renseignements supplémentaires
Crédit photo : Geneviève Bellemare
L’interview politique
Pour Jordan Officer, la pandémie de la COVID-19 a été l’occasion de réaliser l’ampleur du déclin dramatique des revenus générés par les enregistrements physiques ou numérisés.
Les ventes ne signifient plus grand-chose, l’écoute en continu s’est imposée pour de bon, encore faut-il la rendre économiquement viable et pérenne pour les musiciens, créateurs et interprètes qui en garnissent quotidiennement les plateformes. Pour l’instant, les revenus du streaming sont faméliques pour les artistes, seule une petite minorité d’entre eux en tire profit.
« Ma condition de musicien a-t-elle décliné avec l’écoute en continu ? Oui, c’est sûr. À l’époque où tu sortais un album et que tu pouvais en vendre des milliers, tu pouvais planifier ta vie en fonction d’un revenu du spectacle et un autre provenant de l’enregistrement. Ça n’existe plus. Mes collègues musiciens et moi-même, nous sommes tous habitués à ça.
« Progressivement, nous avons vu dans l’enregistrement un outil pour nous faire connaître. Or, depuis la crise de la COVID-19, on s’est rendu compte que ça n’a pas de sens d’accepter la disparition des revenus liés à l’enregistrement. En ce moment, on peut enregistrer des albums en attendant que les spectacles reprennent… et ça pourrait certainement être plus rentable. »
Créons un modèle d’écoute en continu viable, tel est le titre d’une pétition lancée par Jordan Officer et ayant récolté plus de 6000 signatures avant d’être remise à la Chambre des communes à Ottawa. Déjà, Steven Guilbeault, ministre du Patrimoine canadien, s’est montré sensible aux demandes des musiciens signataires, mobilisés par plusieurs textes publiés par Jordan Officer sur le dossier de l’écoute en continu via Facebook.
Comment expliquer cette proximité et cette écoute au ministère du Patrimoine canadien ?
« J’ai eu une première connexion avec Steven Guilbeault à l’époque où il était président d’Équiterre car nos filles étaient alors inscrites dans la même classe d’une école primaire. Par ailleurs, ma belle-sœur est avocate et le connaît bien. Nous avons eu des rencontres virtuelles avec lui et son équipe, nous avons aussi participé ensemble à un panel de discussion à l’émission de Pénélope McQuade. J’ai trouvé vraiment intéressant que le ministre du Patrimoine canadien soit à l’écoute. J’ai pu ensuite en discuter avec beaucoup de monde, je suis toujours en conversation avec des musiciens très engagés sur cette question. Je pense notamment à David Bussières, Ariane Moffatt ou Laurence Lafond-Beaulne (Milk & Bones). »
Des résultats à court terme ?
« Ça a redonné une visibilité à la question mais il ne s’est pas passé grand-chose, constate Jordan Officer. Depuis la pandémie, on a beaucoup été en mode gestion de crise pour aider les musiciens. Pour ce qui est du streaming, c’est un projet à plus long terme, il faudra changer des lois, mais il ne faut pas attendre à plus tard pour commencer à le faire. Il faut que ce sujet reste présent dans l’actualité. »
La prise de conscience de ce dossier est récente pour plusieurs artistes, même si d’autres en font état depuis des années. Pourquoi donc un Jordan Officer allume en 2020 plutôt qu’en 2010 ?
« Pour tout le monde, répond-il, les enjeux du numérique sont difficiles à saisir, c’est encore une nouvelle réalité qui demeure abstraite. Pour ma part, j’ai pris le temps de comprendre le dossier du streaming afin d’offrir une voix crédible, intègre et réfléchie. En me documentant sur la question, j’ai réalisé que si j’apportais ma voix au débat, ça pourrait aider. »
Ainsi, Jordan Officer a lancé une pétition de 6000 noms qui recueille quotidiennement de nouveaux adhérents, pour ainsi devenir un des leaders musiciens dans ce vaste dossier :
« Nous avons déposé la pétition à la Chambre des communes, on attend la réponse officielle… Entre-temps, nous avons observé d’autres urgences, celle des musiciens accompagnateurs et des techniciens qui ne sont pas tous admissibles aux programmes d’aide. Moi, je suis chanceux, je peux faire des demandes de subvention et proposer des projets. De manière générale, c’est difficile, que ce soit au provincial ou au fédéral. Les élus font de leur mieux, je crois, mais… tellement de choses se passent en même temps. »
On sait que le gouvernement canadien mise sur un rapport de l’OCDE, rapport très attendu sur la question de l’écoute en continu. Ottawa pourrait ensuite préciser sa position et l’affirmer sur la scène internationale.
« En Europe, rappelle Jordan Officer, il existe des lois pour percevoir des redevances sur les téléphones intelligents, disques durs d’ordinateurs, enfin tout ce qui sert à stocker en permanence ou temporairement. D’autres pays ont commencé à trouver des solutions dans le dossier de la taxation des GAFA mais… chaque pays a peur d’agir le premier, craignant les représailles du gouvernement américain.
« Déjà, cependant, le gouvernement de Justin Trudeau pourrait corriger les erreurs du gouvernement Harper, entre autres sur le dossier du régime de copie privée – qui prévoit des redevances perçues sur l’achat de supports vierges, CD ou cassettes, redevances ensuite redistribuées aux ayants droit. Or, ce régime n’a pas été actualisé auprès des fabricants d’équipements numériques. On devrait normalement adapter ce régime aux supports de nouvelles technologies qui permettent de stocker l’information ou de la lire en continu. Des dizaines de millions de dollars pourraient alors être versés aux artistes… »
Voilà donc un problème très complexe dans l’ensemble, encore loin d’être résolu. Jordan Officer en est parfaitement conscient.
« Je ne sais pas s’il y a une solution facile à soumettre. Par exemple, les sites de streaming ne font pas énormément de profit contrairement à ce qu’on croit, mais c’est quand même très profitable pour d’autres acteurs de l’industrie, dont les fournisseurs d’accès internet qui vendent leurs services à gros prix. Alors on vend ces accès internet pour la culture mais on évite la responsabilité de payer les artistes. Il me semble que lorsque ces entreprises ont des marges de profit d’environ 50 %, nous sommes en droit d’exiger des redevances. Même dans le contexte de la pandémie, on ne voit pas toujours comment l’argent des nouvelles aides gouvernementales se rend aux artistes. On souhaite plus de transparence. »
Les sociétés collectives de perception de droits (SOCAN, etc.), les syndicats d’artistes (UDA, Guilde des musiciens, etc.) et autres organisations tel que le Regroupement des artisans de la musique (RAM) multiplient les représentations pour obtenir gain de cause.
Jordan Officer siège au conseil d’administration d’Artisti, société québécoise de gestion collective représentant les artistes interprètes. Or, sur le dossier de l’écoute en continu, il fait plus ou moins cavalier seul, s’exprime en son nom propre et pilote lui-même le dossier de la pétition déposée à la Chambre des communes, pourquoi donc ?
« Bonne question ! Je trouve que le RAM fait du très bon travail sur ce dossier mais je ne suis pas lié directement à cette organisation, ni à d’autres organisations s’exprimant sur la question. Le ferai-je ? Pour le moment, j’ai l’impression d’avoir plus d’impact et de crédibilité en m’exprimant individuellement, en tant que moi-même. Ça se peut que je me trompe, mais c’est mon impression pour l’instant. Mais je veux certainement collaborer et contribuer à faire avancer ce dossier important. »