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Crédit photo : Geneviève Bellemare
Normalement basé à Montréal, Jordan Officer est joint à Tadoussac où il achève la construction d’un chalet avec sa famille.
« J’adore cet endroit ! Nous y sommes depuis le confinement à la mi-mars. Les albums ont été enregistrés en février, juste avant tout ça… »
Au départ, indique le musicien, l’idée des trois albums est venue du questionnement des autres à son endroit. Quelle étiquette doit-on lui coller ? Jazz ? Blues ? Country ?
« Ça m’agace un peu car ces trois styles sont les piliers du mien. Depuis longtemps, j’ai cette envie de mélanger ces influences et développer un langage qui m’est propre. Mais j’ai aussi senti souvent que je me privais d’y aller complètement à fond dans le répertoire de chacun. En le faisant, ce serait aussi une façon d’expliquer et d’exprimer clairement ces trois voies en moi. »
Jordan Officer y voit même une déclaration, un « statement ».
« Si je vais à fond dans ces trois étiquettes, je peux m’en libérer pour ensuite faire ce que je veux et ne plus avoir à m’expliquer. J’ai envie d’être prolifique, de faire des collaborations, des albums instrumentaux, je veux exprimer ce que je suis en tant que musicien. Faire ces trois albums, c’est également ouvrir la porte à plusieurs projets différents. »
Ce qui justifie notamment les titre de cette entreprise : Blues Vol.1, Country Vol. 1, et Jazz Vol. 1
Le batteur Alain Bergé (Jean Leloup, Youssou N’Dour, etc.) et le claviériste François Lafontaine (Karkwa, Marie-Pierre Arthur, Klaus, etc.) participent aux enregistrements blues et country.
« Je joue avec Alain depuis cinq ou six ans, nous avons une connexion très forte, en tant qu’amis et musiciens. Il est une force de la nature à la batterie. C’est comme si John Bonham jouait du Bob Wills ! Alain m’a suggéré de travailler avec François Lafontaine lorsque je me suis produit l’année dernière au Festival international de jazz de Montréal. Je connaissais François, je savais qu’il faisait de la très bonne musique, mais je n’aurais pas pensé spontanément à lui pour ma musique et… ce fut un fit incroyable ce soir-là. J’ai été surpris et charmé par lui dans nos interprétations blues et soul, mais j’ai aussi été impressionné par son jeu d’orgue dans le style country, un peu cheesy, un peu vieux jeu. Magique! On a voulu retravailler ensemble et j’ai voulu l’intégrer à ce projet. »
Des vétérans de l’americana locale ont aussi été conviés à cette célébration d’excellente musique américaine :
« Stephen Barry joue la basse dans l’album blues car il est un ami et un mentor. Il a l’âge de mon père, 73 ans. Il a été très important pour ma carrière. Michael Jerome Brown y joue aussi l’harmonica. Il fut un moment deuxième guitariste de Susie. On le connaît bien comme guitariste mais il joue aussi tellement bien l’harmonica ! Il sort des albums solos et fait de la tournée avec le bluesman Eric Bibb, dont il est l’accompagnateur principal. J’avais fait sa rencontre à l’époque au G Sharp, devenu le Barfly. »
Voilà une occasion de se rappeler l’immersion de Jordan Officer dans ce monde fascinant où le jeu et la composition s’inscrivent dans une démarche quasi musicologique.
« Michael Jerome Brown et moi avons tous deux cette tendance-là. Je me souviens de son appartement avant qu’il ne brûle à la fin des années 90, c’était un véritable musée. Michael avait des milliers de vinyles. Il me faisait des cassettes, j’en ai des valises pleines ! Il m’a tellement nourri en blues, il est une ressource incroyable ! J’ai eu la chance de connaître quelques personnes comme Michael. Je pense aussi à Bob Fuller des Hilbillie Nights présentées au Wheel Club. J’y allais chaque lundi avec Stephen Barry. On y chantait et on y jouait. Comme Michael, Bob possède des montagnes de vinyles. Sa blonde était obligée d’en entreposer dans son jardin sous une bache. Haha! Aujourd’hui, je comprends mes mentors de m’avoir accompagné dans mes découvertes, car c’est très excitant de pouvoir transmettre cette passion et cette richesse musicale aux plus jeunes, ce que je fais maintenant. »
Pour le volet jazz du triptyque, Jordan Officer a choisi de s’exprimer en trio.
