renseignements supplémentaires
De 2006 à 2020, Kent Nagano fut le directeur musical et chef principal de l’Orchestre symphonique de Montréal, la pandémie mondiale a malheureusement bousillé la fin de son séjour montréalais à la barre de l’OSM, soit une série de concerts spéciaux prévus au printemps et à l’été derniers… évidemment annulés ou reportés. On imagine déjà des invitations en 2021 lorsque les salles de concerts seront autorisée à rouvrir. D’ici là, il accorde cette interview de fond à PAN M 360.
Réalisée il y a quelques jours, cette interview avec Maestro Nagano est présentée en deux parties. D’abord, nous présentons le volet des questions relatives à son séjour montréalais de 14 années, puis nous causerons du plus récent enregistrement de l’OSM (paru chez Analekta) sous sa direction avec pour soliste le premier violon de l’orchestre, Andrew Wan.
La première question qui vient à l’esprit après ces 10 mois de profondes perturbations dans le milieu de la musique concerne la ronde finale du maestro dont 2020 était la dernière année à la barre de l’OSM, sortie malheureusement éradiquée par la pandémie.
« Bien sûr, c’est décevant. Je crains que la situation actuelle ne soit tout simplement hors de notre contrôle. Nous devons rester positifs. Et je pense que le vaccin aura un effet positif à la fin du printemps ou au début de l’été. La finale a été vraiment très riche, pas un seul concert mais un processus riche, c’est le meilleur mot à utiliser. Plusieurs concerts liés entre eux, qui allaient faire un crescendo ou une récapitulation générale vers la fin, et cela a impliqué non seulement l’OSM mais aussi la communauté ainsi que de nombreux artistes du Québec qui se sont joints à l’orchestre, c’était aussi la dernière Virée classique qui devait donner une autre chance à Andrew Wan d’interpréter le concerto de Samy Moussa que nous avons enregistré. C’est toujours différent quand on joue deux fois un concerto tout neuf. »
Il est aisé de croire que le chef, basé (surtout) à Paris et (parfois) à San Francisco, et dont l’emploi principal se trouve à Hambourg, aura droit à d’importantes invitations lorsque la Maison symphonique pourra rouvrir. D’ici là, il demeure chef honoraire de l’Orchestre symphonique allemand de Berlin, dont il fut directeur musical de 2000 à 2006, mais ses occupations les plus importantes se trouvent à Hambourg; il y assure la direction musicale de l’Opéra d’État et de l’Orchestre philharmonique.
Une conclusion plus festive de sa direction montréalaise eu certes été souhaitable mais… Du haut de ses 69 ans, Nagano accepte son destin avec sagesse et exprime un profond attachement à la ville l’ayant adopté pendant au moins 14 ans.
« Quand votre enfant quitte la maison familiale, la relation est alors différente, bien sûr. Vous ne vous voyez plus tous les jours, mais cela n’a rien à voir avec l’amour que vous portez à votre enfant. Dans ce cas, en fait, j’ai l’impression que rien n’est terminé. Mon respect et mon admiration pour l’OSM sont tout aussi forts aujourd’hui qu’au premier jour, sinon plus. Mes sentiments pour Montréal et l’orchestre sont beaucoup plus profonds aujourd’hui. Car l’orchestre peut accomplir tant de choses, ce qui signifie que nous avons développé une relation personnelle très très intense. Et cela n’a pas pris fin. Alors oui, je me réjouis de l’avenir. »
Le maestro part la tête haute après 14 années au service de l’OSM, il se montre fier de ses réalisations montréalaises.
« De quoi suis-je le plus fier ? C’est terriblement difficile à déterminer. Ensemble, nous avons accompli tant de choses. »
Sans prétendre à un bilan exhaustif, il se prête néanmoins au jeu. La construction de la Maison symphonique vient en premier lieu :
« Nous avions commencé par rapprocher l’orchestre de la communauté. Nous avons d’abord rempli la salle Wilfrid-Pelletier, ce qui nous a menés à la réalisation d’un vieux rêve dont le Québec peut être très fier. La construction de la nouvelle salle de concert a été réalisée en 2007, 2008 et 2009, et ce, au milieu d’un scandale bancaire mondial. C’est tellement impressionnant pour moi que les Montréalais et les Québécois disaient «Faisons-le », très impressionnant malgré la fragilité financière mondiale. »
Le Choeur de l’OSM, sous la direction d’Andrew Megill, est ensuite cité par le maestro :
«J’avais toujours senti que nous avions besoin d’un chœur qui pouvait chanter au même niveau que l’orchestre, nous avons alors créé le Chœur de l’OSM. »
L’acquisition de l’orgue Pierre Béique réjouit encore Kent Nagano. Rappelons que l’achat de cet orgue d’orchestre fut rendu possible par une gracieuseté de feue la mécène Jacqueline Desmarais. Son appellation honore la contribution de Pierre Béique, premier directeur général de l’OSM, soit de 1939 à 1970.
