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Cohérent dans son approche qui consiste à jouer l’intégrales de quatuors d’un seul comp,ositeur, le Quatuor Molinari interprète cette fois l’intégrale des 6 quatuors à cordes du compositeur autrichien Anton Webern. Considéré parmi les 3 compositeurs phares de la Seconde École de Vienne au début du 20e siècle, soit aux côtés d’Arnold Schönberg et Alban Berg. Pendant son existence écourtée par son exécution accidentelle par un soldat américain, Anton Webern passa d’une écriture post-romantique à l’adoption d’un système compositionnel exploitant les 12 intervalles de la gamme (d’où l’expression dodécaphonique), à l’instar de ses collègues Schönberg et Berg. En 1924, il composait une première œuvre dodécaphonique (un Kinderstück pour piano), qui dès lors deviendrait son unique technique d’écriture. Par ses oeuvres pour quatuor à cordes, le Molinari compte illustrer le cheminement d’Anton Webern, de la grande tradition à la grande innovation.
PAN M360:Quel est l’historique du Quatuor Molinari avec le répertoire d’Anton Webern?
Olga Ranzenhofer: Webern est un compositeur essentiel de la musique pour quatuor du 20e siècle. Le Molinari avait déjà joué les trois derniers quatuors il y a de nombreuses années mais pas dans un même concert. Quand on reprend des œuvres de notre répertoire, ça nous permet d’aller encore plus loin dans les détails et l’interprétation. De les jouer tous dans un même concert est toujours une expérience très enrichissante, car nous suivons l’évolution du style d’un compositeur à grande vitesse alors que l’écriture s’étale souvent sur plus de trente ans. Dans le cas de Webern, les trois premiers quatuors vont surprendre le public, car leur esthétique se rapproche de celles de Brahms, de Strauss et de Schoenberg. Avec les trois derniers, Webern trouve sa propre voix à travers l’atonalité, le dodécaphonisme et la série. Tout un parcours!
PAN M 360 : Vos initiatives de médiation culturelle incluent ici une conférence de Jean Portugais Anton Webern, les mélomanes présents auront droit à une mise en lumière experte de cet important parcours créatif du compositeur. Plus brièvement pour les usagers de PAN M 360, quelles sont selon vous les particularités les plus évidentes de cette œuvre colossale dans le contexte historique de la Seconde École de Vienne? Évolution du dodécaphonisme? Ouverture au sérialisme? Votre point de vue d’interprète est précieux à ce titre.
Olga Ranzenhofer: L’œuvre complète de Webern dure environ trois heures et comporte 31 numéros d’opus. Les œuvres écrites avant la Passacaille opus 1 (1908), incluent les trois premiers quatuors et sont des œuvres d’un compositeur influencé par ses maîtres et la musique qu’il a entendue. Webern est aussi chef d’orchestre, sa connaissance du répertoire est donc très vaste. L’évolution rapide du style webernien s’effectue à partir de la Passacaille, passant d’une tonalité élargie au chromatisme, à l’atonalité, puis au dodécaphonisme et au sérialisme.
PAN M 360 : D’un point de vue musicologique, comment doit-on selon vous distinguer les travaux des principaux compositeurs viennois de la révolution dodécaphonique au tournant du XXe siècle, on parle ici de Schönberg, Berg et Webern?
Olga Ranzenhofer: Schoenberg a été l’inventeur du dodécaphonisme, celui qui a mis au point ce nouveau système qui dicte au compositeur l’utilisation de tous les douze sons de la gamme avant de pouvoir en réutiliser un seul; son élève Alban Berg prend ce système, mais contourne parfois la règle pour des raisons musicales. Ainsi il sera le plus « romantique » des trois. Enfin, Anton Webern sera le plus dogmatique et créera le sérialisme dodécaphonique, un système utilisant les douze sons, mais devant toujours être employés dans un ordre établi.
PAN M 360 : Quelle est la place des quatuors à cordes dans le répertoire d’Anton Webern ?
