Le nouveau cycle de MISC

Entrevue réalisée par Alain Brunet

Avec le nouvel opus Partager l’ambulance sous étiquette Bonsound, le trio montréalais MISC adapte plus que jamais son jazz à l’environnement numérique et tente ainsi un rapprochement avec les fans de musique tous styles et générations confondues, bien au-delà des contextes acquis au jazz.

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Depuis le début de ce nouveau cycle créatif sous la bannière MISC, le pianiste Jérôme Beaulieu et le batteur William Côté travaillent désormais avec l’excellent bassiste Simon Pagé, ce qui fait de ce trio une des plus redoutables formations du jazz nouveau.

Partager l’ambulance évoque le secours urgent dont a besoin l’humanité face à ses choix hasardeux, il évoque le mur qu’elle frappera sans doute si le tir n’est pas rajusté. Les artistes de MISC ressentent l’urgence d’un changement de cap socio- environnemental et, par voie de conséquence, de nouvelles pistes pour y parvenir. 

Cette réflexion s’incarne non seulement dans les échantillonnages répartis dans différentes pièces de l’album mais aussi dans l’illustration de la pochette d’inspiration steampunk, imaginée par Christophe B. De Muri – moyen de transport hybride au croisement d’un radeau et d’une ambulance.

Ce nouvel album est aussi un nouveau chapitre dans l’exploration de MISC, dont le jazz est le principal vecteur stylistique, mais dont les procédés compositionnels en transgressent les normes, puisant dans le rock, l’électro ou le hip hop.  Dans sa conception, Partager l’ambulance résulte d’une fusion des cultures instrumentales et numériques, les trois musiciens de MISC nous en expliquent les tenants et  aboutissants.

PAN M 360 : Vous teniez à faire l’interview à trois. Doit-on en déduire que ce trio se fonde d’abord sur une approche collaborative?

JÉRÔME BEAULIEU : «  Absolument, et c’est comme ça depuis bientôt 5 ans, depuis le changement de nom – autrefois Trio Jérôme Beaulieu. Notre démarche est axée sur un esprit collectif. Je suis à l’origine de ce groupe, aussi de par mes compositions. Mais, très rapidement ça s’est imposé comme un processus collectif, complètement démocratique : direction artistique, composition, production, arrangement, organisation, etc. Je ne me vois pas du tout comme le frontman et seul décideur de la patente, je préfère être le fédérateur des énergies communes et des bonnes idées de chacun. 

« Il y a donc des compositions collectives sur le nouvel album, par exemple Simon en a composé deux pièces (Mad, Q-Line). Certaines pièces proviennent d’éléments trouvés lors de prises de son ou de séances d’impro, enregistrés sur un téléphone. Avec ces éléments, je peux ajouter des choses, je reviens en groupe avec des canevas et on fait évoluer le matériel. C’est donc très collectif comme approche compositionnelle, ce n’est pas exclusivement issu des patterns dans lesquels je marine. L’input des musiciens me stimule et les idées auxquelles je n’aurais pas pensé en maintiennent la fraîcheur. Et c’est ce qui fait que j’ai encore du plaisir à jouer ces pièces avec ce groupe. »

PAN M 360 : Il y a à peu près une quinzaine d’années, on observait l’arrivée progressive de trios de jazz nouveau genre. Moins de solos, un son plus collectif, des influences clairement tirées de l’électro et du hip-hop. On pense aux  Esbjörn Svensson Trio, Get the Blessing, Neil Cowley Trio, Dawn of Midi, Phronesis, Rémi Panossian Trio, on en passe. Le processus de composition de ces trios s’inscrit davantage dans  le monde de la création numérique. On s’était pas mal excité le pompon et, ces dernières années,  MISC (précédé par le Trio Jérôme Beaulieu) fut le premier trio québécois s’inscrivant dans cette mouvance. Qu’en est-il aujourd’hui ? 

