Les six travaux d’Amon Tobin

Entrevue réalisée par Alain Brunet

Brésilien d’origine (Bota Fogo, quartier de Rio de Janeiro), Amon Tobin a passé son adolescence et le début de l’âge adulte au Royaume-Uni avant de faire décoller sa carrière à Montréal où il a résidé pendant quelques années. Il s’est ensuite installé en Californie, d’abord à San Francisco puis à Los Angeles où il est joint afin de causer de son étonnante prolificité. Sous six pseudos incluant son vrai nom, la musique d’Amon Tobin se déploie sous le label Nomark qu’il a fondé et par le biais duquel ont paru tous ses enregistrements récents.

Genres et styles : électronique

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Crédit photo : Gaetan Tracqui

Adventures in Foam (1996), Bricolage (1997), Permutation (1998), Supermodified (2000), Out From Out Where (2002)… elle est déjà loin cette époque où Amon Tobin flirtait avec les vieux enregistrements de hard swing à la Gene Krupa et autres trésors du jazz moderne américain, enduits de fluides hip-hop, breakbeat, drum’n’bass ou jungle. Cette période a coïncidé avec un séjour prolongé à Montréal et à la montée en force du label anglais Ninja Tune. 

Précédé de Foley Room en 2007, ISAM (Invented Sound Applied to Music) sortait en mai 2011. Les musiques au programme révélaient d’importantes mutations, soit l’emploi de nouvelles techniques destinées à la production de sons de synthèse et associées aux musiques de films. Cette nouvelle esthétique a été associée à des représentations audiovisuelles innovantes, les musiques d’Amon Tobin , elles, à la projection cartographique (mapping) et furent applaudies dans tous les grands festivals d’arts numériques et musiques électroniques; on pense notamment à MUTEK, Sonar et Moogfest. 

En 2015, il a lancé le vinyle Dark Jovian, inspiré par l’exploration spatiale. Sous le pseuso de Two Fingers, il a aussi sorti l’EP Six Rhythms. En 2019, Amon Tobin a fondé le label Nomark et lancé un huitième album studio sous son propre nom, Fear In A Handful Of Dust. En octobre de la même année, c’est-à-dire six mois plus tard, il sortait son neuvième album, Long Stories, réalisé en grande partie avec un omnichord

Publié sous la bannière Two Fingers, l’album Fight! Fight! Fight! est le prétexte de la conversation, mais on aura tôt fait de causer de six projets différents et interreliés. Fear in a Handful of Dust (Nomark Records, 2019) et Long Stories (Nomark Records, 2019). Time To Run (Nomark Records, 2019), sous le pseudo d’Only Child Tyrant, Six Rhythms EP (Division, 2015) et Fight! Fight! Fight! (Nomark Records, 2020) sous le pseudo de Two Fingers. Figuroa fera ses propres débuts sur Nomark dans les mois à venir, d’autres alias tels Paperboy et Stone Giants s’exprimeront à leur tour.

« Chaque album a sa propre esthétique. Certains sont sortis sous mon nom. Le plus récent est basé sur des rythmes entraînants qui peuvent s’apparenter aux musiques les plus fraîches de certains de mes premiers albums, c’est-à-dire avant que je prenne une direction plus expérimentale à la fin de la décennie 2000. L’énergie et la spontanéité d’alors a été captée et développée pour former une entité à part entière, avec des surprises ajoutées en cours de route, notamment l’emploi de la voix humaine.

Force est de déduire que notre interviewé n’a pas chômé pendant que d’aucuns l’associaient à un passé de plus en plus éloigné.

« Il y a eu beaucoup d’activité, soit une période de gestation pendant laquelle j’ai développé quelque chose, fait de nouvelles choses que je ne connaissais pas, ça a été vraiment intense. Je ne voulais pas produire immédiatement quelque chose, je voulais prendre le temps de le développer. Ça a pris forme progressivement, car c’était très nouveau pour moi. J’avais besoin d’apprendre d’abord et ensuite de recommencer jusqu’à ce que cela soit bon. Oui, ça a pris du temps ! Mais c’est bien, je suis vraiment content du résultat. L’année dernière a été la plus chargée que j’ai jamais vécue! » 