Olga Ranzenhofer: Le quatuor à cordes a toujours été très important pour Webern. Outre les six œuvres que nous jouerons, il existe de nombreuses ébauches et mouvements inachevés pour cette formation qu’il a mis sur papier dans sa jeunesse.
PAN M 360: Nous vous invitons à expliquer brièvement, en tant qu’interprète et directrice artistique du Molinari, les principaux enjeux d’exécution de chaque œuvre au programme :
Olga Ranzenhofer:
Langsamer Satz pour quatuor à cordes (1905)
Œuvre résolution brahmsienne, ce mouvement lent pour quatuor a été écrit au cours de l’été de 1905, une période heureuse pour Webern qui est épris de sa cousine Wilhelmine Mortl. Ils se marieront quelques années plus tard. Ce quatuor est d’une grande beauté et est très lyrique.
Quatuor à cordes (1905)
Écrit seulement quelques mois plus tard, ce quatuor montre déjà une évolution dans l’écriture de Webern. Œuvre beaucoup plus chromatique, on sent qu’il commence à s’éloigner de la tonalité pour aller vers le chromatisme. Certains élans nous rappellent le 1er quatuor de Schoenberg, son professeur de 1904 à 1908, ainsi que son Verlklärte Nacht (La nuit transfigurée), œuvre qu’il avait entendue l’année précédente et qui l’avait beaucoup impressionné. La polyphonie y est aussi très présente avec de nombreuses imitations entre les instruments ainsi que de grandes envolées lyriques.
Rondo pour quatuor à cordes (1906)
Écrit en 1906, le Rondo n’a été découvert qu’en 1966 et créé en 1968 aux États Unis par le Philadelphia String Quartet. Le thème de ce Rondo a le caractère d’une valse viennoise et on y retrouve une certaine retenue ainsi qu’une élégance toute viennoise.Dans le quatuor précédent, Webern a commencé à explorer les différentes sonorités des cordes. Avec ce Rondo, il introduit de plus en plus de nouvelles couleurs avec l’utilisation de la sourdine, des pizzicato, du ponticello et des harmoniques.
Cinq mouvements pour quatuor à cordes, op. 5
Avec les Cinq mouvements pour quatuor, on entre de plein fouet dans le Webern de la seconde manière, avec des mouvements courts, une densité d’écriture et surtout l’avènement de l’atonalité et du dodécaphonisme. Autant dans les œuvres précédentes le son devait être homogène, autant ici Webern cherche à différencier chacun des instruments, leur donnant des couleurs particulières pour se distinguer. Cette œuvre fait entendre de grands contrastes de caractères, de couleurs, de nuances et de rythmes, tout cela à l’intérieur même d’un mouvement qui lui, sera très court.
Six Bagatelles pour quatuor à cordes, op. 9
Probablement une des œuvres les plus connues de Webern, les Six Bagatelles font environ 4:30 minutes. Avec les Bagatelles, on est dans la continuité des Cinq mouvements pour quatuor avec les jeux de timbres, la brièveté et l’absence de structure formelle; tous ces paramètres y sont maintenant amplifiés et condensés. Chaque bagatelle étant très courte, l’attention doit donc être portée non plus sur la grande forme, la structure ou la thématique, mais sur la note. Chaque note revêt une grande importance. Les bagatelles sont comme des haïku japonais, des miniatures.
Quatuor à cordes, op. 28
Composé de 1936 à 1938, ce dernier quatuor de Webern est un chef-d’œuvre. Dans ce quatuor, il fait la synthèse de l’horizontal et du vertical, du contrepoint et de l’harmonie. Webern renoue avec la forme classique qu’il avait délaissée dans les précédents quatuors en grande partie à cause de la miniaturisation. On a maintenant un quatuor en trois longs mouvements, respectivement de 4 minutes (total des Six Bagatelles), un peu moins de 1:45 minutes et 2:15 !
La rigueur et la perfection de l’écriture sont extraordinaires dans ce quatuor. La série dodécaphonique qui est à la base de l’œuvre est fondée sur le nom de Bach : si bémol, la, do, si. Toute l’œuvre repose sur les intervalles entre ces notes. Un tour de force!