« Beaucoup de salles de concert ont laissé un espace vide où l’orgue était censé se trouver! Installé à la Maison symphonique, l’orgue Pierre Béique est actuellement l’un des meilleurs au monde. »
Le maestro se montre aussi heureux d’une relation qu’il estime renforcée entre la communauté montréalaise et l’OSM, à commencer par la Virée classique présentée normalement à la fin de l’été.
« C’est pourquoi nous avons mis sur pied notre festival d’été, la Virée classique. J’ai toujours ressenti qu’une des caractéristiques si uniques, si spéciales de Montréal, est sa période des festivals d’été. Y règne toute une atmosphère et il y a une place pour la musique classique. »
Maestro Nagano cite ensuite La musique aux enfants, une initiative d’éducation musicale de l’OSM menée en partenariat avec l’Université de Montréal et la Commission scolaire de la Pointe-de-l’Île. L’Objectif était d’initier les enfants d’âge préscolaire à l’apprentissage intensif de la musique. Le projet fut inauguré en novembre 2016, d’abord déployé à l’école publique St-Rémi à Montréal-Nord.
« Je suis très heureux de notre implication pour cette école très spéciale, qui prodigue aux enfants des enseignements de haut niveau. »
Enfin, le rajeunissement du public de l’OSM est une grande victoire pour notre interviewé.
« Pour moi, une des choses dont les gens ne se rendent pas tellement compte est qu’avec le temps, l’orchestre et moi avons abaissé l’âge moyen de notre auditoire; on y observe des jeunes adultes, des adolescents, des familles entières. L’orchestre peut aujourd’hui compter sur l’un des plus jeunes publics de toute l’Amérique du Nord, sans pour négliger notre public mature. J’ai toujours pensé que le public de l’OSM devrait correspondre aux gens que l’on croise dans les rues de Montréal, des gens de tous les milieux, de tous groupes d’âge, de tous intérêts, de tous niveaux d’expérience ou d’éducation.
« L’idée était de refléter Montréal, une ville très spéciale: mozaïque de cultures, grande qualité de vie, cuisine, arts, culture, éducation, industries visionnaires, technologies de pointe, etc. Quand le public montréalais vient à nous, il peut sentir, entendre et se nourrir à travers l’OSM, le sentiment d’appartenance se développe, cela rend l’orchestre d’autant plus pertinent. Lentement et sûrement, cette représentation des Montréalais est tangible à l’OSM. C’est un signe de bonne santé et je pense que nous pouvons vraiment en être fiers. »
On sait au demeurant que Kent Nagano n’a pas toujours fait l’unanimité. Sa direction d’orchestre a été parfois jugée trop molle par certains. Son orientation artistique, très ouverte au corpus contemporain et donc pas toujours consensuelle pour le « grand public classique », a déplu aux esprits peu enclins au changement. Il se peut également que ces différences de valeurs aient eu parfois un impact négatif au sein même du personnel de l’orchestre, ce qui aurait affecté certaines exécutions.
Des regrets, Maestro Nagano ? Il assume sur toute la ligne, à commencer par une direction artistique qu’il estime avoir imposé à travers le dialogue.
« Nous avons eu un dialogue assez ouvert entre membres de l’OSM, les décisions qui ont été prises n’ont pas été unilatérales. Il y a eu énormément de discussions entre nous, parce que lorsque nous voulions faire quelque chose d’important, parce que nous devions tous aller dans la même direction. Si vous vous divisez et empruntez différentes avenues, vous ne pouvez pas atteindre vos objectifs. Sans discussion, en perdant le sens de l’unité et de la communauté, vous pouvez vous trouver dans des situations très dangereuses. »
Cela étant posé, le maestro reste conscient qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.
« Si vous êtes un artiste et que vous prenez des risques, vous devez en assumer les difficultés et les conséquences. Tout le monde ne comprendra pas systématiquement, tout le monde ne pourra pas sentir en même temps ce qui a été mis en œuvre. L’orchestre avait rapidement atteint mes objectifs initiaux et, chaque année, j’ai mis la barre de plus en plus haut. Mon seul regret est de ne pas avoir assez eu de temps. Mais c’est peut-être une bonne chose… »
En cela, notre interviewé laisse entendre que le développement de l’OSM doit se poursuivre, une nouvelle direction doit maintenant prendre le relai.
« Je pense qu’il soit important pour un orchestre de pouvoir remonter à l’époque de Johann Sébastian Bach, de Mozart et de Beethoven et de se rendre jusqu’à aujourd’hui. L’idée d’un orchestre pour musiciens, c’est de faire de la musique ensemble. Des artistes issus de nationalités, cultures, ou classes sociales différentes mettent en commun leur talent pour réaliser ce qu’ils ne peuvent accomplir individuellement. Voilà en quelque sorte une métaphore de la démocratie. »