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La Chica est une artiste franco-vénézuélienne aux influences chamaniques modernes. Elle entretient cette double culture depuis son plus jeune âge et sa musique en témoigne. La Loba est le nom d’une légende vénézuélienne, mais c’est aussi le mot espagnol pour louve qui, dans cet album, symbolise le féminisme, mouvement dans lequel l’artiste s’est pleinement engagée. La libération de la parole tant dans le combat que dans le deuil est plus que nécessaire, elle est vitale selon elle. La musique, dont les rites chamaniques rythment sa créativité artistique, est son exutoire. Entretien avec une femme d’une grande sensibilité dont la force de caractère n’a d’égale que le titre de son album.
PAN M 360 : Pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas, pouvez-vous nous dire quelles sont vos origines qui très tôt ont influencé votre musique et deviendront votre particularité ?
La Chica : Je suis née avec cette double culture : vénézuélienne par ma mère et française par mon père. J’ai fait mes premiers pas au Venezuela et effectué beaucoup d’allers-retours pendant de longues années durant mon adolescence. C’est à vingt ans que j’ai décidé d’y aller six mois sur douze afin de connaître beaucoup mieux le pays où je suis née. Je m’y suis beaucoup imprégnée de la culture indigène chamanique grâce à ma grand-mère et toutes les personnes qui gravitaient autour d’elle. Cette culture a évidemment beaucoup influencé ma musique qui aujourd’hui résonne comme telle.
PAN M 360 : Votre nouvel album La Loba vient tout juste de sortir, un album très intimiste piano et voix en hommage à votre frère défunt, comment l’avez-vous composé ?
La Chica : Ce mini-album La Loba, il était important pour moi qu’il sorte cette année. Il est à l’image de 2020 ! Je viens de passer une année extrêmement difficile à tous niveaux. Grosses prises de conscience concernant certains combats, une violence de grande intensité et dans ma vie privée aussi, dont la mort de mon frère. J’avais déjà composé quelques titres et j’avais quelques thèmes en tête dont celui de la femme, et la volonté d’exprimer ma vision du féminisme et des énergies de 2020. Je voulais présenter tout ça dans un format simple. Je tenais aussi à aller à l’essentiel et au plus profond des émotions, par essence même le piano. Je n’avais pas envie de retravailler mes textes, je voulais quelque chose de cru. La plupart des enregistrements de voix ont été faits en une seule prise. J’ai voulu garder l’authenticité du moment.
PAN M 360 : Est-ce que le fait de rendre publiques ces émotions a été pour vous une sorte de thérapie personnelle ?
La Chica : Il y a quelque chose de très introspectif et La Loba est un peu comme une catharsis. La première étape de la thérapie a été très dure. C’était un exercice très difficile, un travail très viscéral, il a fallu que j’aille chercher ça très loin. L’accomplissement de ce premier volet avec la sortie de l’album est comme la première étape du deuil. La transformation sur scène en sera le deuxième et dernier volet et je pourrais considérer cela comme ma thérapie personnelle. Le fait de le répéter et de le chanter à haute voix aura un effet thérapeutique, c’est certain.
PAN M 360 : La pandémie a-t-elle accentué les émotions et le fait de vouloir retranscrire tout ça en musique ?
La Chica : La pandémie m’a amenée à me poser et réfléchir, ce que je n’aurais pas eu le temps de faire en temps normal. Dans un premier temps, il y a eu un aspect presque bénéfique, comme une petite leçon qu’il fallait retenir pour passer à l’étape suivante. J’ai eu beaucoup de prises de conscience, de recul sur moi-même, j’ai également réalisé l’ampleur des dégâts dans le monde, la violence qui en résulte, etc. Ce qui m’a donné l’envie aussi de rassembler toutes ces émotions et ces combats et de les mettre en chanson inévitablement.
PAN M 360 : Y a-t-il un lien entre votre précédent album Cambio (changement) et celui-ci ? Quelle évolution y a-t-il entre les deux ?
La Chica : Dans ce premier album, Cambio, il y avait un appel au changement, et avec ce nouvel album, il y a une matérialisation de cette transformation. La parole des femmes se libère et pour la première fois elle est écoutée. Et si elle ne l’est pas, en tous cas, elle résonne. Les femmes n’ont plus peur de dire les choses. Si ce n’est pas physique, c’est au viol psychologique que nous les femmes faisons face depuis tant d’années. Ce n’est plus un tabou et l’industrie musicale n’est pas une exception. Le vidéoclip de La Loba est une mise en image de cela aussi.
PAN M 360 : À ce sujet, ce premier vidéoclip est très sanglant et marquant par son impact visuel, quel en est le sens exact ?
