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La pianiste Jeanne Amièle a d’ores et déjà été remarquée sur la scène canadienne. On lui connaît déjà une inclination pour le récital, la musique de chambre et le rôle de soliste invitée par des ensembles de toutes tailles. Parmi ses premières invitations prestigieuses, elle a été soliste à l’Orchestre symphonique d’Edmonton, à l’Orchestre de chambre I Musici de Montréal, et à l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières.
Détentrice d’un doctorat en interprétation de l’Université de Montréal, Jeanne Amièle a participé avec brio à moult compétitions nationales.Consacré à la musique de Clara et Robert Schumann, son premier album fut lancé en 2021.
Pour un récital présenté ce mercredi dans le contexte de la série Les Mélodînes présentée par Pro Musica, Jeanne Amièle met en relief des oeuvres de compositrices françaises, pionnières de la modernité : Hélène De Montgeroult, Cécile Chaminade, Lili Boulanger, Mel Bonis. À ce titre, la justesse et l’étoffe de son propos sont dignes d’intérêt !
PAN M 360. Faisons connaissance : D’où venez-vous? Où avez-vous grandi? D’où vient cette passion pour la musique vous ayant menée à une carrière professionnelle ? Qui furent vos premiers mentors et professeurs? Comment avez-vous accédé à un haut niveau d’interprétation? Premier cycle, 2e cycle, doctorat en interprétation… Racontez-nous !
JEANNE AMIÈLE : J’ai grandi sur la Rive-Sud de Montréal, à Saint-Bruno-de-Montarville. Ma passion pour la musique classique vient de mes parents. Mon père est un grand mélomane depuis toujours, et nous écoutions des disques classiques (et jazz) à la maison aussi tôt dans ma vie qu’à la petite enfance. Mon père a eu le souhait d’avoir un piano à la maison, et d’apprendre à jouer de cet instrument qui l’avait toujours fasciné. J’avais cinq ans, et dès que le piano est arrivé dans le salon, j’ai tout de suite senti un grand intérêt et une attirance particulière pour l’instrument. Mes parents ne m’ont jamais imposé de suivre des leçons de piano, ça a été mon désir dès le départ.
Ma passion s’est concrétisée ensuite un peu plus tard à l’adolescence, où j’ai commencé à entrevoir que j’aimerais faire de la musique mon métier. À l’âge de 14 ans j’avais complété les études du programme de musique de l’École de musique Vincent-d’Indy sous la supervision Marina Savoie, une professeure de Saint-Bruno que j’adorais et qui m’avait beaucoup inspirée dans ces jeunes années de mon adolescence.
J’ai par la suite vécu l’expérience de passer deux semaines en été au Camp musical du Saguenay Lac-Saint-Jean, où j’ai fait pour la première fois connaissance avec d’autres jeunes musiciens de mon âge, et ça a été une révélation. Les enfants et adolescents qui jouent de la musique classique ont souvent en commun d’être un peu des « misfits », de sentir une certaine difficulté à s’intégrer dans la jungle sociale que peut parfois représenter l’école secondaire.
L’intérêt pour la musique classique était effectivement peu répandu chez les jeunes de mon âge quand j’avais 14 ans. Je me suis sentie tout de suite « chez moi » au camp musical, c’est là où j’ai senti pour la première fois un sentiment d’appartenance au milieu de la musique. J’ai fait la rencontre de celle qui allait devenir ma prochaine professeure et mentor, la pianiste Jacynthe Riverin. J’ai eu la chance d’avoir des leçons privées avec elle au cours des deux années suivantes, et elle était extrêmement généreuse de son temps avec moi. Jacynthe est non seulement une pianiste mais une véritable artiste dans l’âme, avec une passion et un talent autant pour la musique que pour le théâtre et la littérature. Elle est à ce jour une des artistes de chez nous que j’admire le plus.
J’ai ensuite entrepris mes études supérieures en musique. Le professeur Jean Saulnier a été mon mentor durant toutes ces années, entre l’âge de 17 ans où j’ai commencé mes études collégiales jusqu’à l’âge de 27 ans où j’ai complété mon doctorat à l’Université de Montréal. Ces années ont été déterminantes dans ma formation de pianiste, j’ai reçu un enseignement complet à tous points de vue, j’ai eu la chance d’être encadrée et soutenue par Jean qui a toujours cru en moi. Durant ces années j’ai aussi suivi plusieurs stages professionnels, autant au Canada (Orford Musique, Domaine Forget, Banff Centre for the Arts) qu’à l’international, dont une année d’études à la Haute école de musique de Genève en Suisse durant ma maîtrise.
PAN M 360 : En 2021, vous avez enregistré un album entièrement consacré à la famille Schumann – Clara et (surtout Robert). Excusez notre ignorance, mais en avez-vous fait le programme d’un concert? Y avait-il des enregistrements de ces œuvres qui vous avaient inspiré avant d’aller en studio?
