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A-t-on encore besoin de présenter Misstress Barbara, véritable icône de la scène techno montréalaise ? Voilà plus de 27 ans qu’elle fait vibrer les foules du monde entier sur des fines sélections de rythmes groovy, percutants et taillés pour la piste de danse en tant que DJ et productrice. Femme aux multiples talents, elle est aussi pilote d’avion, capitaine de bateau, instructrice de voile et entrepreneure – elle a monté sa chocolaterie, Chocolats Barbon – oui rien que ça ! Retrouvez-là avec sa casquette de DJ au Piknic Electronik, pour la 21ème année consécutive (!), à l ’occasion de la fête du travail ce dimanche 3 septembre. Le DJ local Manu ouvrira le bal. Un rituel à ne pas manquer !
Crédit photo : Annie Rossano
PAN M 360 : Vous êtes née en Italie, où vous avez passé les premières années de votre enfance. Quels sont les souvenirs musicaux que vous en gardez ?
Misstress Barbara : Oui, je suis née en Italie, j’ai déménagé à Montréal à l’âge de 7 ans et demi. C’est drôle parce que récemment, j’étais dans la voiture, puis j’écoutais du Julio Iglesias et ma copine me disait « mais qu’est-ce que tu fais à écouter ça? ». Je lui ai répondu que j’étais un peu nostalgique ces jours-ci. Ce sont des souvenirs d’enfance, je me rappelle que les dimanches matin, quand je me réveillais, mes parents jouaient les vinyles de Julio Iglesias très fort dans la maison, pendant que ma mère faisait un peu de ménage.
Puis qu’est-ce que j’ai d’autre comme souvenirs ? La valse. Si je connais tous les morceaux de Strauss, c’est parce que ça jouait fort dans la maison, en vinyle, toujours en vinyle. Et pourtant, ce n’est pas du tout la raison pour laquelle j’ai une passion pour les vinyles. C’est juste un hasard !
Je me souviens aussi des musiques italiennes des années 1980. Quand je retourne en vacances en Italie, dès qu’il y a une chanson des années 1980 qui joue, je la chante. Je connais toutes les paroles parce que ce sont des souvenirs d’enfance.
PAN M 360 : Quels sont les genres musicaux qui vous ont accompagné à l’adolescence, une fois arrivée au Canada ?
Misstress Barbara : J’ai continué d’écouter de la musique italienne. Mon père est décédé maintenant, mais ma mère encore aujourd’hui, elle regarde la RAI à la télé, elle écoute la radio italienne, donc quand je suis chez elle, je continue d’entendre de la musique italienne. Mais quand j’étais adolescente, j’avais mon premier Walkman, mes premiers sous pour aller acheter de la musique, je m’achetais des cassettes des Beatles, The Police, Rolling Stones, Iron Maiden. J’étais vraiment une rockeuse. Je n’aimais pas la musique actuelle quand j’étais jeune. Madonna et Michael Jackson, j’aimais pas du tout, il fallait que ça soit du rock.
Ce qui est intéressant, c’est que j’y suis revenue plus tard. Quand tu produis de la musique, tu vas chercher des échantillons, souvent de disco. Quand j’ai commencé à produire de la musique, je suis retournée en arrière pour aller chercher des échantillons de Michael Jackson et d’autres musiques des années 1980 pour les mettre dans ma musique.
PAN M 360 : Comment la musique électronique s’est-elle introduite dans votre vie ?
Misstress Barbara : Étant vraiment une rockeuse, je ne connaissais pas vraiment la musique électronique underground. J’entendais ce qui jouait à la radio, je trouvais ça dégueulasse. À l’époque, c’était genre Eurodance, Corona – The Rythm Of The Night . Puis un soir, une amie m’a traînée à l’Octogone, c’était une discothèque sur le boulevard Gouin. Je n’aimais pas les discothèques, donc je m’emmerdais. Il faut savoir que c’était aussi l’époque de la bonne house underground qui commençait à sortir de l’underground et à arriver dans le monde populaire. Par exemple Hardrive – Deep Inside, Robin S. – You Got to Show Me Love ou CeCe Rogers.
