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Le ton, le verbe, le tonus de la voix, l’assurance, tout semble réussir à cette femme de 27 ans. Qu’est-ce qui fait ainsi carburer Marie et Chloé ? Quelques mois après son envolée en solo, PAN M 360 veut des réponses !
Voyez sa trajectoire racontée par elle-même :
« Je suis née à La Salle. J’ai grandi dans un beau secteur de ce quartier que certains qualifient de Bronx de Montréal. J’ai eu une belle enfance. Après l’école secondaire, j’ai étudié en arts et communications au cégep du Vieux-Montréal. À 19 ans, j’ai voyagé à vélo, six mois en Inde. Au retour, je me suis réorientée : je me suis mise au rap et aux sciences. »
Côté givré, Chloé s’est passionnée pour le beatmaking, la basse électrique et le rap. Au tournant de la vingtaine, elle kiffait le hip-hop comme ses amis. C’est devenu soudainement un véritable engagement :
« J’ai commencé à en écouter beaucoup plus lorsque je me suis mise à faire des beats. J’ai fait mes dents tout en écoutant beaucoup de musique. Je consomme actuellement beaucoup de rap belge, à tel point que je suis allée deux fois à Bruxelles en un an pour rencontrer des gens. Cette plume-là m’inspirait. »
Son premier groupe fut Bad Nylon, on lui connut différentes configurations féminines depuis 2014. Pour un EP de Bad Nylon, elle s’est cherché un nom.
« Je squattais l’internet d’un voisin dont le nom de réseau était Marie Gold. Parfait pour moi! Le prénom Marie est typiquement francophone, le Gold a le bling du hip-hop. »
Ses parents n’écoutent pas vraiment de hip-hop mais son père, Gaétan Pilon, est ingénieur du son. Il fut propriétaire du studio Victor, pour ensuite transformer la maison familiale en studio d’enregistrement et de matriçage.
« J’ai fait moi-même beaucoup de trucs au studio de mon père. Il m’a prêté de l’équipement et je me suis monté un petit studio chez moi. Et je fais pas mal de trucs là. L’école le jour, le studio le soir. »
La passion pour le rap coïncide avec le génie. Au retour de son année nomade post-adolescente, elle rattrapait ses études secondaires et collégiales en sciences pour éventuellement s’inscrire à l’École Polytechnique de l’Université de Montréal. Aujourd’hui elle est au terme de ce long processus et deviendra ingénieure.
« J’aimerais toujours balancer entre les sciences et le rap. Mais le rap n’est pas un plan B! Je veux me lancer à fond. » On peut la comprendre. Si la carrière de Marie Gold fleurit pour de vrai, Chloé Pilon devra mettre la pédale douce dans le génie physique.
Et pourquoi persister en sciences lorsqu’on fait du rap ?
« J’ai acquis une confiance intellectuelle en étudiant à Poly, ça me donne du recul, une capacité d’analyse, et une capacité de remise en question. C’est full important ces valeurs-là. Comme ingénieure ? Je ne me vois pas travailler chez Bombardier mais plutôt dans une startup, dans une ONG se consacrant à l’environnement.
« Ça va jouer du coude mais il y aura toujours une présence des deux côtés. Je suis vraiment contente d’avoir fait ça! Je vais toujours faire du rap et du génie. Je suis aussi une grande lectrice, je n’ai pas l’internet chez moi. Soit je lis, soit je fais de la musique, soit j’étudie, soit je vois mes amis, c’est mon cercle d’activités. Je suis une artiste essayant de trouver un équilibre entre sa vie personnelle, artistique et intellectuelle. »
Après s’être remonté le Bad Nylon avec une nouvelle cohorte de collaboratrices, elle choisissait de mettre Marie Gold au devant de la scène.
« Pour mon premier EP, je m’étais autoproduite avec l’appui d’un musicien. Je faisais mon beatmaking, je faisais mes pistes de basse. Plus maintenant. Là, pour l’album, je me suis entourée de plusieurs producers. Venu à Montréal pour un an, le collectif parisien Novengitum m’a contactée sur Instagram. Depuis, je collabore encore avec eux, même s’ils sont rentrés en région parisienne. Igor Dubois a fait le mix de tout l’album, il y a Déjà Vu, Comat, Francis Leduc-Bélanger, Désir Lister, mammouth, Daysiz, Mowley, DJ Kool, 2300.wav… plein de beatmakers sur l’album! »
La facture n’est pas exclusivement synthétique, la rappeuse explique :
« Plusieurs instruments ont été ajoutés. Par exemple, j’avais un beat et j’allais voir Francis qui faisait des arrangements avec moi, impliquant des instruments divers – section de violons sur Impatiente, trompette sur Pousse ta luck, contrebasse sur J’irai cracher sur vos tombes, piano sur Doser, guitare de Clément Langlois-Légaré sur Aucun bling, etc. »
Assez pop ou trop pop ? Marie Gold recherche le dosage idéal :
« Je pense que certaines chansons comme Impatiente ou Mémoire sont plus pop alors que La seule règle, J’irai cracher sur vos tombes restent dans une structure pop, mais sont un peu moins radiophoniques. Je cherchais une juste mesure. D’une part, je veux joindre un plus vaste public et aussi celui qui est le mien de prime abord.
« Je me vois mal dans la simplicité musicale, mais j’assume pleinement mes chansons plus pop. Je souhaite aussi une certaine complexité. Mes projets doivent avoir une personnalité propre et aborder une variété de thèmes. Avec moi sur scène ? Un batteur et une DJ. De plus, je prépare actuellement un nouvel EP ainsi qu’un mixtape. »
On devine que des pointures comme Lydia Képinsky et J-Kyl (Jennifer Salgado) lui accordent une grande crédibilité puisqu’elles ont accepté de se joindre à elle en studio pour son premier album. Ses textes, d’ailleurs, Marie Gold les veut solides et poétiques. « Je n’ai pas de références littéraires directes, j’essaie d’aborder une variété de thèmes un peu comme j’explore maintes directions musicales. »
Qui plus est, notre interviewée assume pleinement le féminisme sous-tendu à sa démarche en tant qu’artiste hip-hop. Qu’elle ait régulièrement partagé ses projets créateurs avec des femmes n’est certes pas un geste idéologique forcé ou crispé, la présence marquée de voix fortes au féminin coule de source.
« Je ne veux surtout pas être une voix de femme sur des beats génériques au service d’un rapper. Je veux get out there ! Comme Sarahmée, MCM, Naya Ali ou Meryem Saci. Il y a une présence féminine dans le rap keb et dans les WordUP! battles – Tyleen, Sereni T, Coco Béliveau ou Marie Vans par exemple. Mais encore trop peu de femmes envisagent une vraie carrière dans le rap keb. »
Cette posture critique n’empêche aucunement Marie Gold de clamer son allégeance à la scène locale :
« Je me sens totalement dans le rap keb. Je suis très fière de ce mouvement, je m’inscris dans cette lignée-là, j’ai un sentiment d’appartenance. Le premier EP de Loud, par exemple, fut une vraie source d’inspiration. Le rap keb prend toutes sortes de directions mais l’identité québécoise y est assumée. C’est une famille élargie. »
Une inspiration pour l’Ordre des ingénieurs du Québec ?