Marianne Trudel, 3 albums neufs et… que sa joie (de l’éphémère) demeure !

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : jazz contemporain

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Freinée un moment durant la pandémie, la pianiste Marianne Trudel a eu tôt fait de retrouver son mode de vie immergé d’une insatiable passion musicale, assortie d’un workaholisme qu’on lui connaît : elle sort cet automne 3 albums qu’elle visualise tel un triangle : solo À pas de loup, duo Dédé Java Espiritu avec l’excellent batteur et professeur émérite John Hollenbeck, Trio Time Poem : La joie de l’éphémère avec le même collègue percussionniste et le bassiste / contrebassiste Rémi-Jean Leblanc. La grande et pleine nature, la fragilité totale de l’existence, la perte, la célébration de la vie sont les pièces du moteur pianistique et compositionnel mis au point par la jazzwoman de 46 ans, compositrice, improvisatrice, arrangeure, leader d’orchestre, productrice, assurément l’une des plus dynamiques de la scène montréalaise.
 
PAN M 360 : Commémoration, donc. 

Marianne Trudel : C’est un peu un prétexte, car ces trois albums ont été conçus dans la même période, la fameuse pandémie. J’attendais alors que les concerts reprennent. Une série de concerts avec John (Hollenbeck) avait été reportée trois fois, une série de concerts en trio avait été reportée quelques fois aussi. Bref, j’enseignais en ligne, j’attendais la reprise des activités. En parallèle, j’ai entrepris de terminer un doctorat que j’avais commencé il y a dix ans, puis que j’avais laissé en plan parce que j’étais trop occupée avec les concerts et l’enseignement. J’avais reçu un dernier ultimatum (au bout de dix ans, il faut déposer), ça me chicotait.

PAN M 360 : Si on comprend bien, plusieurs facteurs ont retardé la sortie de ces albums.

Marianne Trudel : Ça aurait peut- être été judicieux de les sortir avec des écarts de quelques mois, mais à un moment, je les ai vus vraiment comme un triangle, comme trois points importants d’une même démarche. C’est trois facettes, c’est trois compléments, je ne sais trop. Mais ils vont ensemble dans ma tête même s’ils sont très différents. Ils sont tous très inspirés de la nature, avec John comme l’élément liant entre le duo et le trio. Je me suis dit « Tant qu’à m’endetter, je vais m’endetter pour vrai, let’s go! ». J’en sors normalement un seul à la fois, mais là, je me suis dit « Tiens, ça pourrait être le fun. »

PAN M 360 : Il y a donc un duo, un trio et… À pas de loup

Marianne Trudel : Un album solo, oui. J’avais envie d’oser quelque chose avec une musique au ralenti, enveloppante, un peu moins jazz. Ce n’est pas un album jazz à fond la caisse, ces compos se trouvent au carrefour de la musique classique, de la musique contemporaine, du jazz bien sûr et autres influences musicales. Il m’importait de faire les choses comme ça car je me sentais bardassée de tous bords tous côtés. J’avais besoin d’un refuge et j’avais envie de partager ce refuge.

PAN M 360 : Minimaliste, calme, cet album est effectivement un refuge aux frontières du silence.

Marianne Trudel : Je suis amoureuse du silence, c’est peut-être un paradoxe. Depuis mon enfance, j’ai besoin du silence, j’aime le silence. Des fois, c’est confrontant comme musicienne : tu veux créer, apporter quelque chose et en même temps, tu trouves déjà le monde pas mal bruyant. Alors on a besoin de cette remise à zéro. Le titre de mon album solo s’intitule À pas de loup et on a en sous-titre Quiet sound for a loud world. C’est vraiment dans un esprit de calme, de douceur, de délicatesse. J’avais envie d’un truc qui vibre sur une autre fréquence. On ralentit le moteur, on s’écoute penser.

PAN M 360 : Il y a surtout du piano dans À pas de loup, mais il y a aussi de l’harmonium.

Marianne Trudel : L’instrument était dans le studio de Pierre Marchand. D’habitude les harmoniums, c’est beaucoup plus petit, peut- être trois octaves.Celui-là, c’était vraiment 88 notes, jamais vu un tel harmonium. Je m’assois à cet instrument avec les pédales, le système de soufflets et tout ça. Là, le feeling que j’ai eu après trois secondes ! Je me suis mise à pédaler là- dessus et faire surgir le son. C’était tellement enveloppant, c’était tellement rassurant. Je dis à l’ingénieur du son let’s go, sors tes micros! »

PAN M 360 : Et puis le duo piano-percussions avec John Hollenbeck, Dédé Java Espiritu, dont la matière est jouée ces jours-ci.

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Marianne Trudel : Il y a une grande part d’improvisation dans notre musique. Ça part un peu dans tous les sens. Il y a des trucs super mélodiques, il y a des trucs super groovy, il y a des trucs plus bruitistes, plus free, plus expérimentaux. John et moi avons développé ensemble une grande complicité musicale.

PAN M 360 : Et puis il y le trio : Time Poem : la joie de l’éphémère.