Là, il y a un gars qui me regarde qui me dit, « t’aimes la house? », je dis « comment, c’est quoi ça, la house? » Il me répond « je t’ai vu bouger ton genou quand c’est de la house qui joue. Tu devrais essayer d’aller dans les raves et tu devrais fréquenter les bars gays, tu vas aimer la musique là-bas ».
Tout ça pour dire que je suis allée à mes premières soirées gays dans les bars, et j’ai trouvé la musique tellement bonne ! À l’époque, c’était les soirées Squeeze au Métropolis, il y avait le Royal, le Kox. C’était vraiment fou, c’était un autre monde. Et puis après, je suis allée mon premier rave. Je suis tombée en amour avec cette musique underground. J’ai dit je veux être DJ, c’est ce que je veux faire, voilà.
PAN M 360 : À quoi ressemblait la scène dans les années 1990 et comment votre carrière a-t-elle démarré à Montréal?
Misstress Barbara : Il y avait une magie dans les raves et dans les soirées on retrouvait ça. Les soirées Squeeze au Métropolis (MTELUS) les jeudis soir étaient des soirées gays qui n’avaient rien à voir avec un spectacle ou un concert. J’avais une fausse carte pour rentrer là parce que j’avais pas encore 18 ans. J’ai halluciné, il y avait des gens costumés, il y avait des drag queens, c’était normal. Et surtout, j’ai vraiment tripé sur la musique.
Puis à un moment donné, à force de m’amuser dans les soirées, j’ai conscientisé qu’il y avait quelqu’un qui mettait la musique. Comme je suis une grande curieuse, je veux toujours aller plus loin. Ça a été le cas avec le DJing, la production et plein d’autres choses. Par exemple, j’ai commencé à faire de la voile, mais c’était pas assez. Je suis devenue capitaine, c’était pas assez, je suis devenue instructeur de voile. J’ai commencé à faire du chocolat par expérimentation, puis finalement j’ai ma propre compagnie de la fève à la tablette. C’est dans ma nature.
Une fois que j’ai compris qu’il y avait des DJ derrière la musique, j’ai commencé à les regarder travailler, ce qu’il faisait avec leurs mains, les vinyles qu’ils mettaient. C’est ce qui m’a donné envie de devenir DJ.
PAN M 360 : Comment vous êtes-vous formée au DJing ?
Misstress Barbara : Un ami à moi m’a montré les bases. J’étudiais en cinéma et je touchais à tout, dont le montage sonore, donc je n’avais pas besoin qu’on m’explique les branchements. Non sans difficulté, j’ai trouvé mes propres tables tournantes, puis j’ai commencé à pratiquer 10, 12 h par jour. J’habitais chez mes parents, ils n’en pouvaient plus d’entendre toute cette musique. J’allais à l’école, je revenais, puis je mixais. Parfois je mixais avant d’aller à l’école, ma vie n’était que ça. On ne peut pas te montrer comment mixer, ça te prend du rythme et de la pratique. À quel moment tu enlèves le disque, c’est du feeling, de la musicalité. Si tu l’as t’es un bon DJ, si tu l’as pas, tu fais ça mécaniquement sans aucun feeling. Il y en a plein des comme ça maintenant, surtout parce que c’est l’ordinateur qui mixe pour toi. Mais j’ai vraiment appris de manière autodidacte.
PAN M 360 : Et la production, c’est arrivé à quel moment ? Était-ce une suite naturelle et logique au développement de la carrière de DJ ?
Misstress Barbara : Il faut spécifier qu’à l’époque, si j’avais des bookings jusqu’au Japon, c’était pas grâce à Facebook, il n’y avait même pas de courriel, je recevais des faxes ! Si j’ai été jusqu’à là-bas c’est parce que j’ai compris assez rapidement que si je voulais tourner partout dans le monde il fallait que j’ai des disques qui sortent, donc j’ai commencé à produire.
