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Crédit photo : Benoît Paillé
Comme tant d’artistes consacrés, propulsés par les mécanismes inhérents à la pop culture, Klô Pelgag a vécu douloureusement l’inévitable tourbillon généré par la profession qui l’a accueillie. Elle avait trouvé ça très cool au début, puis moins cool… jusqu’au point de déchanter. Au fond du baril contre toute attente, elle a cherché à comprendre les tenants et aboutissants de ce chaos négatif.
Notre-Dame-des-Sept-Douleurs est l’aboutissement de cette autothérapie créatrice, au cours de laquelle elle fit la paix avec les lieux physiques du village dont le nom la terrorisait lorsqu’elle voyageait avec ses parents entre Rivière-Ouelle (leur lieu d’origine) et Sainte-Anne-des-Monts (là où ils exerçaient leur profession).
« À partir de 2013, relate Klô Pelgag, je n’ai pas arrêté de tourner. À un certain stade, c’est allé beaucoup plus vite; je devais apprendre comment fonctionner avec ça, comment aborder chaque truc à une vélocité trop grande pour moi. On a beaucoup beaucoup tourné ! Tu vas en Europe, tu voyages à sept dans une camionnette, tu reviens au Québec pour tourner encore, tu repars en France… N’importe qui finit par frapper un mur. J’avais déjà eu un haut-le-coeur après la tournée du premier album, je m’étais dit que j’allais ralentir pour celle du deuxième, mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Je n’avais plus le temps de gérer. »
Au terme du deuxième cycle de création, la chanteuse a frappé ce mur, visité l’enfer symbolique de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs. Dans la vraie vie ? Klô Pelgag n’hésite pas à nommer la dépression.
« J’ai vécu une rupture amicale, j’ai beaucoup souffert! Au niveau relationnel, j’ai vécu d’autres brisures, d’autres blessures. Veux, veux pas, quand tu fais ce métier dans la vie, des gens t’envient. Les gens trouvent ça hot ce que tu fais. Et puis certains de tes amis deviennent plus difficiles avec toi, surinterprètent des trucs vécus… Ça s’est passé en criss! Ça s’est passé pendant que je courais, que je faisais des centaines de shows, interviews, événements publics, galas, des choses qui ne me sont pas naturelles. Moi, je voulais juste faire de la musique! Ce que je ne savais pas au départ, c’est que ce métier vient avec toutes ces affaires médiatiques, les impacts sur ta vie personnelle, le regard que posent les gens sur toi… On est un peu impuissant par rapport à ça. »
Voilà ce dont parle Notre-Dame-des-Sept-Douleurs : fuir le surmenage, retrouver son équilibre et ses repères, assumer et gérer sa démarche créatrice. Klô Pelgag résume le processus par un « chemin naturel » par lequel elle a retrouvé ses forces, enfanté un être humain et un troisième album.
« J’ai toujours tenté d’accoter mes sentiments et mes émotions dans ma musique. Ma musique a toujours été au service de ça, avec des propriétés guérisseuses. Les textes de mes chansons me permettent de nommer les choses, c’est aussi une façon de les guérir. Cet album-là, cependant, est beaucoup plus frontal dans le texte. Plus direct, plus brut, plus transparent, moins dans la métaphore, mais aussi vrai et authentique. »
Moins encline à ce foisonnement sémantique qui a fait sa marque de commerce et que d’aucuns ont interprété à tort et à travers, Klô Pelgag choisit cette fois une évocation limpide de ses émotions sans renier ses éclats antérieurs pour autant. Quiconque les réduit à quelque épithète superficielle risque d’ailleurs d’être rabroué :
« Quand, par exemple, on qualifie d’absurde mon style, j’en ai des frissons de frustration. Je parle d’émotions et de choses véritables! Qualifier ça d’absurde ou autres qualificatifs du genre, c’est réducteur. Oui, j’ai fait de l’humour absurde quand on me voyait sur scène à mes débuts; j’étais vraiment timide et mon réflexe de défense était de niaiser, faire des jokes. Certains n’y ont vu que ça et ont classé mon travail… Je comprends qu’ils n’ont peut-être pas eu le temps d’y voir plus clair. »
Un des points culminants de la carrière encore jeune de Klô Pelgag fut ce concert pour orchestre de chambre, donné au Théâtre Maisonneuve en juin 2017 dans le contexte des Francofolies – l’Orchestre du Temple Thoracique faisait écho au titre de son deuxième opus, L’étoile thoracique. Ce fut le point culminant de sa collaboration avec son frangin Mathieu (Pelletier-Gagnon), compositeur et arrangeur… et ce fut aussi un point de rupture.
