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Fuzz. Avec un nom pareil, l’amateur de rock saturé et saignant sait pas mal à quoi s’attendre. Quand, en 2011, Charles Moothart et Ty Segall ont décidé de former un groupe à l’image de leurs idoles Black Sabbath et autres formations du même acabit, ce nom s’est imposé d’office. Pourquoi se compliquer la vie inutilement quand on peut faire ça simple ? Car la pédale d’effet fuzz est indubitablement associée à une pléiade de groupes – et surtout guitaristes – de hard, acid, stoner et sludge rock, et c’est exactement ce que voulaient faire les deux copains d’école : du rock bruyant, lourd et sans autre prétention que de se faire du fun, un poing dans les airs et une bière dans l’autre.
Batteur chez Ty Segall – dans quelques-uns de ses nombreux projets –, Charles Moothart se retrouve avec Fuzz au devant de la scène, en contrôle de la six cordes. Ce groupe, c’est son idée, son bébé. Cinq ans après l’album double II (quand on vous dit que le groupe n’aime pas trop se casser la tête), le trio californien, complété par le bassiste Chad Ubovich, revient à la charge avec… III, un album plus concis et précis, où Fuzz s’impose et s’affirme davantage. Charles Moothart nous en parle, en long et en large.
PAN M 360 : Quand et comment ce troisième album a-t-il été conçu et créé ?
Charles Moothart : Nous avons enregistré cet album en août 2019. C’est intéressant parce que le disque comporte certaines chansons qui ont des aspects sociaux mais rien n’est en réaction à ce qui se passe actuellement. Donc l’album n’a pas été affecté par tout ce qui se passe en ce moment, mais nous sommes cependant affectés par le fait que nous ne pouvons pas le jouer en tournée. Nous avons enregistré l’album ici à L.A., au studio United Recordings, qui est malheureusement en train de fermer, ce qui est nul parce que c’est un ancien studio qui existe depuis toujours [il a ouvert ses portes en 1957]. Nous avons demandé à Steve Albini de venir nous enregistrer.
PAN M 360 : C’était justement une de mes questions, pourquoi avoir choisi de travailler avec Steve Albini ?
Charles Moothart : Avec Ty, nous avions déjà travaillé avec lui à quelques reprises par le passé. On a développé une bonne relation de travail avec lui. Il est tellement bon dans ce qu’il fait ! C’est agréable de savoir que l’on peut faire confiance à la personne qui dirige le tout et qu’il suffit simplement d’entrer dans le studio et de faire des prises en direct. Le dernier album n’était pas vraiment comme ça. Pour celui-ci, on a pas mal joué tout ça live, mais nous sommes allés un peu plus loin avec la post-production et d’autres trucs du genre, nous voulions vraiment qu’il essaie de faire quelque chose qui se rapproche le plus possible de ce que le public ressent quand il vient nous voir en concert, et ce que nous on ressent quand on joue nos chansons… Il y a évidemment quelques overdubs de guitare et le chant n’est pas live, mais nous voulions juste que le disque soit aussi fidèle que possible au son du groupe.
PAN M 360 : Albini a-t-il enregistré et réalisé l’album ?
Charles Moothart : Je suppose qu’il n’aime pas vraiment voir les choses sous cet angle, mais il n’arrête pas de triturer les sons quand il travaille. Il a tendance à intervenir le moins possible. Si je fais une harmonie à la guitare et je lui demande ce qu’il en pense, il va parfois me donner son avis, mais, en général, il aime rester en dehors de ce processus. Il aime laisser le groupe décider par lui-même ce qu’il veut faire. Je l’ai entendu dire à plusieurs reprises qu’il ne voulait pas exprimer son opinion et monter accidentellement les membres du groupe les uns contre les autres, donc il est très conscient de cela. Nous sommes assez à l’aise avec lui et je crois qu’il est assez à l’aise pour exprimer son opinion, mais je ne pense pas qu’il n’a simplement pas envie de se mêler de ce qui regarde les membres du groupe. Cela peut être vraiment intimidant au début. Comme la première fois que nous avons enregistré avec lui, je lui ai demandé son avis sur une prise de son de batterie que je faisais lorsque nous enregistrions avec le Freedom Band; il a dit qu’il ne voulait pas donner son avis et je me suis dit, « woa, c’est vraiment intimidant ». Mais lorsque j’ai compris pourquoi il réagissait ainsi, j’en suis venu à respecter cela, le fait qu’il ne voulait pas perturber la dynamique créative au sein du groupe. Il est intéressant de voir comment il impose ses limites, mais ce n’est pas pour tout le monde.
