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En Europe, l’Akademie für Alte Musik Berlin (AKAMUS) est sans conteste une force majeure pour l’interprétation des répertoires baroque et classique. En témoignent une discographie plus qu’impressionnante et moult prix importants attribués à la formation allemande.
Dans l’environnement parfait du Festival de Lanaudière et de son amphithéâtre d’exception, AKAMUS nous invite à explorer les “continents” de Ludwig van Beethoven.
Autour du célébrissime compositeur, dont le 250e anniversaire de naissance en 2020 implique moult célébrations dont certaines reportées jusqu’à ce jour à cause de la pandémie, la formation allemande a sélectionné des œuvres marquantes de son répertoire mais aussi de ses contemporains, très connus à leur époque et moins aujourd’hui, comme Paul Wranitzky, Étienne Nicolas Méhul, Luigi Cherubini ou Justin Heinrich Knecht.
En exclusivité nord-américaine, nous aurons ainsi droit à trois programmes extrêmement riches en découvertes et, de facto, à un éclairage nouveau sur des œuvres de Beethoven exécutées dans une configuration très spéciale pour les mélomanes habitués de les entendre dans un contexte symphonique.
Voilà qui justifie cet échange des plus instructifs avec le violoniste et maestro Bernhard Forck, à la barre de l’Akademie für Alte Musik Berlin.
PAN M 360 : Que représente pour vous ce défi de présenter un énorme programme triple autour de Beethoven et de quelques compositeurs de son époque?
BERNHARD FORCK : Continents de Beethoven, le titre de notre triple programme, est une merveilleuse devise : nous voulons partager avec le public une vue étonnante et fascinante du panorama musical au tournant du 19e siècle, dont Beethoven est la figure centrale. Ainsi, sa musique sera entendue avec l’éclairage saisissant d’un ensemble d’époque, mais il y a aussi beaucoup de musique fascinante de cette période qui l’a influencé, une grande musique qui n’est pas écoutée aujourd’hui et qui doit encore être explorée.
PAN M 360 : On devine que ce triple programme implique une énorme quantité de travail pour les musiciens de l’Akademie für Alte Musik Berlin . Pouvez-vous nous donner quelques informations sur votre relation artistique avec votre ensemble dans ce contexte lanaudois?
BERNHARD FORCK : Nous sommes très heureux et honorés que Renaud Loranger, le directeur artistique du Festival, nous ait invités à jouer une série de concerts autour de Beethoven dans ce lieu magnifique. Nous avons établi un partenariat artistique fort avec lui puisqu’il est également vice-président chez Pentatone, un label pour lequel nous avons enregistré de merveilleux albums ces dernières années, parmi lesquels un ensemble des Concerti Grossi de Haendel ou l’opéra de Haydn L’isola disabitata – une véritable redécouverte.
PAN M 360 : Comment avez-vous construit ces programmes? Quelles en sont les intentions?
BERNHARD FORCK : Dans ce projet, qui était initialement prévu pour l’anniversaire de Beethoven en 2020, l’Akademie für Alte Musik Berlin souhaite replacer l’œuvre de Beethoven dans le contexte de son époque. Il faut savoir que Beethoven s’intéressait de près à de nombreux développements culturels de son époque, et contrer l’opinion répandue selon laquelle il était un génie musicalement autosuffisant, comme cela a été popularisé à partir du XIXe siècle. Nos trois programmes visent donc à fournir des exemples étonnants d’influences musicales et intellectuelles dans sa musique. Il n’est pas fréquent d’entendre Beethoven associé à des œuvres emblématiques de compositeurs comme Paul Wranitzky ou Étienne-Nicolas Méhul, deux des compositeurs les plus importants et les plus influents de la période classique.
PAN M 360 : Pouvons-nous connaître quelques éléments sur votre approche de la direction d’orchestre pour ces programmes spécifiques, bien sûr en tant que violoniste?
BERNHARD FORCK : En tant que musiciens d’un orchestre baroque, nous sommes très habitués à jouer sans chef, car les orchestres étaient généralement de petite taille au 18e siècle. Et jusque tard dans le 19e siècle, nous avons connaissance de tailles d’orchestres que nous appellerions plutôt aujourd’hui des orchestres de chambre. À cette époque, il était encore courant que le konzertmeister dirige les concerts depuis sa tribune. Lorsqu’on joue sans chef d’orchestre, il est aussi important de s’écouter les uns les autres que de jouer ensemble. Imaginez une musique de chambre de plus grande taille : il y a une sorte d’attention et de vigilance accrues dans tout l’ensemble.