Marianne Trudel : C’est avec John Hollenbeck, batterie, qui est un peu le liant de mes projets, et Rémi-Jean Leblanc, contrebasse et basse électrique. Avec moi, il n’avait toujours joué que de la contrebasse, mais là, j’avais envie des deux et c’est super le fun aussi, super lumineux.

PAN M 360 : Cet album est le premier à être sorti de ce triptyque. Né dans quelles circonstances?

Marianne Trudel : Pendant la pandémie, j’ai été musicalement paralysée pour la première fois de ma vie artistique. Moi qui écris normalement à tous les jours, je ne sortais plus une seule note. Sans les concerts, ça perdait tout son sens. Un jour, je suis tombée face à face avec un ingénieur du son que j’adore, Rob Heaney, alors que j’enregistrais une piste de piano pour un artiste de Vancouver. Rob avait enregistré plusieurs de mes albums précédents, c’est un gars passionné par la musique, super sollicité – Cirque du Soleil, Patrick Watson, etc. « Écoute Rob, je n’ai pas écrit une note depuis un moment. » Il me dit alors :« Voyons, ça ne te ressemble pas du tout! Appelle-moi, on va se booker une séance de studio. Tu n’auras pas le choix, tu vas te remettre à l’ouvrage. » C’était ce dont j’avais besoin!

PAN M 360: Et comment le travail a-t-il repris ?

Marianne Trudel: C’était l’été 2021, je suis partie le lendemain en Gaspésie pour mes vacances. Me voilà dans le mini chalet que j’avais loué pour aller faire de la rando pendant une semaine. Avant d’aller dormir, je vais sur Facebook et je vois des messages sur Facebook. « Rob, pourquoi nous as-tu quittés? » Le cœur me débat, je ne dors pas de la nuit. Très tôt le lendemain matin, j’appelle François Richard, un proche de Rob. « Il est mort au volant de sa voiture. Arrêt cardiaque. » Ça m’a donné tout un choc. Je me suis alors enfermée dans le petit chalet, je n’ai pas mis le nez dehors ou presque. Et j’ai écrit neuf pièces en neuf jours pour mon trio. J’ai peut-être dormi une dizaine d’heures en tout, je me suis effondrée à la fin. Je n’ai jamais fait un trip comme ça, c’était jour et nuit, c’était très grisant.

PAN M 360 : La disparition tragique de cet ingénieur du son fut donc un puissant déclencheur!

Marianne Trudel : L’album s’intitule La joie de l’éphémère parce que j’ai toujours été très sensible à la fragilité de la vie. Et là, je l’avais en plein visage. C’était une façon de célébrer ma chance d’être en vie. Et aussi il y a tout le côté éphémère que j’adore avec la musique improvisée: tu peux vivre un moment magique, ça part dans l’espace et c’est fini, on n’y touchera pas. Alors un événement tragique s’est transformé en lumière. Ce disque-là, il est hyper lumineux et je l’ai dédié à Rob. J’ai appelé John, Rémi et Jean : « Écoutez, j’écris de la musique, je veux faire ça rapidement. » C’est là que ça se passe. On est entrés en studio, on a fait ça en deux jours, après quoi on s’est mis à faire des concerts. Tout ça s’imbrique.

PAN M 360 : Tu as ainsi retrouvé pleinement ton dynamisme perdu pendant la pandémie. Et donc vite réparé cette petite fissure de cet édifice que tu construis depuis le début des années 2000!

Marianne Trudel : Il y a à peu près six mois, quelqu’un m’a demandé depuis quand je pratiquais ce métier. J’ai réalisé alors ça faisait 40 ans que je jouais du piano, et que mon premier album était sorti il y a à peu près 20 ans. Encore aujourd’hui, je fais des semaines de 60 heures avec l’école, mon booking, mes productions. Pourquoi ne pas le souligner? Solo, duo, trio: trois facettes de la pandémie, un témoignage de cette période avec leurs couleurs différentes et complémentaires.

crédit photo: Michel Pinault

MARIANNE TRUDEL ET JOHN HOLLENBECK SE PRODUISENT LES 2, 4, 8 ET 9 NOVEMBRE DANS LES MAISONS DE LA CULTURE SUIVANTES:

2 nov 202319h30Conseil des arts de Montréal en tournée: Marianne Trudel — John Hollenbeck: Dédé Java EspirituMontréal, Québec
Salle Oliver Jones — Maison culturelle et communautaire de Montréal-Nord
4 nov 202319h30Conseil des arts de Montréal en tournée: Marianne Trudel — John Hollenbeck: Dédé Java EspirituMontréal, Québec
Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal
8 nov 202320h00Conseil des arts de Montréal en tournée: Marianne Trudel — John Hollenbeck: Dédé Java EspirituMontréal, Québec
St Jax Montréal
9 nov 202319h00Conseil des arts de Montréal en tournée: Marianne Trudel — John Hollenbeck: Dédé Java EspirituLaSalle, Québec
Théâtre du Grand Sault — Centre culturel et communautaire Henri-Lemieux

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