JEANNE AMIÈLE : J’ai enregistré cet album avec le souhait de faire ma première carte de visite comme pianiste, en y interprétant à la fois des œuvres que j’ai approfondies durant ma formation (tel le Carnaval op. 9 de Schumann) et des œuvres que j’ai découvertes plus tard, après ma formation académique. En effet, la musique de Clara Schumann a été pour moi une découverte parce que ce ne sont pas des œuvres qui faisaient partie du répertoire standard à l’époque où j’ai fait mes études – ça commence à changer aujourd’hui, heureusement!
J’ai toujours ressenti une affinité particulière pour la musique de Robert Schumann. Peu de temps avant la pandémie, j’ai d’abord approché le directeur artistique de la Chapelle historique du Bon-Pasteur avec un projet d’envergure où je souhaitais offrir cinq concerts où j’allais présenter la vie et l’œuvre du compositeur, à travers sa musique pour piano et sa musique de chambre.
En faisant mes recherches pour ce projet, j’ai rapidement compris qu’on ne pouvait pas passer sous silence la musique de Clara Schumann et son influence déterminante sur Robert, et j’ai découvert des œuvres magnifiques que je regrettais de ne pas avoir entendues plus tôt dans mon parcours.
De là s’est concrétisée l’idée de ma série L’univers Schumann où j’ai présenté en parallèle la musique de Robert et de Clara lors de chacun des cinq concerts, et l’idée de l’album solo dont la sortie a coïncidé avec le récital d’ouverture de cette série, en septembre 2021.
J’ai enregistré cet album avec la collaboration de mon père, qui a assuré la prise de son, un domaine qui le passionne autant (sinon plus!) que la musique en soi. C’était une belle mise en commun de nos univers!
PAN M 360 : L’exécution des œuvres des Trois romances de Clara Schumann à la fin de cet album a-t-elle été le déclencheur du choix des œuvres des compositrices françaises inscrites à votre programme des Mélodînes?
JEANNE AMIÈLE : Tout à fait! Je dirais que Clara Schumann a été le filon qui m’a amenée à vouloir connaître la musique d’autres compositrices. J’ai eu une période de découvertes, où je passais des journées à rechercher des partitions, des (rares) enregistrements, à commander des livres, à lire des articles, à écouter des émissions de Radio-France sur les compositrices. J’ai eu coup de cœur après coup de cœur, et j’ai souhaité mettre de l’avant cette musique dans mes activités de musicienne, autant comme pianiste que comme professeure.
Ceci a donné naissance à plusieurs projets. Cette période de recherche, notamment, m’a amenée à soumettre l’idée au directeur des études de l’École de musique Vincent-d’Indy de faire un ajout au programme institutionnel des œuvres de plusieurs compositrices. Je me disais que si j’avais pu entendre et jouer la musique des compositrices dès mes jeunes années d’apprentissage, ça aurait ouvert mes horizons comme musicienne classique.
J’ai donc sollicité la collaboration de ma collègue Magda Boukanan et nous avons fait en partenariat avec l’EMVI ce travail de recherche et de classement par niveau de difficulté d’une certaine d’œuvres que nous avons ajoutées au programme qui est enseigné par une grande communauté de professeurs.
Aujourd’hui, comme professeure, mes élèves apprennent autant la musique des compositeurs que celle des compositrices. Je pense qu’ils ne font aucune distinction à savoir si c’est un nom d’homme ou de femme sur leur partition, ils ne s’étonnent pas que je leur propose une œuvre de Cécile Chaminade ou une œuvre de Félix Mendelssohn par exemple, et c’est exactement l’objectif de cette démarche.
Dans l’Histoire de la musique, par le passé, il y a eu une forme de discrimination qui s’est faite, des préjugés qui expliquent que la musique écrite par des femmes était moins prise au sérieux et ne bénéficiait pas de la même visibilité que celle de leurs collègues masculins. Nous avons hérité du résultat de cette discrimination, à savoir que le répertoire qui est considéré comme « standard » a longtemps exclu les œuvres écrites par des femmes.
Il y a un certain travail à faire pour corriger ce déséquilibre, et ce mouvement est bien en marche aujourd’hui, ce qui fait que les prochaines générations trouveront tout naturel de jouer ces œuvres, peu importe le genre des personnes qui les ont composées.
Lorsque Irina Krasnyanskaya, directrice artistique de Pro Musica, m’a approchée avec une proposition de récital dans le cadre de la série Les Mélodînes, je lui ai parlé de mes projets, de mon amour pour la musique de Robert et Clara Schumann, et de mon intérêt pour les compositrices et de la possibilité de faire un programme entier dédiées aux compositrices françaises. C’est cette dernière idée qui a retenu son attention, et je suis très heureuse d’ouvrir la série avec ce répertoire qui me tient vraiment à cœur.