PAN M 360 : Qu’est-ce que III a que vos autres albums n’ont pas ? Qu’avez-vous corrigé ou amélioré ?
Charles Moothart : Pour moi, c’est plus une question de mental. Je me suis mis beaucoup de pression sur l’album précédent. Il y a cinq ans, j’étais ailleurs mentalement dans ma vie… Je faisais beaucoup de tournées, j’étais plus jeune… J’avais beaucoup d’attentes et certaines d’entre elles étaient passablement déraisonnables. Je me suis mis beaucoup de pression pour ce qui est de mon jeu à la guitare et sur la façon dont je voulais que les gens perçoivent le disque. Ce qui, je pense, a affecté la façon dont j’ai interagi avec Ty et Chad dans le groupe. Nous avons quand même eu beaucoup de plaisir à faire cet album, mais c’était un double album, c’était vraiment long, c’était une entreprise énorme. Aussi, pour ce nouvel album, nous voulions que ce soit amusant et naturel. Et, bien sûr, nous voulions beaucoup répéter, nous voulions nous sentir vraiment prêts pour ensuite juste enregistrer. Nous voulions que ça se sente que nous nous étions bien amusés à faire ce disque. Pour moi, c’est ce qui ressort le plus. De toute évidence, la production est de très haute qualité, donc je pense que pour l’auditeur, c’est une expérience totalement différente. Et j’adore ces chansons. Beaucoup d’entre elles ont été écrites à des différents moments au cours des cinq dernières années. Ça me plaît bien que l’album couvre cinq années d’écriture de chansons. C’est un effort collectif et concentré. J’ai l’impression que ce disque crée un lien très fort entre le groupe et les auditeurs.
PAN M 360 : Pourquoi avez-vous pris cinq années à faire ce disque ? Comme Ty est hyper prolifique et partout à la fois, c’est sans doute difficile de l’avoir assez longtemps avant qu’il soit obligé de faire autre chose ?
Charles Moothart : Oui, c’est surtout à cause de son emploi du temps. C’est intéressant parce que j’aime beaucoup travailler avec Ty sur différents projets. Je me sens privilégié. Nous nous connaissons depuis tellement d’années, nous avons fait beaucoup de trucs sympas ensemble. De temps en temps, nous reprenions Fuzz et nous nous disions : « Est-ce le bon moment ? ». Comme pour moi, c’est évidemment un groupe très important, je suis toujours partant. Il y a donc une sorte d’attente, jusqu’à ce qu’on sente que c’est le moment, parce que, comme tu le sais, Ty fait toujours plein de choses en même temps. Donc il faut attendre le bon moment, sans rien forcer. Il faut quand même que ce soit naturel de s’installer pour écrire des chansons. On ne peut pas se dire : « Oh, nous avons six mois pour écrire un disque, faisons-le maintenant ! » Il y a deux ou trois ans, après avoir pris le temps d’écrire deux chansons, on s’est demandé : « Est-ce que ce sont bien des chansons de Fuzz ? » On n’en savait rien ! Peu de temps après, nous avions trois, quatre, cinq chansons de plus. Lorsque nous avons senti que nous avions tout ce qu’il nous fallait, nous nous sommes dit : « Allons-y, écrivons le reste du disque. » Ça s’est passé comme ça devait se passer.
PAN M 360 : Quand tu as démarré Fuzz, tu cherchais simplement à voir si tu pouvais faire des gros riffs de hard rock sans que ça ne sonne cliché. Aujourd’hui, vois-tu Fuzz différemment ? Penses-tu que le groupe est rendu ailleurs ?
