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Il se trouve en Algérie un orchestre, le seul du genre, composé uniquement de femmes et qui s’appelle l’Orchestre féminin Cheikh Sadek el-Bejaoui. Sa mission est de perpétuer la tradition d’une musique plus que millénaire, héritée du royaume d’al-Andalus. Al-Andalus, c’est l’ensemble des territoires de la péninsule ibérique et certains du sud de la France qui furent, à un moment ou un autre, sous domination musulmane entre 711 (date du premier débarquement) et 1492 (date de la chute de Grenade, dernier bastion musulman du territoire). Dans le cadre du Festival du monde arabe de Montréal (FMA), l’ensemble propose un spectacle exclusif que seuls les festivaliers pourront voir et entendre.
Détails de ma rencontre avec l’énergique Madina Yahiaoui, cocheffe de l’orchestre, titre qu’elle partage avec Sonia Bouyahia, petite-fille de Sadek el-Bejaoui.
PAN M 360 : Bonjour Madina. Commençons si vous le voulez bien par expliquer au public qui est Sadek el-Bejaoui.
MADINA YAHIAOUI : Sadek el-Bejaoui est un grand pédagogue, compositeur, interprète et perpétuateur de la tradition de musique arabo-andalouse, la musique classique algérienne. Il a enseigné à plusieurs générations l’amour de cette tradition. Il a aussi fondé une association à laquelle l’Orchestre féminin est associé. Nous poursuivons ainsi la mission du maître en jouant sa musique (il a composé près de mille pièces dans le style de cette musique millénaire) et en perpétuant son enseignement et sa méthode d’interprétation.
PAN M 360 : L’Orchestre a été fondé en 2008, quelle est son importance dans le paysage musical algérien selon vous ?
MADINA YAHIAOUI : L’importance va au-delà du registre strictement artistique. Avec l’Orchestre, c’est une autre image de la femme algérienne qui est montrée. Une femme qui sait être moderne tout en ayant à cœur de garder les traditions vivantes. Cet orchestre, c’est aussi un combat. Un combat social, politique et historique.
PAN M 360 : Est-ce que la nouvelle génération écoute et pratique cette tradition ?
MADINA YAHIAOUI : Honnêtement, c’est difficile. C’est un peu comme en Europe ou en Amérique : les musiques traditionnelles ou classiques sont délaissées. La pop, le hip-hop, les musiques commerciales prennent beaucoup de place. C’est le rôle de l’Association Ahbab Cheikh Sadek el-Bejaoui ou d’autres comme elle. Ce n’est pas un Conservatoire, mais elle fait un travail de Conservatoire.
PAN M 360 : Quelle formation musicale possèdent les musiciennes de l’Orchestre ?
MADINA YAHIAOUI : Une formation acquise dans le cursus de l’Association. Il ne s’agit pas du même type de formation qu’un cursus classique européen, bien que certains éléments « modernes » y soient enseignés, comme le solfège. Il s’agit avant tout d’une tradition orale. Cela dit, certains musiciens tentent de plus en plus d’écrire cette musique, afin d’assurer sa préservation de manière plus certaine. Ça fait débat dans le milieu, mais je pense pour ma part que c’est une bonne chose.
PAN M 360 : Vivez-vous professionnellement de cette activité ?
MADINA YAHIAOUI : Nous avons toutes d’autres occupations professionnelles, si c’est ce que vous voulez savoir. Plusieurs sont aux études, et pas en musique ! Moi, par exemple, j’étudie dans le milieu financier. D’autres sont pharmacienne, informaticienne, linguiste, etc. Mais, attention ! Pour nous, la musique n’est pas un hobby occasionnel. C’est au moins aussi important dans nos vies que nos études ou nos emplois à temps plein. Nous voulons faire vivre notre patrimoine et le partager partout dans le monde !
PAN M 360 : Quel type de répertoire sera joué pour la diffusion du 18 novembre sur le site du FMA ?
MADINA YAHIAOUI : Un répertoire provenant majoritairement des compositions du maître, Sadek el-Bejaoui (mort en 1995). Il y aura aussi quelques pièces de la tradition lointaine, celle du Moyen Âge, du IXe au XVe siècles. Ce sera un voyage hors norme et hors du temps !
PAN M 360 : Ce concert sera comme aucun autre que vous avez donné auparavant, donc exclusif au FMA, paraît-il, pourquoi ?
MADINA YAHIAOUI : En raison de la pandémie, une majorité des musiciennes est restée en Algérie et quelques-unes, dont moi, sommes confinées à Paris. La solution que nous avons trouvée nous permet d’offrir quelque chose d’unique. Une partie du concert est jouée par les musiciennes qui sont en Algérie. Cette partie est très traditionnelle, avec les costumes et tout. Ici, à Paris, j’ai recruté des musiciennes classiques du Conservatoire, dont une pianiste et une batteuse. Cette partie s’éloigne de la tradition pure, elle a un caractère très différent, du fait de l’instrumentation, mais aussi de la formation des musiciennes, qui n’a rien à voir avec la musique arabo-andalouse. Nous avons fait un montage des deux, car il ne s’agit pas d’une performance live, et la diffusion du 18 servira de première. Les ami.e.s du FMA auront droit à une exclusivité. Deux images différentes pour une même tradition, dans un seul concert !
PAN M 360 : Finalement, la pandémie a-t-elle ouvert une porte que vous ne pensiez jamais franchir ?
MADINA YAHIAOUI : Oui et non. J’ai depuis longtemps l’idée de faire ce genre de collaboration. C’est important pour moi de réaliser des rencontres avec le plus de musiciens et musiciennes possible, issus d’autres traditions. Disons que la pandémie nous a forcés à agir en ce sens.
PAN M 360 : Merci beaucoup de nous faire découvrir cette magnifique tradition musicale !
MADINA YAHIAOUI : Merci beaucoup de nous permettre d’en parler. Et merci surtout au FMA, qui a le courage de maintenir sa programmation malgré les difficultés actuelles. Nous en sommes très reconnaissantes. Et nous avons surtout hâte de pouvoir venir à Montréal pour vrai, un jour !