PAN M 360 : Il y a aussi un grand intérêt pour les mélomanes du Québec à découvrir l’Akademie für Alte Musik Berlin. Quels sont pour vous les éléments clés de votre impact produit lors de ces trois différents concerts dans Lanaudière?
BERNHARD FORCK : Notre objectif est de captiver les mélomanes d’une manière nouvelle, en présentant » notre » Beethoven intégré dans un paysage sonore » historique » qui doit sa vitalité particulière à différents aspects : la taille réduite de l’orchestre (avec un effectif réduit de cordes) et l’utilisation d’instruments d’époque (en particulier dans la section des vents) ou de reproductions de ceux-ci donnent un son très distinct. Nous croyons en une musique de caractère, qui ne met jamais au premier plan la simple beauté du son, mais s’efforce au contraire d’être fidèle aux éléments rhétoriques et émotionnels de la musique. Cette approche directe saisit immédiatement l’auditeur.
PAN M 360 : Faisons maintenant un tour d’horizon de ces trois programmes présentés dans Lanaudière :
1er programme :
Paul Wranitzky
Oberon, Ouverture
PAN M 360 : Cette ouverture a été enregistrée récemment par l’Akademie für Alte Musik Berlin. Qu’est-ce qui a motivé ce choix dans la période classique?
BERNHARD FORCK : L’ouverture Oberon de Wranitzky démontre l’amour profond du compositeur pour la scène. Ce Singspiel était autrefois si populaire qu’il devint un modèle pour la Flûte enchantée de Mozart. Goethe envisagea également de demander à Wranitzky d’écrire la musique de sa propre suite de la Flûte enchantée.
PAN M 360 : Quelle est votre perception spontanée du compositeur moravien-autrichien Paul Wranitzky, peu connu de nos jours?
BERNHARD FORCK : Je ressens un grand enthousiasme à son endroit. Né la même année que Mozart, Paul Wranitzky est vraiment un compositeur à redécouvrir. Quand on pense à la période classique, on pense surtout à Haydn, Mozart, Beethoven et Schubert, mais la vie musicale viennoise de l’époque était bien plus riche. Wranitzky était l’une des figures les plus influentes du classicisme viennois – non seulement en tant que compositeur, mais aussi en tant que chef d’orchestre et violoniste. Ami de Haydn, Mozart et Beethoven, il était tenu en si haute estime qu’il avait créé la première symphonie de Beethoven et sa cinquième symphonie (au violon), tout comme il a dirigé la Création de Haydn à la demande du compositeur. Ses propres symphonies sont les œuvres les plus colorées, dans lesquelles il montre souvent sa riche pratique de compositeur de théâtre.
Paul Wranitzky
Grande Sinfonie Caractéristique pour la Paix avec la République Françoise op. 31
PAN M 360 : Pouvez-vous commenter ce choix, également enregistré dans le même album Paul Wranitzky : Symphonies, qui est l’œuvre principale de ce compositeur?
BERNHARD FORCK : La symphonie La Paix est un panorama sonore captivant de la Révolution française, un écho de la musique de marche et de bataille de son époque, lorsque les troupes de Napoléon Bonaparte et de l’empereur François II s’affrontaient. Wranitzky illustre presque les événements révolutionnaires dans les quatre mouvements de la symphonie, y compris le destin et la mort de Louis XVI, qui sont reflétés par une musique funèbre expressive. Il est intéressant de noter qu’une exécution publique de la symphonie fut un jour interdite par l’empereur, qui ne put qu’accepter à contrecœur le traité de Campo Formio, alors que Wranitzky célèbre le traité avec une musique puissante et joyeuse dans le dernier mouvement de sa symphonie.
PAN M 360 : Pouvez-vous nous confier quelques éléments de votre » stratégie » pour l’exécution en direct?
BERNHARD FORCK : En ce qui concerne notre projet Beethoven, nous avons beaucoup discuté d’un siège d’orchestre approprié. Cela permet la communication la plus directe entre les différentes sections d’instruments et crée, au mieux, une spontanéité et une énergie dans le son, qui sont transmises directement au public.
Ludwig van Beethoven
Symphonie n° 3 en mi bémol majeur, opus 55, Héroïque.
PAN M 360 : Comment la Symphonie n° 3, ladite Héroïque, s’accorde si bien avec les pièces de Wranitzky dans ce programme? Pensez-vous qu’elles sont » beethovéniennes » d’une certaine manière?
