Mdou Moctar, guitare du désert, guitare du Niger

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : Afrique / blues saharien / rock / takamba

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Adulé par les amateurs de blues du désert et autres férus de musiques actuelles d’Afrique, Mdou Moctar s’apprête à conquérir le public rock depuis sa signature récente chez Matador et la sortie imminente de l’album Afrique Victime. 

Rappelons que le label spécialisé Sahel Sounds avait d’abord repéré au Niger l’artiste touareg. Superbe découverte ! Mdou Moctar redoute les honneurs, ne se voit pas comme un guitar hero du Sahara. Néanmoins très doué (quoi qu’il en pense), il n’a cessé d’enregistrer depuis 2013. 

Il n’est certes par le premier artiste touareg à se distinguer sur la scène internationale, on fait l’apologie de cette culture sahélienne depuis au moins deux décennies de Tinariwen, Etran Finatawa, Bombino, Terakaft, Les Filles de Illighadad, plusieurs autres. Ce que les Occidentaux ont nommé « blues du désert » est un style mythique dans ce qu’il a d’originel dans la musique afro-américaine et dans l’ensemble de la culture musicale universelle. La mise en lumière de ce cette culture ancestrale désormais électrifiée est d’autant plus légitime pour les artistes africains d’hier et d’aujourd’hui.

Mdou Moctar n’est donc pas le premier artiste saharien ni le dernier à être révélé au monde, mais son tour est venu sous le soleil du Niger.

Après quelques tentatives avortées, PAN M 360 l’a finalement joint chez lui dans son village à quelques centaines de kilomètres au nord-est de la capitale Niamey.

PAN M 360 : On dit de vous que vous êtes à devenir le guitariste électrique le plus aguerri dans la zone saharienne. Qu’en pensez-vous ?

MDOU MOCTAR : Vous croyez?  Merci pour le compliment mais pour moi, ce n’est pas ça. Je n’ai jamais pensé être aussi avancé qu’on le dit, je ne crois pas avoir mené la guitare touarègue à un autre niveau. J’ai plutôt l’impression d’être encore un débutant ! C’est ce que je sens au fond de moi.  À mon avis, je fais de mon mieux, je ne suis pas encore devenu  un très bon guitariste mais… je suis devenu moi.

PAN M 360 : Comment avez-vous appris à jouer ? 

MDOU MOCTAR :  J’ai appris seul au départ. Petit, je m’étais construit une guitare de fortune et j’ai fini par en obtenir une vraie. Puisque je viens d’un milieu très religieux, la musique n’était pas la bienvenue, il me fallait être discret. Mais j’avais la passion de la musique alors j’ai fait de mon mieux pour apprendre à jouer et devenir ce que je suis aujourd’hui… tout en restant selon moi un apprenti.

PAN M 360 : À quelques reprises, on a tenté de vous contacter le soir. Nous y voilà enfin ! Pourquoi vous parler après 22h ?

MDOU MOCTAR : D’une part parce que c’était le ramadan (maintenant terminé) et d’autre part parce que nous vivons la nuit lorsqu’il fait très chaud – aujourd’hui 45 degrés, par exemple…pas facile quoi ! Aussi, la communication est difficile à établir où je suis; je ne vis plus à Agadez où j’ai résidé plusieurs années, je suis retourné vivre dans mon village natal qui est le village de ma mère, soit Tchintabaraden, relativement proche de Tahoua. Les deux musiciens de mon groupe proviennent d’Agadez ou de chez moi.  Nous jouons généralement à trois. 

PAN M 360 : Comment avez-vous mis au point  votre propre style ?

MDOU MOCTAR : J’aime beaucoup la musique traditionnelle takamba des peuples touareg et songhai, dont l’instrument central est le ngoni – nord du Mali, ouest du Niger. Pour la guitare, j’ai beaucoup regardé jouer Eddie Van Halen et Jimi Hendrix sur You Tube, j’ai vraiment aimé ce qu’ils faisaient. Dans la région, j’aime particulièrement  la musique du guitariste malien Baba Salah, qui provient de la région de Bamako. Pour les textes, je chante en langue tamashek. Mes sujets sont variés. Je peux parler de l’amour, de l’Islam, plusieurs autres sujets. 

PAN M 360 : Vous conviendrez que l’étiquette “blues du désert” sert à vendre votre musique aux Occidentaux. En réalité, sur quoi se fonde-t-elle ?

MDOU MOCTAR : Sur le style takamba. Si tu écoutes attentivement mon jeu de guitare, tu réaliseras que ce n’est pas tant de la guitare au sens occidental; mes sonorités et mes motifs s’inspirent davantage des instruments traditionnels du style takamba. Mon propre style, je l’ai trouvé à travers la musique traditionnelle, c’est ce qui fait la différence. Je suis donc plus proche de mes racines touarègues que du blues ou du rock.

PAN M 360: Vos voyages et tournées à l’étranger ont-ils transformé votre approche au fil du temps ?

MDOU MOCTAR : Plusieurs de mes découvertes en musique ont été faites à travers le voyage. J’ai pu entendre d’autres artistes et aussi me procurer de l’équipement dont plusieurs pédales.Aujourd’hui, ma guitare principale est une Fender Stratocaster, je possède aussi une Fender Jaguar. Je m’intéresse aussi à d’autres musiques, j’ai fait d’ailleurs quelques tests pour l’inclure dans le style touareg. J’aime découvrir les nouvelles musiques de manière générale, je suis plutôt curieux de nature. Avec ces influences, j’ai fait évoluer ma musique à ma manière. J’ai tourné à l’étranger, surtout l’Afrique du Nord, l’Europe, l’Amérique du Nord… Actuellement, je tends à rester chez moi, je vais parfois au Nigeria où j’ai de la famille mais en général je ne bouge pas trop et me concentre sur ma musique. Bien sûr, si j’ai de nouveau la chance de voyager avec mon groupe, je le ferai car présenter des concerts fait partie de ce que je suis. Évidemment, je veux continuer à faire des albums et des tournées. D’ailleurs, j’ai déjà commencé à jouer mes morceaux devant mon public au Niger. 

PAN M 360: Vous vous produisez essentiellement en trio ? 

MDOU MOCTAR :  Mon groupe du Niger est constitué de guitares et batterie,  mon bassiste est Américain (New York)  pour le studio et la tournée. Afrique Victime a d’ailleurs été enregistré dans différents studios aux États-Unis lorsque nous étions en tournée –  peu avant la pandémie. Petit à petit, on a enregistré les nouveaux titres et on les a regroupés dans cet album. 

PAN M 360: La pandémie a-t-elle frappé fort chez vous ?

MDOU MOCTAR : Nous n’avons pas vraiment de problèmes avec la pandémie. Notre problème, c’est plutôt l’exploitation de nos ressources par les étrangers, c’est la présence militaire française ou américaine sur notre territoire. Tout ça génère de la frustration et encourage le terrorisme. 

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