La Chica : Cette violence quotidienne que les femmes subissent depuis trop longtemps est le reflet en quelque sorte de ce sang si présent dans la vidéo. On porte sur nous les marques et les blessures qui nous ont été infligées pendant si longtemps. Le sang lié à la femme est encore très tabou dans la culture en général, mais en vérité, pour moi, ce sang est lié aussi la vie. On peut voir à la fin du vidéoclip une sorte de renaissance. La naissance aussi se fait à travers la couleur rouge qui se retranscrit par ces grands rideaux que j’ouvre. C’est une manière de dénoncer le fait qu’associer le sang à la femme ne se fait pas. Ce clip est un message de vie, contrairement à la violence sociale quotidienne que l’on subit indirectement chaque jour.
PAN M 360 : Comment retranscrivez-vous cette culture latine dans votre musique ?
La Chica : Par l’aspect rythmique lié au corps qui me ramène à l’Amérique latine, bien plus flagrant dans l’album précédent. J’utilise aussi des samples de musique folklorique. Mais dans ce mini-album La Loba, cette culture est plus profonde, elle est déjà assimilée et ça ressort à des moments très spécifiques, comme des clins d’œil. C’est plus que piano/voix, car j’ai un lien particulier avec mon piano. Je me permets de lui donner des coups auxquels il répond par une vibration telle qu’elle me permet d’invoquer d’autres énergies afin de me connecter, voire de rentrer parfois en transe et de vivre un moment authentique. Je vais chercher une magie, une sonorité, une vibration musicale à transmettre aux auditeurs. J’appelle ça du « chamanisme moderne ».
PAN M 360 : La chanson Drink apparaît une nouvelle fois sur ce mini-album, mais en version plus apaisée, que signifie cette chanson et que raconte-t-elle ?
La Chica : C’est un chant pour les morts qui ont changé de dimension. Au Venezuela, la notion de célébration est très importante, on va célébrer la vie au-delà de la tristesse. Il y a une recherche de transe et une tradition de rituels qui viennent aussi de l’héritage africain. Cet apport culturel a laissé avec le temps des traces visibles, dont la santeria (le vaudou), qui se pratique de plusieurs manières, la meilleure étant celle d’entrer en transe. Évidemment, il faut être bien guidé, et beaucoup d’autres pratiques entrent en jeu, comme fumer un cigare qui « nettoie l’espace autour de soi ». Le rhum aussi joue un rôle important dans cette étape de transe, et ainsi, par l’ivresse, va aider au lâcher-prise.
Pour cette chanson, Drink, je me suis donc basée sur tous ces éléments par lesquels je raconte que j’ai beau être dans cet état d’ivresse, causé par la douleur de la perte d’un proche, mais aussi que j’ai envie de me connecter avec ceux qui sont partis. Et pour cela, je dois entrer en transe, d’où une première version très rythmée sur le premier album. Ce chant, avec cette résonnance, il me paraissait important de le reprendre dans ce petit album, mais de façon plus apaisée, ce qui lui a fait gagner un autre niveau de profondeur.
PAN M 360 : Comment cette culture chamanique est-elle devenue presque un rituel dans votre musique ?
La Chica : J’ai beaucoup voyagé au Venezuela et dans le monde. Grâce à ma grande famille sur place, cela m’a permis de rester chez les gens et de vivre un peu le quotidien dont le chamanisme fait partie intégrante. C’est assez irréel, avec un côté un peu psychomagique empreint de surréalisme qui fait qu’on voit beaucoup de situations et qu’on rencontre des personnages incroyables. Et d’autre part, j’ai une grand-mère anthropologue, sociologue et archéologue qui habite là-bas et qui a toujours travaillé avec les indigènes (tribus du Venezuela). C’est de là aussi que nous avons connu ces chamanes.
PAN M 360 : Quelle dimension allez-vous donner à la prochaine tournée suivant la sortie de ce nouvel album ?
La Chica : La Loba est une parenthèse dans ma vie qu’il va falloir que j’extériorise sur scène bientôt. Cette tournée va être une série de concerts très intimistes axés sur le piano et la voix. Une fois passé cette étape, je retournerai à quelque chose de plus physique et dans un format plus électro. L’envie de retrouver les rythmiques, le feu et la couleur va se faire avec le temps. On sera deux sur scène, moi-même et un multi-instrumentiste. Ensemble nous allons jouer en live toutes les mélodies avec nos pianos, synthés et autres pads.
PAN M 360 : Pouvez-nous dire en quelques mots ce que représente la musique pour vous ?
La Chica : La musique, c’est la vie, c’est ma vie ! C’est un tout : une mélodie avec laquelle je me lève le matin, la bande-son de ma journée, des kilomètres de souvenirs particuliers de vie, des liens, une passion, un exutoire. La musique, c’est l’amour de ma vie, c’est l’univers !