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Après avoir passé plusieurs années dans le sud de la Finlande, Anna Näkkäläjärvi-Länsman a décidé de s’installer dans le nord, à Nuorgam, où vit le peuple sami. Puisque Anna a un héritage sami du côté de son père, elle voulait renouer avec cette culture. Forte d’une solide formation musicale – en clarinette, entre autres – au conservatoire de Tampere et à la Sibelius Academy de Helsinki, Anna s’est d’abord intéressée à la musique folklorique de la région de Carélie. Puis elle a évolué vers le joik, le chant traditionnel des Samis, qui englobe des composantes à la fois pragmatiques et spirituelles. C’est ainsi qu’est né le projet Ánnámáret.
Anna se produira avec d’autres artistes autochtones à La Sala Rossa, ce mercredi après-midi. Puis mercredi soir, elle jouera à l’église Saint-Enfant-Jésus du Mile-End pour un concert organisé par le Centre des musiques du monde. Pan M 360 a parlé à Anna Näkkäläjärvi-Länsman la fin de semaine dernière, quelques heures avant son long voyage vers Montréal.
Pan M 360 : Bonjour Anna, tu es à Nuorgam? Quel temps fait-il là-bas?
Anna Näkkäläjärvi-Länsman : Bonjour! Nous avons eu de la neige, mais maintenant nous avons peur qu’elle fonde. Espérons que le froid va durer pour que la neige reste.
Pan M 360 : Le joik est l’une des formes traditionnelles de chant, dans la culture samie. Je pense que la seule partie à laquelle nous, les Nord-Américains, pouvons nous identifier est le chant de gorge, que nous entendons ici dans la musique inuit. Mais le joik est complexe et comprend de bien d’autres éléments. Peux-tu nous en dire un peu plus à ce sujet?
Anna N.-L. : C’est une musique, mais aussi une forme de communication sociale. Autrefois, le joik était une extension de la langue. Certaines choses étaient plus faciles à discuter en « joikant ». Aujourd’hui, il est surtout utilisé comme musique. Les joiks décrivent des animaux ou des personnes, qui sont ensuite décrits dans les mélodies. C’est un mode de fonctionnement particulier. Je pourrais donc vous « joiker ». Les joiks sont étroitement liés à la terre. Par exemple, ils peuvent décrire l’élevage des rennes dans une région particulière. Les paroles peuvent également être improvisées. C’est complexe, car il y a beaucoup d’improvisation. Il faut aussi s’appuyer sur le style, dans un cadre esthétique précis.
Pan M 360 : Votre partenaire musical est Ilkka Heinonen, un musicien de formation classique qui joue du jouhikko, une lyre finlandaise. Comment avez-vous commencé à jouer ensemble?
Anna N.-L. : Adolescente, j’ai commencé le joik, puis j’ai décidé d’apprendre la clarinette. Je voulais faire carrière en jouant dans un orchestre. J’ai donc commencé à étudier la musique au conservatoire de Tampere, puis je suis allée à la Sibelius Academy de Helsinki. Ilkka et moi nous sommes rencontrés à Tampere. Je m’intéressais à la musique folklorique finlandaise et lui aussi. Nous avons donc commencé à jouer ensemble et nous sommes allés à l’étranger. Puis, je me suis à nouveau intéressé au joik et c’est à ce moment-là qu’Ilkka et moi avons fait nos premières expériences avec le jouhikko ; nous avons senti que cela fonctionnerait bien. D’ailleurs, à Montréal, nous allons faire quelques-uns des joiks originaux que nous avons faits ensemble il y a vingt ans! C’est drôle parce que nous étudiions la musique classique très sérieusement, mais nous avons fini par faire quelque chose de totalement différent.
Ensuite, nous avons discuté de la façon dont nous allions faire évoluer cela, afin de faire un album complet (pour les arrangements et ainsi de suite). Ilkka a donc parlé à Turkka, qui a accepté de collaborer avec nous. Cela a fonctionné merveilleusement, car Turkka garde ses éléments électroniques intimes et simples; ils n’entravent pas l’humanité et l’aspect naturel des joiks et du jouhikko. Entre autres choses, Turkka utilise des sons qu’il a enregistrés en plein air, dans la nature. Il aime expérimenter.
