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Sous la direction d’Alain Trudel, l’Orchestre symphonique de Laval (OSL) a exécuté devant public l’œuvre Makizin Waawaaskonenh, soit le 5 mai dernier. Il s’agit d’un conte mis en musique par Barbara Croall, compositrice autochtone de formation classique, issue de la nation Odawa.
Incluant la Suite Pulcinella d’Igor Stravinsky et la Suite on English Folktunes A Time There Was de Benjamin Britten, ce programme métissé est offert en webdiffusion, soit du 26 mai au 8 juin – POUR Y ACCÉDER, C’EST ICI.
En ligne, le public pourra entendre le mariage d’un orchestre symphonique occidental avec le legs ancestral autochtone à travers le conte musical. Barbara Croall et Alain Trudel racontent tous deux le concept de l’œuvre et son interprétation avec orchestre.
PAN M 360: Pouvez-vous nous décrire le concept de votre spectacle?
BARBARA CROALL: Makizin Waawaaskonenh ou la fleur de mocassin (connue sous l’appellation blanche sabot de la vierge) est une œuvre que j’ai conçue durant la fin de l’été 2017, à la requête du maestro montréalais Boris Brott. Nous l’avons jouée pour la première fois en novembre cette même année. L’œuvre s’inspire des souvenirs de mon enfance. J’ai passé beaucoup de temps dans la nature, accompagnée de femmes de ma famille. Elles m’ont appris leurs connaissances sur les plantes, entre autres, ce fut une chance pour moi d’avoir accès à ces précieuses informations. Alors souvent, le printemps nous amenait des fleurs magnifiques ressemblant à de petits mocassins. C’est à ce moment qu’on m’a raconté leurs histoires, je devais avoir 4 ans. La plupart des plantes ont une fable leur étant dédiée, souvent une histoire sacrée. Alors il faut faire attention quand nous racontons ces secrets.
L’histoire de la fleur de mocassin est connue de toutes les familles anishinaabes. Cette fable met en valeur la guérison et le courage d’une petite fille voulant sauver son village d’une maladie. Je n’ai d’ailleurs jamais pensé à l’ironie de cette histoire racontée aujourd’hui. Quand Alain Trudel m’a demandé si j’avais une pièce à présenter, je me suis souvenue de celle-là. C’est un honneur pour moi qu’elle ait été exécutée, ce fut un plaisir de travailler avec le maestro et la narratrice Émilie Monnet. Nous avons aussi eu l’aide d’un traducteur pour retravailler la langue de façon à présenter l’histoire en français de la façon la plus fidèle et respectueuse.
ALAIN TRUDEL: Ce projet fait un peu partie de l’histoire de notre pays. Nous sommes voisins avec les Premières Nations, mais on ne se connait pas bien. Quand j’étais dans l’orchestre de Radio-Canada, j’ai rencontré Barbara, et j’ai rapidement enregistré une première pièce avec elle. Au fil de quelques collaborations, j’ai été complètement séduit par son univers. Elle a une façon unique de voir la relation entre les sons et la musique. Avec elle, on ne regarde pas une histoire accompagnée d’une trame sonore, on vit une histoire. On aurait pu simplement faire jouer l’orchestre avec des pastiches racontant une petite fable, mais ce n’est pas ce que Barbara a fait. D’une manière non traditionnelle, elle a confié des rôles aux membres de l’orchestre qui jouaient à des moments précis. Les musiciens ont donc eu une plus grande responsabilité individuelle.
La configuration de l’orchestre fut d’ailleurs un peu différente. Avec la Covid-19, on ne peut pas prendre le groupe au complet, la distanciation sociale reste tout un défi ! On a donc besoin de tout l’espace possible pour faire entrer les deux tiers de nos musiciens. Nous ne sommes pas démunis pour autant avec une quarantaine de musiciens; nous avons une section de cordes; violons, altos et contrebasses. Mais ce que Barbara a changé, ce sont les instruments à vent qui jouaient tous individuellement. Seulement une flûte, un hautbois, un basson, une trompette, deux cors et une harpe. Les percussions sont utilisées de façon inattendue. Elles ne donnent pas juste le rythme, elles accompagnent les mots et soulignent l’histoire. Le tout n’est pas joué trop fort.
