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Crédits photos : William Arcand
À titre de journaliste, j’ai rencontré CRi pour la première fois en 2016 alors qu’il venait d’être diplômé de la majeure en musiques numériques de l’Université de Montréal. Associé à des artistes comme Robert Robert ou Ryan Playground (maintenant TDJ), Christophe Dubé était présenté comme un producteur montréalais à suivre. Quatre ans et une ascension fulgurante plus tard, l’audacieux dévoile son premier album, Juvenile, avec la participation de Sophia Bel, Jesse Mac Cormack et Daniel Bélanger. Que s’est-il passé en si peu de temps ?
PAN M 360 : Repartons de notre dernière rencontre. Si tu devais choisir un mot et un événement qui ont marqué ta carrière pour chaque année, ce serait… ?
CRi : Je dirais que 2017, c’est la recherche, autant individuelle qu’artistique. J’ai accumulé plus d’instruments, j’ai pris des cours de piano. 2018, c’est la cassure. J’étais en couple avec Ouri, c’était ma première collaboratrice, on a grandi ensemble musicalement, puis on s’est laissés. Cette séparation m’a permis en 2019 de me retrouver. Je dirais que c’était la révélation : qui suis-je comme artiste et qu’est-ce que j’ai envie de faire ? À travers ça, il y a eu des événements comme sortir un EP avec Anjunadeep, commencer à jouer un peu partout… Et il y a eu la chanson Fous n’importe où (Daniel Bélanger) que j’ai reprise avec Charlotte Cardin. Ça a été un changement assez intense dans ma façon d’être, d’approcher les choses. 2020, c’est l’album. Il représente pour moi une nouvelle ère. J’ai acquis une certaine maturité, le long format m’a obligé à me poser des questions et me confronter à mon art. J’en sors plus fort.
PAN M 360 : Considères-tu toujours appartenir à la nouvelle scène électronique montréalaise ? Que peux-tu me dire de ton environnement musical ?
CRi : La scène électronique en soi est très diverse mais elle est assez hermétique à travers ses styles différents. Je trouve dommage que la scène techno, la scène house et la scène trap fonctionnent chacune en vase clos. Ce serait cool que les scènes se côtoient plus, qu’elles soient plus connectées. Ma gang est musicale mais pas nécessairement juste électronique, on est plus dans l’indie. Sophia Bel, Jesse Mac Cormack, ce sont des gens qui non seulement performent sur scène avec moi, mais ce sont aussi des ami.e.s avec qui je passe du temps et avec qui je fais beaucoup de musique. On n’est pas nécessairement dans les mêmes styles, mais ce qui nous rejoint tous.tes, c’est peut-être cette espèce de mélancolie nordique montréalaise.
PAN M 360 : Pourquoi avoir choisi l’angle électro-indie-pop ?
CRi : À travers cet album qui est, de manière totalement assumée, plus pop, plus dance, ma démarche, c’est de démocratiser la musique électronique et la sortir du très underground. C’est cool et nécessaire, l’underground, mais c’est aussi important que ça devienne plus accessible. Il y a des gens des régions qui n’ont pas forcément accès à cette scène-là, il manque un pont entre les deux. Si c’est quelque chose que je réussis à faire, ça pourrait mettre en lumière les artistes un peu plus underground. Les gens s’y intéresseraient plus, un peu comme ce qui s’est passé dans le hip-hop dans les dernières années au Québec. Loud, par exemple, a confirmé le succès populaire du genre, de la culture hip-hop. Après, c’est une ambition, je ne suis pas du tout en train de me comparer à Loud, mais c’est un peu la démarche au sens où je trouve que la scène est trop refermée sur elle-même. Quand tu vois le succès de Piknic Electronik ou d’Igloofest, tu sais qu’il y a un public et du potentiel, il manque juste un lien entre les scènes.
PAN M 360 : L’identité visuelle de ton projet est particulièrement accrocheuse et soignée, qu’y a-t-il derrière ?
CRi : J’ai eu la chance de travailler avec Will Arcand pour les photos. Mon univers visuel a vraiment pris une coche supplémentaire car j’ai eu le temps de m’y pencher en confinement. C’était important d’avoir quelque chose qui punche avec des couleurs comme le bleu et l’orange, d’autant plus que ma musique est colorée. On s’est concentrés sur le flou car dans ma façon de faire la musique, même si c’est contrôlé, les arrangements peuvent s’emballer, on ne sait plus trop qui est quoi. Le visage dans l’eau, c’est comme regarder dans le passé puisqu’on naît dans l’eau.
PAN M 360 : Tu as signé chez Anjunadeep, un label anglais particulièrement réputé. La scène électronique européenne semble moins hermétique que celle d’ici et les publics y sont peut-être plus réceptifs à ton style de musique, qu’en penses-tu ?
CRi : Oui, je suis d’accord. Je crois qu’en Europe, il y a une éducation de ce style de musique qui est beaucoup plus approfondie. Du Burial peut jouer dans un magasin de chaussures, ça fait partie du quotidien des gens, monsieur et madame Tout-le-Monde écoutent de l’électro. Signer chez Anjunadeep, c’est une bonne manière de sortir du Québec, sans pour autant m’émanciper, car c’est important pour moi de représenter ma scène.
PAN M 360 : Tu as pu faire quelques dates en Europe, notamment en Grande-Bretagne, comment as-tu vécu cette expérience ?
CRi : En tant que Québécois, les Français nous appellent toujours les cousins. Oui, je ressens ça quand je vais en France, mais j’ai l’impression que les Québécois, on est plus des Britanniques qui parlent français. Culturellement, il y a une proximité qui passe par l’architecture, par la bouffe. Quand j’ai eu la chance de jouer au Printworks à Londres, il y avait 7 000 personnes, c’était un délire complet. Y’a un peu l’équivalent avec Piknic, Igloofest, mais là, c’était vraiment quelque chose. On aurait dit que le public connaissait déjà les tounes avant de les avoir entendues.