Charles Moothart: Je pense qu’on est effectivement rendus ailleurs. La première chanson de Fuzz que j’ai écrite, je crois que c’était Fourth Dream, je voulais littéralement voir si je pouvais écrire un riff qui ne sonne pas totalement ringard. Fuzz est évidemment un clin d’œil au rock ‘n’ roll des années 70. Alors, oui, je pense que c’est différent maintenant. On ne veut pas rester dans le même cycle, à toujours faire la même chose encore et encore, et je crois que nous sommes sortis de cet état d’esprit, nous voulons faire quelque chose qui nous est propre. Nous aimons évidemment Black Sabbath, mais nous ne voulons pas être un groupe hommage à Black Sabbath. En même temps, nous ne voulons pas nous en éloigner au point de décevoir les gens qui aiment cette musique. Nous aimons toujours autant cette musique, j’écoute encore Black Sabbath, j’écoute encore les Stooges. Nous continuons donc à faire du rock ‘n’ roll très énergique, qui est le fun et doit être joué super fort. Mais nous essayons de mûrir et de ne pas nous contenter de nous demander si nous pouvons écrire un riff de Black Sabbath, comme c’était le cas il y a sept ou huit ans.
PAN M 360 : Tu mentionnes Black Sabbath. Avec Blue Cheer, je pense que ce sont les deux influences les plus évidentes qui nous viennent en tête quand on écoute votre musique, mais on sent quelques pointes de jazz ici et là sur le disque, Y a-t-il d’autres influences dont tu aimerais parler ?
Charles Moothart : C’est un espace en constante évolution. Je pense qu’au cours des cinq dernières années, je me suis davantage intéressé au jazz, en écoutant Art Blakey, Miles Davis et d’autres trucs du genre. Pour les apprécier, mais aussi pour comprendre de quelle façon ils jouent de leurs instruments et comment ils jouent ensemble. Et, bien sûr, il y a toujours des disques qui vont et viennent, et il y a les incontournables qui sont immuables, comme The Groundhogs et des trucs comme ça.
PAN M 360 : Tu joues de la batterie avec Ty Segall et de la guitare avec Fuzz, alors que c’est Ty qui joue de la batterie dans le groupe. Vous changez d’instruments parfois ou tu demeures toujours à la guitare ?
Charles Moothart : La guitare, c’est ma place, c’est ma maison, spirituellement. J’adore jouer de la batterie dans le groupe de Ty, mais la guitare sera toujours le meilleur moyen de m’exprimer. Aussi, avec Fuzz, c’est toujours moi qui joue de la guitare. Quand j’ai rencontré Ty au secondaire, il était batteur. C’était le meilleur batteur à l’époque. Il a toujours été l’un de mes batteurs préférés. C’est comme ça que le groupe a commencé à l’époque, parce qu’il voulait jouer de la batterie et que je voulais jouer de la guitare.
PAN M 360 : Peux-tu nous éclairer un peu sur les paroles. C’est souvent assez nébuleux ou abstrait, voire cryptique.
Charles Moothart : Chaque chanson est différente. Par exemple, je trouve que Spit est une chanson très abstraite. Il y a comme une histoire qui se passe mais qui est très vague. La plupart du temps, Ty et moi écrivons les paroles. Quand nous écrivons ensemble, c’est vraiment intéressant parce qu’il a tendance à être plus abstrait, tandis que moi, j’aime raconter des histoires. Nous finissons toujours par nous rejoindre quelque part au milieu. Je pense que Ty, ces dernières années, veut de nouveau être plus précis dans les paroles, mais la combinaison est intéressante. J’aime la poésie, j’essaie donc de toujours de penser de cette façon, mais Ty se préoccupe davantage des sonorités. Il peut par exemple dire « Je ne peux pas chanter ce mot parce qu’il ne correspond pas à la métrique de la chanson ». On finit donc avec des compromis bizarres où l’on se dit : « J’aimerais dire ceci mais on ne peut pas… ». On doit donc changer un mot pour que ça marche et on se retrouve avec ce genre de phrase bizarre à la Frankenstein et on se dit alors « Oh, c’est vraiment cool ! ». Chaque chanson est différente. Certaines sont beaucoup plus simples et directes, et cela revient un peu à ce que je disais tout à l’heure, nous voulons rester fidèles à ce qu’est le groupe, nous voulons que certaines chansons restent amusantes, pour que les gens puissent lever le poing et gueuler durant le spectacle, tu vois ? Nous sommes un groupe de rock ‘n’ roll, nous voulons donc garder un style primitif et d’autres fois être un peu plus heavy. Mais je suis d’accord, il y a des moments où ça n’a pas de sens !