JÉRÔME BEAULIEU : « Présentement, nous tenons à ne plus nous limiter à nos instruments – piano/claviers, basse/contrebasse, batterie. On s’autorise à faire des surimpressions à la manière d’un album pop. On va jusqu’au bout de ce processus de création en studio, après quoi on en imagine l’adaptation sur scène. » 

WILLIAM CÔTÉ : « La grande différence entre les albums précédents et celui-ci, c’est vraiment le travail accompli dans notre propre studio. C’est d’avoir pris le temps d’explorer nos idées à fond, autant du côté de la composition que de celui de la production. Par exemple construire autour du résultat préliminaire obtenu avec un arpégiateur de synthétiseur. On s’est retrouvés tous les trois à tripper. Je pense que nous allons continuer sur cette voie, à nous enregistrer nous-mêmes au fur et à mesure que les pièces se développent. Et aller au bout de nos idées. »

PAN M 360 : Par rapport aux enregistrements précédents, qu’est-ce qui caractérise vraiment ce nouvel album? 

JÉRÔME BEAULIEU :  « C’est le temps de préparation, soit cinq ou six séances de quelques jours. On s’est donné le temps de circonscrire la vibe de chaque pièce, alors que nos albums précédents étaient enregistrés en trois ou quatre jours, précédés d’une pré-production et d’intenses répétitions. Mais… à force de répéter intensément de nouvelles pièces, tu peux t’en éloigner de l’impulsion initiale. Cette fois, nous avons eu le luxe de nous permettre d’enregistrer pendant que nous composions, cela nous permettait de ne pas trop nous retrouver dans nos vieux patterns. Ainsi, chaque pièce a sa personnalité propre, une personnalité beaucoup plus affirmée que si on avait enregistré l’album en trois jours, et en choisissant les meilleures prises à la fin.

« En enregistrant une composition dès le début du processus, on pouvait en conserver l’impulsion initiale et la mener où on voulait qu’elle aille. Quand, par exemple, nous avons fait la reprise de Suuns (X-Alt), nous avons eu envie d’y ajouter des enregistrements effectués sur le terrain. Simon est alors parti enregistrer des sons de la ville pendant que nous faisions autre chose. Sous l’impulsion du moment, sans contrainte de temps ou d’argent, nous sommes allés jusqu’au bout de notre démarche créative. C’est un précédent!  Dans un esprit similaire, je viens d’enregistrer des pièces en duo avec le guitariste François Jalbert; on s’est aménagé une bulle dans un chalet avec nos instruments, on s’est aussi donné le temps plutôt que de faire un album en trois jours. Cette façon de procéder est désormais pour moi le nouveau standard.  »

PAN M 360 : Étant devenus aussi importants que les parties instrumentale, les éléments de production, machines, synthés et logiciels, impliquent-ils des réaménagements sur scène ?

WILLIAM CÔTÉ :  « Ça s’inscrit dans la même démarche. On va rendre sur scène les idées qu’on a eues en production, le but n’étant pas d’inclure de nouveaux musiciens parce qu’on a ajouté des synths. Les conditions de présentation seront transformées à trois, on aimerait d’ailleurs faire ça en diffusion multiphonique lorsqu’il y aura des spectateurs dans la salle.  On ne veut plus s’en tenir au standard stéréo  dans la salle, on aspire à offrir des environnements immersifs. On veut pousser chaque aspect de notre travail. »

PAN M 360 : Pandémie oblige, un projet de plateforme en ligne serait en chantier ?

