCTOBRE, 19H30, ÉDIFICE WILDER. INFOS ET BILLETS ICI