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Alors que certains sont à la poursuite de la popularité et de la réussite matérielle, d’autres sont intéressés par autre chose. Pour le duo Kirouac et Kodakludo, il n’y a que la quête de l’équilibre qui compte véritablement.
Rappeur et beatmaker sont sur la bonne voie : non-seulement la paire se complète-t-elle dans sa démarche musicale, mais encore la sortie d’un premier album intitulé Les gradins souligne-t-elle un mariage heureux entre des paroles engagées et des sonorités qui enveloppent.
Les deux souhaitent se démarquer et se surpasser à travers leur art. Les gradins, c’est un projet multidisciplinaire se métamorphosant au rythme des leurs passions respectives; Kirouac (Paul Provencher) a collaboré avec l’artiste Benjamin Gagné pour la création d’une bande-dessinée, alors que Kodakludo (Ludovic Rolland-Marcotte) a dirigé un album photo, rappelant cette idée que la musique peut et doit créer des images.
Alors qu’ils se sont rencontrés sur les bancs d’écoles lors d’études cinématographiques, les deux amis ont continué de nourrir une chimie qui ferait des jaloux. Il est aisé de prévoir qu’ils récolteront applaudissements et acclamations, physiquement ou virtuellement.
PAN M 360 : De votre premier EP intitulé Wesh à votre premier album Les gradins, force est de constater qu’il y a une évolution dans votre musique et ce, des paroles au son. Pourquoi avoir choisi d’être dans cette constante mouvance musicale ?
Kodakludo : Personnellement, je crois que nous avons évolué en même temps que notre musique. Nous avons énormément appris au fur et à mesure, et ça ne veut pas dire qu’on ne retournera pas dans nos vieilles productions, bien au contraire. C’est très intéressant comme manière de travailler. Donc, c’est vraiment une évolution de qui on est, de comment on se sent, de ce qu’on écoute… Au final, c’est l’essence même de qui nous sommes et de notre propre apprentissage de l’ art.
Kirouac : Quand on l’écoute de A à Z, on peut clairement voir une évolution. Au début, on entend beaucoup les beats dans le temps de Wesh, plus dansants avec des influences house. Et ensuite, on va dans quelque chose de vraiment indie, slow, alternatif…ce n’est carrément plus du rap ! Il y aussi des passages plus trap, plus agressifs dans les beats. Et vers la fin de l’album… je ne sais pas trop comment l’expliquer, mais on revient vers les beats du début? Comme si on bouclait la boucle en fait. Et le thème central de l’album, c’est l’évolution et les révolutions. On ne veut pas rejeter ce que l’on faisait avant, mais on veut faire autre chose aussi. Nous sommes toujours à la recherche de quelque chose, nous ne sommes jamais satisfaits.
PAN M 360 : Justement, on peut facilement observer une certaine assurance dans votre travail! Vous soulignez que vous ne faites pas seulement du rap, mais bien de l’art.
Kirouac : Il y a deux côtés à ça dans l’album. Il y a le questionnement sur le rôle de rappeur et celui de comment interagir avec la culture hip-hop. Sur la chanson Repeat, on dit que le rap nous fait vivre, c’est ce qui nous donne le goût d’avancer… Alors que sur Vraimoi ou encore Yo Kodak, on souligne que oui nous sommes des rappeurs… mais pas seulement ça. Peut-être que nous sommes des artistes avant d’être des rappeurs mais ça ne devrait pas nuire le fait qu’on fait du rap.
Kodakludo : Et je pense même qu’au contraire, ça rajoute le fait qu’on puisse faire ces formes d’art… Celles de Paul [Kirouac] et les miennes… c’est ce qui a formé Les gradins en fait.
PAN M 360 : Vous parlez de séries télévisées, de littérature, de photographie… Dans Les gradins, vous explorez notamment cette multidisciplinarité en créant non seulement un album, mais aussi une bande-dessinée et un album photographique. Pourquoi avoir choisi cette approche ?
Kirouac : Quand nous nous sommes assis pour savoir ce que nous allions faire pour ce projet-là, on ne voulait pas avoir de cadre trop restrictif. Ce qui est cool dans la manière dont Ludo et moi travaillons ensemble, c’est que les choses viennent d’elles-mêmes, le sens vient en le faisant. Nous pensions qu’il serait intéressant d’étudier ce que nous sommes ensemble, ce que nous sommes séparément et comment ces deux choses réunies forment un tout. Parfois, je me casse beaucoup trop la tête alors que Ludo travaille davantage avec son instinct… Nous sommes deux pôles totalement différents mais qui se complètent au final. Nous sommes toujours en rotation.