JÉRÔME BEAULIEU : « On s’est installés du 25 au 31 janvier  à la Maison de la culture Maisonneuve pour développer l’idée de l’environnement immersif. Nous avons l’idée de faire une plateforme en ligne où les usagers pourront choisir leur angle de vision comme s’ils étaient autour du groupe comme c’est le cas lors de nos concerts devant public. Chaque source audiovisuelle pourrait être différente selon le choix de l’usager, donc plus intéressante que la plupart des Facebook live en vogue depuis le début de la pandémie. Nous travaillons actuellement avec un développeur pour un éventuel lancement en ligne; ce sera pas un bon vieux concert, sans valeur ajoutée en ligne. Paradoxalement, ça confirme le caractère indispensable du contact humain en concert. »

PAN M 360 :  Vous resterez donc trois instrumentistes en concert, mais quels seront les ajouts électroniques, nouveaux acteurs essentiels de votre ensemble?

SIMON PAGÉ : Nous avons plusieurs catégories d’échantillons à déclencher; des sons pris dans différentes sources ou des séquences de musique que nous avons nous-même joués.  William gère ça à partir de son SPDX, un pad. Il y a aussi les synthétiseurs, les effets, le son house qui interprète les sons de batterie en signal midi et génère des notes, il y aussi des effets sur la basse électrique, la contrebasse, le piano à l’intérieur duquel il y a des micros qui peuvent aussi générer des effets, il y a aussi un assortiment de claviers. Ça nous donne une palette de sons que nous pouvons contrôler en temps réel. »

WILLIAM CÔTÉ : « Je peux déclencher les échantillons avec mon sampling pad et notre sonorisateur les spatialise, comme il le fait pour les instruments joués en temps réel. Ainsi, je déclenche les sons préenregistrés quand il le faut, de manière à éviter toute rigidité dans l’interprétation.  De leur côté, Jérôme et Simon peuvent compter sur un assortiment pédales d’effets reliées en midi, ces sons sont aussi spatialisés.  En fait, tout ce qu’on déclenche peut l’être au moment opportun, selon la façon qu’on interprète chaque pièce d’un concert à l’autre. Cette latitude acquise est importante pour nous. »

PAN M 360 : Le côté électro dans la jazz doit être désormais pris en compte, mais n’y a-t-il pas un danger de déperdition de la performance instrumentale ? 

SIMON PAGÉ : « Nous avons fait le choix artistique de nous éloigner un peu de ce besoin qu’ont les instrumentistes comme nous d’exprimer leur potentiel technique. Nous avons plutôt choisi de faire quelque chose de cohérent musicalement. Oui, il y a encore de la performance, mais moins de solos que jamais depuis les débuts de MISC. Nous avons plutôt misé sur la recherche de sons, sur la cohérence et la consistance de chaque composition. 

« Idéalement, notre musique devrait s’adresser à tout le monde. Les musiciens de MISC n’ont plus à prouver leur valeur technique, ils ne sont pas des apprentis, mais pas non plus obligés d’en beurrer épais, la pédale dans le tapis. On peut faire de la musique qui contient des éléments de virtuosité,  sans qu’ils n’en soient le leitmotiv. »

WILLIAM CÔTÉ : « Des concerts fondés sur la virtuosité, nous en avons faits, mais cela se limite généralement à des contextes précis; si on prend l’exemple de Montréal, pas grand-chose au-delà des Maisons de la culture, Dièze Onze, Upstairs et Festival de jazz. Lorsque, par ailleurs, nous avons fait une tournée québécoise dans des micro-brasseries, accompagnés d’un vidéaste, nous nous sommes trouvés dans des contextes très différents. Le groupe était au centre du public, on y jouait notre musique mais aussi des reprises pop. C’était le party! Les gens se permettaient de crier, nous parlaient entre les pièces, vraiment plus chaud comme vibe. Dans les contextes réservés à la virtuosité, on ne trouve pas de telles ambiances.  Nos choix musicaux illustrent notre envie d’aller vers ces publics, d’entrer en contact avec le monde. » 

JÉRÔME BEAULIEU : « Dans des clubs de jazz autrefois, c’était le party. C’est devenu un peu plus guindé avec l’académisation du style. C’est pourquoi l’’esprit de notre musique voyage très bien dans de nouveaux contextes. De toute façon, ça va chercher la vibe d’où le jazz est issu.»

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