Et bien qu’aujourd’hui, j’aime produire pour pour ce que c’est, faire la musique, au début de ma carrière je disais ouvertement que je ne produisais de la musique car c’est ce que ça prenait pour me faire connaître et être bookée partout dans le monde. Mais ça a toujours été une guerre pour moi parce que ce que j’aime créer en studio, c’est pas ce que j’aime jouer comme DJ. Si tu crées quelque chose, il faut un peu que ça soit ta carte de visite. Si je suis une DJ techno je devrais produire de la techno, puis j’en produis de la techno, mais ça me prend plus d’efforts comparé à produire de la pop, quelque chose de mélodique. J’ai fait 2 albums pop et ça m’a mis des bâtons dans les roues parce que les gens achètent, ils disent, « mais c’est quoi ça ? C’est pas Misstress Barbara » parce que comme DJ, je joue de la grosse techno. Est-ce que j’ai envie de changer mon style de DJ ? Non. Ça a toujours été ce gros paradoxe tout le long de ma carrière et encore aujourd’hui quand je dois mettre en studio pour faire de la musique techno je trouve ça difficile, mais je sais que c’est ce qu’on attend de moi.
PAN M 360 : Il y a quelques mois vous avez publié sur les réseaux sociaux une vidéo de votre prestation à I Love Techno (Belgique) 2002. Est-ce que ce derrière cette publication il y a une forme de nostalgie ?
Misstress Barbara : Oui, une grosse nostalgie parce que premièrement les années 2000, c’était vraiment pour moi mes plus grandes années. Après, j’ai commencé à ralentir, ça s’est fait en même temps que mes albums pop. En fait, c’est moi qui avais le sentiment d’avoir fait le tour de la question. J’ai fait le tour du monde 43 fois, retourner au même festival, ce n’est pas que ça me déplaisait, mais au final, c’était toujours la même chose. Je gagne bien ma vie mais j’ai besoin de sentir que je nourris mon âme et je trouvais que ça se répétait un peu. J’ai commencé à écrire des chansons, j’ai sorti mes albums, mon premier en 2009, ce qui m’a confirmé que aussi toucher à d’autres choses que juste des platines, sans toutefois vouloir arrêter le métier de DJ. Mais malheureusement c’est tellement un milieu puriste que si tu fais d’autres choses, ça fait mal à ta carrière de DJ, puis ça ralentit tout seul.
C’est aussi la nostalgie d’une époque où j’étais jeune et insouciante. Il y a la nostalgie parce qu’à l’époque, tout était sur vinyle. Maintenant, tout le monde est DJ, tu n’as pas besoin d’avoir du talent. Comme je disais, l’ordinateur trouve la prochaine chanson qui match selon la tonalité, le style et fais le beatmatching pour toi. Franchement, ça me décourage. Et puis il y a des gens qui ont une carrière parce qu’ils ont des millions de followers qu’ils ont achetés. Mon propre agent m’a dit, « Barbara, il y a des promoteurs qui ne bookent pas parce que t’as pas assez de followers« , on est rendu là-dedans, on ne parle plus de talent là. Il y a de la nostalgie d’une époque qui n’est plus la même.
PAN M 360 : C’est votre 21ème participation au Piknic !
Misstress Barbara : Le Piknic est vraiment spécial. Je peux jouer devant 40 000 personnes en Andalousie, pas de problème. Et pourtant, à Montréal, j’ai les mains qui tremblent avant de jouer ! Parce que c’est la maison, parce que c’est mon public, parce que c’est ici que j’habite et parce que je ne veux jamais décevoir aucune de mes publics, jamais, mais décevoir à la maison, pour moi ça serait mortel. C’est important de faire plaisir à mes fans ici encore plus qu’ailleurs. Au fil du temps, j’ai développé quelque chose de vraiment spécial avec le Piknic. Je trouve le public différent d’ailleurs, je reconnais même parfois certains visages depuis les années et ce qui fait que c’est vraiment spécial pour moi et que je ne me tanne pas. Ce n’est pas juste de retourner à l’événement, c’est aussi de savoir qu’il y a un public qui t’attend.
BILLETERIE PIKNIC ELECTRONIK MTL #13: MISSTRESS BARBARA / HOUSE OF YOUTH: FORREST – 3 septembre, 16h