Pan M 360 : Le jouhikko a quatre cordes et doit être joué avec un archet. J’ai lu quelque part qu’il venait du pays de Galles et qu’il était également utilisé dans la musique estonienne?
Anna N.-L. : Oui, il a trois ou quatre cordes, ça dépend. Nous avons eu l’idée de l’utiliser lorsque nous jouions une chanson folklorique de Carélie, une région de Finlande. En chantant, je me suis dit que je pouvais aussi faire du joik. Cela nécessitait différentes techniques vocales. La mélodie était carélienne, mais j’y ajoutais mon truc. D’une certaine manière, cela a très bien fonctionné. Le « Joik de l’ours » a été l’un des premiers que nous avons faits ensemble. Je trouvais que ma voix et le son du jouhikko se mariaient très bien. Parce que le joik et le jouhikko sont similaires, en ce sens qu’ils ne comportent pas de grandes gammes ou d’éléments chromatiques. Seulement quelques tons; on joue avec et on improvise.
Pan M 360 : Vous chantez en sami. Est-ce votre langue maternelle?
Anna N.-L. : J’ai appris le Sami et le finnois; mon père est sami et ma mère finlandaise. Les familles multiculturelles sont assez courantes de nos jours. Je parle donc sami depuis que je suis enfant. Et lorsque je vivais dans le sud de la Finlande, j’ai essayé de le préserver et de le renforcer le plus possible, étant donné que j’étais loin des communautés samies. Les médias sociaux n’étaient pas très forts à l’époque. Mais il y avait ce magazine sami auquel j’étais abonnée.
Pan M 360 : Vous participez au festival Mundial Montréal ce mercredi après-midi, puis vous ferez également un concert organisé par le Centre des musiques du monde, en soirée. Est-ce que ces prestations seront similaires?
Anna N.-L. : Non, le concert du Mundial se fera à trois musiciens, avec Ilkka Heinonen au jouhikko et Turkka Inkilä à l’électronique. De plus, mon amie de longue date Marja Viitahuh s’occupera des projections. Elle utilise des photos qu’elle a prises dans le nord de la Finlande, j’espère que cela vous fera voyager! En ce qui concerne le concert du Centre des musiques du monde, Ilkka et moi le ferons en duo, mais il y aura aussi des parties en solo. J’ai prévu y faire des joiks plus traditionnels.
Pan M 360 : Nieguid duovdagat, qui signifie « paysages de rêve », est le titre de l’album que vous avez lancé l’année dernière. Ses ambiances sont oniriques, ça c’est sûr. Il a été très bien accueilli, il vous a valu le prix de l’album folk de l’année en Finlande.
Anna N.-L. : Oui, et c’était le premier album sami à remporter ce prix!
Pan M 360 : Félicitations! Y a-t-il un autre album en préparation?
Anna N.-L. : Oh oui, j’ai encore beaucoup de nouveaux joiks! Nous avons prévu d’enregistrer l’album l’an prochain. Nous allons d’ailleurs jouer l’un de ces nouveaux joiks mercredi soir. Nieguid duovdagat, c’est plutôt un retour aux sources, aux archives, à la recherche de nos ancêtres, ainsi qu’une interrogation sur la relation entre leur mode de vie et le nôtre. C’est un peu comme une crise, quand on y pense. Plutôt comme un monde de rêve. Mais maintenant, mon idée est de parler des choses qui sont sacrées dans nos vies, et ce depuis des milliers d’années. Comme la terre et les rennes. Comment étaient les choses avant le christianisme? Quelles étaient les croyances des gens à l’époque, et dans quelle mesure y croyons-nous encore aujourd’hui, au quotidien? Qu’est-ce que la culture samie actuelle?
Pan M 360 : Merci pour cette conversation, Anna, nous avons vraiment hâte d’entendre et de voir Ánnámáret mercredi!
Photo : Marja Viitahuh.
ÁNNÁMÁRET JOUE À LA SALA ROSSA CE MERCREDI À 15 H POUR LE MUNDIAL MONTRÉAL (INFOS ET BILLETS ICI), ET À L’ÉGLISE SAINT-ENFANT-JÉSUS DU MILE-END POUR LE CENTRE DES MUSIQUES DU MONDE , ÉGALEMENT MERCREDI À 20 H (INFOS ET BILLETS ICI).