PAN M 360: Pouvez-vous décrire vos influences musicales dans Makizin Waawaaskonenh?
BARBARA CROALL: Le style découle de la musique avec laquelle j’ai grandi. Du chant et de la danse traditionnelles, accompagnés d’une éducation complète en musique classique. Selon moi, il est possible de connecter notre propre héritage culturel avec les instruments classiques. La musique d’orchestre est en constante évolution, plusieurs artistes lui font emprunter des directions nouvelles et excitantes. D’ailleurs, je ne sais plus si on doit encore lui coller le nom de musique classique. En travaillant avec l’orchestre, en fait, j’ai essayé de reprendre les sons de la nature. Le rythme et la mélodie sont importants, mais la nature a aussi un rythme.
ALAIN TRUDEL: Pour refaire ces sons, il y a beaucoup de choses dans le langage musical de Barbara, qui a été totalement inventé par elle. Je connaissais déjà son style, mais j’ai eu beaucoup de questions de la part de nos musiciens. À travers les quelques jours de répétition, on a travaillé d’arrache-pied pour que le tout devienne familier aux interprètes de l’orchestre.
PAN M 360: Pourquoi reprendre cette histoire en particulier?
BARBARA CROALL: C’est une petite fille qui rend visite à sa grand-mère et vit une grande aventure en chemin. Elle est comme tant d’enfants qui découvrent la nature. C’était comme revivre mon enfance, comme si j’étais cette petite fille. C’est aussi une histoire de reconnexion avec le passé. Dans cette histoire, la grand-mère est une survivante des pensionnats autochtones. Le chemin pris par l’enfant est aussi celui de son ancêtre pour se rendre à l’école. Quand on réfléchit au passé des autochtones, on se rend compte qu’il fait mal. Alors je perçois la fleur de mocassin comme un symbole de guérison après le passé colonial.
ALAIN TRUDEL: Le sens des thèmes est aussi intéressant. L’humain et la nature… Quelque chose que la société moderne ne comprend pas totalement. On pense saisir, mais pour les Premières Nations, c’est une façon de vivre. Moi j’aime que ce soit une histoire de guérison, et ça tourne autour du thème de la Covid apparue chez les humains parce qu’on ne respecte pas assez la nature. C’est un beau parallèle avec notre monde, mais qui reste assez subtil.
PAN M 360: Comment avez-vous intégré des éléments de culture autochtone à un concert classique?
BARBARA CROALL: Quand je crée un arrangement, peu importe le nombre de musiciens, j’ai besoin d’y représenter ma culture. Je vois ça un peu comme une façon de reprendre la maîtrise de notre histoire. La plupart des cultures issues des Premières Nations accordent une grande importance au conte. Pour moi, il est naturel de les raconter de nouveau, j’ai grandi avec elles après tout. J’ai collaboré avec l’orchestre et des aînées anishinabe pour raconter une histoire traditionnelle, mais avec la musique comme moyen de transmission. D’ailleurs, ma première œuvre professionnelle fut aussi conçue avec l’aide des aînées. J’aime aussi tester les sons d’instruments différents. Je vais passer des heures avec un instrument pour refaire les sons récoltés dans la nature. Plusieurs vous diront que les animaux furent nos premiers professeurs. La nature fut certainement un professeur pour moi.
Je ne vois pas ça comme une intégration de ma culture, mais plus comme une collaboration. Je reprends la tradition du conte et je l’intègre à la culture de la musique classique. Je remercie d’ailleurs l’Orchestre symphonique de Laval pour tous leurs efforts dans ce travail.
ALAIN TRUDEL: C’est lié à la façon qu’a Barbara de mêler le son aux instruments. Il y a des tambours autochtones, mais surtout du chant. Après tout, on a commencé un peu à se réveiller par rapport à cette culture qui fait pourtant partie de notre ADN. Mais… il n’y a pas encore beaucoup de gens qui peuvent nommer les 11 Nations autochtones, nous avons beaucoup à apprendre sur cette culture millénaire. Ce n’est pas une question d’intégrer la culture autochtone, c’est une question d’en être conscient.