BERNHARD FORCK : On sait que Beethoven a été inspiré pour écrire son Héroïque en raison de sa fascination pour Napoléon et pour les idéaux de la Révolution française, un contexte qui était également très important pour Wranitzky. Mais la musique de Beethoven est une sorte de pendant sublime à celle de Wranitzky ; l’audace et la passion de son œuvre n’avaient pas pour but de dépeindre musicalement un développement historique mais plutôt la lutte des valeurs nobles. Avec sa troisième symphonie, Beethoven a réussi à écrire une œuvre d’une ampleur et d’une intensité émotionnelle inégalées, qui a ouvert la voie à l’ère du romantisme.
2e programme :
Luigi Cherubini, Lodoiska, Ouverture
Étienne Nicolas Méhul, Symphonie n° 1 en sol mineur
Ludwig van Beethoven, Symphonie n° 5 en ut mineur, op. 67 (Symphonie du Destin)
PAN M 360 : Que peut-on dire maintenant des liens esthétiques entre Cherubini, Méhul et Beethoven dans ce programme spécifique?
BERNHARD FORCK : À l’époque de Beethoven, Méhul était l’un des compositeurs les plus populaires en France. Un nouveau style symphonique, plus émotionnel et héroïque, commençait à se répandre de la France vers le reste du monde musical et impressionnait également Beethoven. La première symphonie de Méhul présente d’ailleurs des similitudes frappantes avec la 5e Symphonie de Beethoven, écrite à la même époque.
En ce qui concerne Luigi Cherubini, Beethoven avait une grande admiration pour le compositeur italien. L’ouverture très expressive et dramatique Lodoïska de Cherubini provient d’un des premiers opéras “à sauvetage », un genre populaire à l’époque et dans la tradition duquel s’inscrit également le Fidelio de Beethoven.
PAN M 360 : Pourquoi la Symphonie du destin est-elle pour vous la conclusion idéale de ce programme?
BERNHARD FORCK : Elle est profondément ancrée dans la musique de la Révolution française. Le caractère joyeux et marchant du finale est directement inspiré des chœurs de la Révolution, qui ont également été utilisés à plusieurs reprises par Méhul dans ses pièces. Dès sa création, la Cinquième Symphonie de Beethoven s’est imposée comme une œuvre d’une expressivité jusqu’alors inégalée. À partir de la première figure de quatre notes, Beethoven avait construit une symphonie d’une immense énergie. Sa Cinquième Symphonie illustre le passage de l’obscurité à la lumière, avec une nouvelle approche en tant que compositeur : Beethoven s’adressait désormais non seulement au concertiste, mais aussi à l’humanité dans son ensemble.
3e programme :
Ludwig van Beethoven, Coriolan, Ouverture, Op. 62
Justin Heinrich Knecht, Le portrait musical de la nature, ou Grande sinfonie
Ludwig van Beethoven, Symphonie n° 6 en fa majeur, opus 68, Pastorale.
PAN M 360 : Une fois encore, ce programme illustre une connaissance et une appréciation très fines des formes musicales de cette période musicale, Beethoven étant présenté avec un autre compositeur de la fin du 18e siècle et du début du 19e. Alors comment ces 3 pièces sont-elles liées entre Beethoven et Knecht?
BERNHARD FORCK : L’ouverture Coriolan de Beethoven exprime la nature colérique du héros. C’est une sorte d’anticipation de la nature littéralement colérique exprimée en musique dans les deux Pastorales qui suivent. Le célèbre commentaire de Beethoven sur sa 6e Symphonie, qui disait qu’elle devait être jouée avec » plus de ressenti que de peinture « , demeure un bon conseil : cette musique dépeint véritablement la météo des émotions intérieures.
PAN M 360 : La célébration de la nature est prédominante dans ce programme, très pertinent pour le plein air au Festival de Lanaudière. Comment cela vous est-il venu à l’esprit? Et que visez-vous pour votre ensemble avec ces pièces?
BERNHARD FORCK : Les images de la nature ingénieusement tissées dans cette œuvre de Beethoven marquent une nouvelle esthétique de la composition symphonique. Or, les racines de cette symphonie se trouvent, étonnamment, déjà deux décennies plus tôt dans la Grande Symphonie de Justin Heinrich Knecht. Son portrait musical de la nature est à ce jour presque inconnu, malgré son originalité et sa forte ressemblance avec la symphonie de Beethoven – qui utilisait déjà le même thème et les mêmes procédés dramatiques plusieurs années auparavant. En présentant ces deux Pastorales, nous voulons à nouveau souligner la richesse de l’œuvre encore inconnue du classique viennois. D’autre part, vous entendrez clairement : Beethoven était un libre penseur aussi sûr de lui qu’il ne l’était en tant que compositeur!