PAN M 360 : Comment vous y êtes-vous prise pour choisir ces compositrices pionnières et leurs œuvres pianistiques imaginées aux 19e et 20e siècles? Quelles qualités leur trouvez-vous? Hélène de Montgreroult? Cécile Chaminade? Lili Boulanger? Mel Bonis ?
JEANNE AMIÈLE : Ces quatre femmes ont eu des parcours incroyables. Non seulement leur musique est superbe, mais encore prend-elle un sens encore plus grand quand on connaît leur histoire de vie et les obstacles qu’elles ont dû franchir. Hélène de Montgeroult, par exemple, a vécu à l’époque de la Révolution française. Elle faisait partie de la noblesse, et elle a eu à subir un procès qui devait déterminer si elle aurait la peine capitale. Puisqu’elle était reconnue en tant que musicienne, on lui a demandé de démontrer ses talents au piano.
Elle a donc improvisé des variations brillantes sur la Marseillaise lors de son procès pour prouver ses qualités de musicienne. Elle a eu la vie sauve, et on lui a demandé de se joindre à la première cohorte de professeurs du Conservatoire de musique de Paris, qui a été fondé en 1795. La sonate d’Hélène de Montgeroult que je présenterai au récital de mercredi prochain appartient à la tradition classique, mais est aussi résolument romantique dans son caractère. On y entend aussi l’improvisatrice dans la liberté rythmique que demande l’interprétation de certains passages, et aussi dans les répétitions qui sont toujours variées; elle ne répète presque jamais la même idée de la même façon, il y a toujours un élément de nouveauté.
Je pourrais en dire aussi long sur la vie Chaminade, Boulanger et Bonis… et c’est ce que j’ai l’intention de présenter au public des Mélodînes. J’ai choisi ces quatre compositrices parce que leur signature à chacune est tout à fait particulière, et leur langage musical appartient à quatre styles tout à fait différents. L’exploration du langage par Lili Boulanger par exemple est très innovatrice, on peut y entendre des harmonies qui ont été explorées à la même époque par les musiciens jazz, mais dans une écriture classique tout à fait représentative de la musique française.
PAN M 360 : Est-il possible de verbaliser sommairement ce qui vous définit pianistiquement? Quels seraient vos traits de personnalité s’exprimant dans votre jeu? Quelle est votre propre direction? Vos préférences stylistiques?
JEANNE AMIÈLE : Pour moi, la musique a un sens narratif avant tout. Mes professeurs ont été d’une grande inspiration pour moi à ce point de vue. C’est maintenant un élément de mon jeu qui me définit je crois, et c’est une approche que j’applique à tout nouveau répertoire que je travaille. Le sens narratif peut vouloir dire plusieurs choses : ce que le public perçoit, c’est l’expression dans le jeu du pianiste qui est proche de celle de quelqu’un qui raconte une histoire.
J’ai participé à quelques projets où musique et narration ont été mis en lien étroitement, notamment avec la comédienne Pascale Montpetit dans le projet « Journaux intimes au féminin » sur lequel j’ai travaillé en collaboration avec l’écrivaine Lise Gauvin, et avec la comédienne Ginette Chevalier dans le concert Marcel Proust – La musique retrouvée mis en scène par Patrice St-Pierre.
Ces expériences ont été des sources d’inspiration extrêmement riches, car l’expression de la comédienne nourrit énormément mon imaginaire de pianiste, et à leur tour elles m’ont rapportées que ma musique leur donnait aussi de nouveaux points de vue sur leur texte. Quand je joue dans ces circonstances, je ressens vraiment que je « parle » en musique, que la musique est une narration en soi. Cela se transporte autant dans mon son, que dans mon expression corporelle. Le répertoire du récital de mercredi prochain se prête tout à fait à cette idée de « musique narrative », et c’est ce à quoi le public peut s’attendre je crois en venant assister au concert.
PROGRAMME DE JEANNE AMIÈLE DANS LE CADRE DES MÉLODÎNES
HÉLÈNE DE MONTGEROULT, Sonate n° 9 en fa dièse mineur, op. 5 no 3
CÉCILE CHAMINADE, Thème varié, op. 89
CÉCILE CHAMINADE, Étude de concert, op. 35, n° 4 « Appassionnato »
LILI BOULANGER, Trois morceaux pour piano
MEL BONIS, Romance sans paroles, op. 56
MEL BONIS, Barcarolle, op. 71
MEL BONIS, Ballade, op.27
LE RÉCITAL DE JEANNE AMIÈLE EST PRÉSENTÉ CE MERCREDI MIDI (12H10) , 1er FÉVRIER, À LA SALLE CLAUDE-LÉVEILLÉE DE LA PLACE DES ARTS