À l’écoute des toutes nouvelles musiques d’Amon Tobin, force est d’observer que celles-ci relèvent à la fois de l’autonomie et de l’interdépendance : 

« L’idée est de mettre différentes choses dans des couloirs spécifiques afin qu’elles puissent toutes se développer en parallèle, et qu’elles puissent aussi agir les unes sur les autres. Une chose que j’apprends en enregistrant une piste de Two Fingers aura une influence sur une autre dans une piste d’Amon Tobin, une chose que j’ai laissée dans une piste d’Amon Tobin en aura une sur une piste de Child Tyrant, et ainsi de suite. Je souhaite pouvoir ensuite alimenter ces différents projets au fur et à mesure qu’ils grandissent. Néanmoins, ces projets ont tous en commun d’avoir été créés avec les mêmes outils, c’est de la musique électronique. »

Chez Amon Tobin, la fascination pour la notion d’imperfection fait suite à une séquence où prévalait un perfectionnisme quasi obsessif.

« À l’époque de l’album ISAM, relate-t-il, j’ai travaillé d’une manière très technique afin de préciser ma proposition. Pour atteindre cet objectif très précis, je coupais tout ce qui n’y contribuait pas, même si c’était une belle idée. Ce qui ne servait pas mon propos était rejeté. Il m’a fallu beaucoup de discipline pour mettre un terme à ce processus. L’une des conséquences de cette approche a été une perte de spontanéité et d’une certaine excitation qu’on ressent quand on se trompe. Car on apprend beaucoup de ses erreurs en création, cela permet de vivre une expérience plus enrichissante d’un point de vue créatif.  

« D’où l’importance de l’imperfection. Pour moi, il était important que cette dimension d’imperfection fasse de nouveau partie de mon processus artistique. Je veux accueillir ces choses auxquelles je ne m’attendais pas, les laisser naître, les laisser vivre, et laisser la spontanéité s’exprimer dans la musique. »

Il ne s’agit pas pour autant de privilégier la piste aléatoire, prévient-t-il :

« Il faut un équilibre entre l’imperfection aléatoire et l’organisation des sons. On ne peut pas non plus s’attendre à ce que la musique surgisse de nulle part, la musique ainsi générée serait sans intérêt. Mais si la structure permet une certaine liberté, on peut atteindre un équilibre avec des éléments utiles qui servent une forme et permettent aussi la reproduction dans d’autres formes. Mes productions récentes résultent de cette approche. »

Quels sont les genres que l’on retrouve dans la discographie récente d’Amon Tobin ? On peut ici parler d’une démarche multipolaire, extrêmement diversifiée; plusieurs genres sont impliqués, de l’ambient à la techno en passant par le krautrock et l’électroacoustique plus conceptuelle.  Pour sa part, notre interviewé refuse d’en identifier clairement les sources :

« Je ne suis pas très préoccupé par les genres musicaux, pas plus que par le langage destiné à décrire la musique. Si, en tant qu’artiste, on s’intéresse aux genres dans la musique que l’on fait, on est peut-être plus intéressé par une image extérieure de soi-même. Cela peut être important quand on est jeune, car il faut se construire une image forte de soi. Avec le temps, cela devient de moins en moins important. Il importe plutôt de ressentir et de reconnaître ce qu’on aime. Alors j’écoute toutes sortes de musiques créées par toutes sortes d’artistes. La bonne musique est la bonne musique, elle se trouve en petites quantités et il y en a de la mauvaise dans tous les genres… à quoi bon focaliser là-dessus ? »

Chose certaine, Amon Tobin est un artiste en perpétuelle transformation. Ce qu’il nous offrait dans les années 90 n’a cessé de se transformer depuis. Chez lui, il n’y a de stable que… le changement.   

« Le changement, pose-t-il, est perpétué par les artistes mais leurs fans s’y opposent de manière générale. Vous savez, cette tension est compréhensible car les artistes créent aussi des produits, et leurs auditoires aiment comprendre et adopter ce qu’ils consomment. Or, mes compositions ne tiennent pas compte de l’auditeur au moment de leur conception. Si le travail est bien fait, cependant, je peux faire évoluer les goûts et les intérêts de ceux qui écoutent. »

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