« Jusqu’au deuxième album, l’instrumentation ressemblait beaucoup à ce que mon frère avait amené à ma musique. Après ce show du Théâtre Maisonneuve, il y a eu un mouvement dans le personnel et l’instrumentation de mon groupe. J’ai trouvé des musiciens avec qui j’avais une complicité véritable, ce nouveau noyau allait être très influent pour le troisième album. »
Voici ce noyau : Étienne Dupré à la basse, synthétiseurs et un peu de percussions; François Zaidan aux guitares; Pete Pételle à la batterie; Sylvain Deschamps à la coréalisation et divers instruments. Le frangin Pelgag n’y est plus, il se consacre à d’autres projets, à commencer par sa carrière de compositeur en musique contemporaine.
Comment expliquer ce changement de cap ?
« J’avais besoin de m’affranchir et de me faire confiance en tant que musicienne, répond la sœur cadette. J’ai toujours admiré Mathieu, comme j’admire mon autre grand frère qui fait actuellement un post-doctorat au sujet de l’impact des jeux vidéo sur la jeunesse japonaise. Quand je travaillais avec Mathieu, il faut tout de même rappeler que je coarrangeais et composais avec lui. Mon frère reprenait mes idées (mélodiques ou harmoniques), mais je n’avais pas la confiance pour les porter toute seule. »
Voilà une des différences fondamentales avec cet album et les deux autres de Klô Pelgag : l’assomption totale de ses potentialités, la consolidation de l’ego.
« Je me suis botté le cul pour briser ma peur de la composition, de la technique et des logiciels. Je me suis mise à créer des compositions à l’ordinateur, organiser plusieurs voix, mieux comprendre la polyphonie. Sylvain m’a aidée à mettre ça ensuite sur papier, la violoncelliste Marianne Houle (qui joue aussi des claviers et qui chante très bien) m’a aussi aidée en ce sens.
« J’ai tout coréalisé avec Sylvain, j’ai arrangé tous les instruments, sauf pour trois chansons où j’ai fait appel à Owen Pallett – Soleil, J’aurai les cheveux longs, À l’ombre des cyprès. J’ai pris le risque de le contacter, il était super occupé mais il a accepté et nous avons correspondu par courriel. J’avais envie de recruter quelqu’un d’un peu inaccessible, que j’admire beaucoup et qui est hors du milieu québécois francophone. »
Né d’un désir de simplicité et d’un retour à l’équilibre, le projet s’est progressivement complexifié :
« Au début, j’étais en réaction au tourbillon duquel je voulais me sortir. Mon intention était de faire quelque chose de plus léger. Puis je me suis rendu compte que j’avais envie d’exploser, aller vraiment ailleurs au niveau de la composition, faire des trucs que je n’aurais jamais faits auparavant, me débarrasser de mes peurs en tant que musicienne. »
En tant que femme ? Klô Pelgag souscrit à la notion de sexisme systémique dans le monde de la musique.
« Le regroupement Femmes en musique m’a incitée à me faire confiance musicalement. C’est sournois et inconscient, mais on a souvent l’impression que nous, femmes, avons besoin de quelqu’un d’autre pour réaliser ce que nous avons envie de réaliser. Depuis mes débuts, j’ai composé et coréalisé mes chansons mais j’avais le réflexe de mettre de l’avant mes collaborateurs garçons, leur accorder tout le crédit. Aussi, j’ai grandi en écoutant surtout des femmes interprètes, beaucoup moins de femmes guitaristes, compositrices ou réalisatrices… Ça modèle ton imaginaire. Il me fallait assumer mon côté musicien, ma capacité à faire les choses et à évoluer. Je m’aime plus, je m’haïs moins. »
Partie définitivement de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, Klô Pelgag roule à plein gaz vers Notre-Dame-de-l’Assomption, « libre comme la violence ».