« Sage Reynolds, qui joue avec moi depuis plusieurs années, aurait fort bien pu être le bassiste du projet jazz car il est un super musicien. Mais ce projet était aussi un beau prétexte pour enregistrer avec d’autres que ceux de mon groupe régulier. C’est pourquoi j’ai choisi Morgan Moore à la basse, un artiste qui m’inspire vraiment. J’aime tout de lui. Comme le batteur Rich Irwin avec qui j’ai toujours eu une belle connexion, nous avons une appréciation réciproque. L’occasion était parfaite pour cette collaboration. Quant au pianiste Torey Butler, ça a été tellement un bon fit ! On trouve des musiciens de jazz incroyables à Montréal, c’est difficile de choisir ! »
Les chansons et pièces au programme sont pour la plupart des classiques composés au siècle précédent. Vieille musique ? Jordan Officer confirme et nuance :
« Le répertoire de ces trois albums consiste à raconter mon histoire à travers ces versions. Je voulais que ce soit un genre d’autobiographie musicale. Aussi un hommage à tous les musiciens et compositeurs ayant fait partie de mon parcours. Plusieurs pièces de ces trois albums, je les joue depuis très longtemps et viennent de moments très particuliers de mon parcours et ma vie. Notamment Pennies From Heaven et Honeysuckle Rose que je faisais avec Susie Arioli pendant ces années où son groupe était mon activité principale. En blues, je reprends My Baby’s Gone And Left Me que je chante depuis 25 ans. Je joue également la musique de Clarence White, un guitariste bluegrass qui s’était joint aux Byrds et est mort très jeune dans un accident de voiture. Je rends aussi hommage au violoniste Harry Choates, musicien cajun qui était aussi très western swing dans ses improvisations. Sa version de Jole Blon, souvent qualifié d’hymne national cajun, est super ! »
Jordan Officer assume totalement son côté old school. Néanmoins…
« Je n’essaie pas de recréer une musique d’une autre époque. J’ai quand même envie d’être moi en 2020 et de m’exprimer tel que je suis comme personne. J’écoute des musiques qui n’ont rien à voir avec ma musique mais qui m’ont influencé d’une autre façon, dans les arrangements, dans l’approche, dans l’espace. Ça fait partie de mon jeu. J’essaie d’être moi-même lorsque j’improvise en blues, en country ou en jazz. Dans le cadre de ces trois enregistrements, j’ai joué avec la même guitare, le même ampli, pas d’effets, question de démontrer que c’est vraiment moi tout au long de l’affaire. Je n’ai pas l’impression de faire un switch d’un style à l’autre, de sauter d’un univers à l’autre, tout est lié. Pour moi, c’est une fierté. Je n’imite personne, j’ai toujours été attiré par la subtilité et l’utilisation de l’espace, l’émotion, les nuances et aussi l’extravagance, la virtuosité, une certaine agressivité. On ressent ces qualités chez mes modèles comme Ti-Jean Carignan, Charlie Christian ou Django Reinhardt. »
Force est de déduire que Jordan Officer n’est pas tant un traditionaliste qu’un artiste « classique » de la musique populaire américaine, dont il connaît parfaitement les fondements.
« Lorsqu’on écoute du jazz ou du country contemporains, on peut les considérer comme étant très séparés. Pourtant, ces styles se sont inventés côte à côte, il y avait beaucoup d’influences mutuelles au départ. C’est pourquoi j’ai toujours trippé à écouter des artistes qui se sont promenés dans les trois styles. Tu écoutes des 78 tours et tu découvres certaines chansons dont tu ne sais si c’est du country ou du jazz ou du blues avant le milieu de l’interprétation. Prenons l’exemple de Bob Wills dont je joue la chanson Playboy Chimes sur l’album country, son western swing était tellement jazz ! Ça rejoint ce que je suis devenu. »
Lisez la seconde moitié de notre entretien avec Jordan Officer , à paraître samedi (25 juillet)