PAN M 360 : Depuis Amos, on peut voir que vous aimez raconter des histoires à travers votre musique, et Les gradins n’échappent pas à cette tendance. Vous puisez beaucoup dans le vocabulaire de l’aventure en parlant de quête, de destinée, d’élu.e.s et d’être choisi.e.s. Vous vous comparez même à quelques reprises la légende du roi Arthur et les chevaliers de la table ronde… S’ils recherchent le légendaire Graal, vous êtes à la recherche de quoi ?
Kirouac : C’est ça qui est le fun dont l’album et l’histoire est racontée ; le début de cette quête est très extériorisée, par exemple dans Carré Saint-Louis je dis « Je veux être comme les grands qui m’ont précédé / Je veux être immortel ». Mais plus on avance dans l’album, plus on réalise qu’il n’y a pas de récompense extérieure. Il n’y a pas une forme de réussite matérielle qui est la véritable réussite. La véritable réussite, c’est la paix intérieure… Le vrai graal c’est de trouver l’équilibre, autant dans son processus créatif que dans sa propre personne.
PAN M 360 : Et même dans les beats de Ludovic [Kodakludo], on voit ce désir de créer plus que des beats, mais bien des ambiances sonores, des paysages différents et uniques.
Kodakludo : J’ai justement appris ça en créant Amos! Ça été tout un défi de représenter en musique l’eau, le feu, l’air, la terre… Et tout ça, c’est grâce à mes études en cinéma que j’ai un peu appris que rien n’est là pour rien, tout a une raison d’être… Travailler avec Paul [Kirouac] est super cool, dans la mesure où nous connaissons tous les deux le thème, alors quand je mets ses textes sur mes beats, on est capable de créer plus qu’un son, on peut créer un vibe.
PAN M 360 : Je ne pense pas vous étonner en vous disant que vous semblez être deux grands fans de Montréal ! Sur Wesh, vous louangiez déjà bixi et le restaurant Chez Claudette, pour ne citer que ceux-là. On peut observer le même phénomène dans Les gradins. Pourquoi aimez-vous autant Montréal ?
Kirouac : Ce n’est pas dire que Montréal est mieux que le reste, c’est de créer des référents pour les gens qui écoutent notre musique. Et ça crée aussi un univers narratif un peu ? Mais il est aussi important de garder en tête que Montréal n’est pas homogène, parce qu’il y a plein de réalités différentes et de gens qui la réclament pour d’autres raisons.
PAN M 360 : Sur Les gradins, on voit que vous adoptez davantage une position politique. Vous dites notamment que vous n’êtes pas des Jacques Parizeau, mais bien des Manon Massé. Que voulez-vous dire ?
Kirouac : C’est sûr que je ne peux pas parler pour Ludo [Kodakludo] puisque c’est moi qui écris la majorité des paroles, mais c’est sûr que la dernière année m’a fait beaucoup réfléchir. Et je pense que cette ligne en particulier veut comparer ces deux indépendantistes dans un sens, mais de dire que ma vision du Québec n’est pas celle d’il y a 25 ans. Je ne peux pas m’identifier à un Québec où on est contre d’autres personnes, tu vois ce que je veux dire ? Pour moi, toutes les personnes qui habitent au Québec sont québécoises. Notre rapport à la citoyenneté ne doit pas être ethnique, linguistique, ni même culturel à un certain point : à mes yeux c’est d’abord territorial et issu de la collectivité. Et cette idée est plus proche de Manon Massé que de Jacques Parizeau.
PAN M 360 : Vous faites tous les deux partis de La fourmilière, un collectif de rap où pour une vingtaine de membres masculins, il n’y a qu’un membre féminin, soit Xela Edna. La forte majorité au sein même de ce groupe est en quelque sorte un témoignage du boys club au sein même du rap québécois, mais aussi de la musique au sens large. Quelles sont les actions que vous avez concrètement prises pour atteindre la parité, et comment voyez-vous ces actions prendre forme dans le futur ?
Kirouac : La première chose, c’est qu’on se force à avoir énormément de conversations, il faut absolument que les gars se parlent entre eux pour identifier les comportements toxiques. Nous sommes nombreux au sein du collectif, oui, mais il y a des membres avec qui nous sommes plus proches que d’autres, il y en a plusieurs que les choses font en sorte qu’on ne les voit pas souvent. Mais il est important de questionner sa masculinité et de réaliser quel est notre rôle à jouer pour crisser le patriarcat en feu. Et après, c’est toujours difficile dans la mesure où l’on ne veut pas prendre la place de personne et tu ne veux pas parler pour personne d’autre.
Kodakludo : Il y a certainement un problème dans le manque de femmes dans le rap, et insidieusement, le boys club fait en sorte qu’il y a une immense pression sur elle quand elles veulent participer. Il faut comprendre nos propres biais, c’est quoi la dynamique d’un boys club… Et une fois que tu repères ces biais, il faut les déconstruire.