Group Modular : loin dans la quatrième dimension

Entrevue réalisée par Rupert Bottenberg

Les explorateurs électroniques israéliens de Group Modular sont de retour avec le nouveau Time Masters et une armada de batteurs.

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Crédit photos : Eldad Menuhin

Le temps guérit toutes les blessures, y compris les déchirantes peines d’amour et le vide insoutenable dans les conduits auditifs des amateurs de synth-funk rétro, qui ont dû attendre huit ans le nouvel album de la formation israélienne Group Modular, à la suite du premier et fascinant The Mystery of Mordy Laye, paru en 2012. Le noyau de Group Modular est composé de Markey Funk, de Jérusalem, fondateur du label Delights, et de Harel Schreiber, de Tel Aviv, alias Mule Driver, cerveau de l’étiquette Confused Machines.

mune pour les sons étranges et merveilleux de la musique obscure (et souvent anonyme) des bandes sonores et des disques d’illustration sonore des beaux jours du vinyle. C’est ce qu’ils ont exploré par le biais du projet Group Modular, qui présente son nouvel album, Time Masters, auquel ont participé de nombreux amis. PAN M 360 s’est entretenu avec eux par courriel sur Time Masters et leurs plus récentes activités.

PAN M 360 : Group Modular célèbre les vieux instruments de musique électronique analogique. Il y a encore un tel engouement pour les sons de ces appareils, à la fois si familiers et si étranges, qu’est-ce qui fait que vous les amiez tant ?

Mule Driver: Quand j’ai commencé à faire de la musique électronique, les techniques d’enregistrement virtuel et les logiciels des synthétiseurs n’étaient pas aussi perfectionnés et étaient trop lourds pour les processeurs, et les claviers de commande MIDI avec des boutons programmables n’étaient pas aussi courants qu’aujourd’hui. Pour pouvoir contrôler l’instrument en temps réel – j’ai toujours aimé jouer en direct – et avoir un son plus décent, mon premier synthé a été un Roland SH09. À l’époque, les synthés analogiques étaient bien moins coûteux qu’aujourd’hui. J’aime aussi les limites de certains d’entre eux – cela permet de se concentrer et de tirer davantage de l’appareil. Quant au son analogique old-school, qu’on peut maintenant obtenir avec des instruments (ou des logiciels) numériques ou modernes, la chose la plus importante pour moi est que l’instrument puisse être joué aussitôt de façon intuitive.

Markey Funk : Il y a là une certaine esthétique qui m’attire et, oui, une certaine nostalgie aussi. Il y a quelque chose de très particulier dans les sons de l’ère spatiale, avec cette anticipation de la distance que la technologie nous fera franchir dans un avenir pas si éloigné. En outre, je crois que tous ces instruments ont encore beaucoup de potentiel qui n’a pas été révélé. Au cours des 60 dernières années, beaucoup de grandes idées, sur les plans du son ou du genre, ont été abandonnées bien avant d’avoir été explorées à fond, juste au nom du progrès et de l’évolution des tendances. Et maintenant, nous pouvons prendre un peu de recul et poursuivre plus avant ces anciennes voies, dans une perspective plus large, très différente.

Crédit photo : Eldad Menuhin

PAN M 360 : Même s’il s’agit d’un album d’électronique rétro, l’élément clé sont les batteurs – les « maîtres du temps » du titre – qui jettent les fondations des morceaux. Parmi eux, on retrouve Matan Assayag, du groupe afrobeat Hoodna Orchestra, qui frappe fort, comme prévu ! Parlez-moi de cette approche créative et de ce que les différents batteurs ont apporté comme contribution.

MD : Puisque vous avez mentionné Matan, je dois admettre que je voulais travailler avec lui depuis très longtemps. Je l’ai rencontré lors d’un dîner avec son frère et nous avons eu une discussion intéressante sur la polyrythmie et les musiques africaine et électronique. Même si nous n’avons pas joué ensemble dans la même pièce et que nous n’avons créé que des morceaux basés sur son jeu de batterie, c’est super de pouvoir enfin produire quelque chose en collaboration avec lui. Pour ce qui est de la question principale, chaque batteur a apporté sa touche, son énergie et son style – ce qui a eu une influence sur ce que Markey et moi avons ensuite enregistré en studio.

MF : Après avoir terminé l’album Mordy Laye, nous avons réalisé que la batterie est un véritable élément moteur de notre créativité en studio (les deux morceaux de notre 45 tours ont comme point de départ un enregistrement de notre ami Sagi Sachs à la batterie). Grâce à notre connexion avec Audio Montage, nous disposions des meilleurs batteurs israéliens; c’est ainsi qu’est née l’idée de travailler avec plus d’un batteur sur l’album suivant. Nous n’avions pas de parties particulières à enregistrer, seulement un certain nombre de références de genre qui n’ont pas vraiment eu d’impact sur l’enregistrement. Après tout, chaque musicien apportait son propre style, déterminait le BPM pour chaque prise et jouait au métronome (et parfois, sans lui aussi).

Chacun a abordé la session différemment. Par exemple, Ori Lavi changeait de motif rythmique toutes les quelques mesures d’une même prise, Sagi a enregistré beaucoup de boucles de cinq ou six minutes et Matan a trouvé une structure de chanson très claire dans chaque prise – les sections A et B, un solo ou un break de batterie, un début et une fin – tout cela inventé spontanément. Donc, oui, chaque batteur apportait son caractère particulier qui constituait ensuite une colonne vertébrale non seulement pour notre jeu, mais aussi pour l’ensemble de l’arrangement.

PAN M 360 : En plus des batteurs, il y a un chanteur sur un seul morceau de l’album, pour le reste instrumental. Pas de paroles, juste des atmosphères célestes sur la dernière partie de The Phantom Mazone, gracieuseté de Zohar Shafir. Je pense que c’est mon moment préféré sur le disque.

MD : Merci ! Zohar, alias Nico Teen, est un chanteur très intéressant et talentueux. Je vous recommande de jeter une oreille à ses enregistrements et, si possible, d’aller l’entendre en spectacle. Au fil des ans, j’ai travaillé avec elle à de nombreuses reprises – de la parution de sa musique sur mon label au mixage et aux concerts – mais je pense que c’est la première fois que nous enregistrions quelque chose ensemble. C’est Markey qui lui a demandé de faire la voix sur The Phantom Mazone, et il semble que cela s’est bien passé.

MF : Alors que nous progressions sur ce morceau, Harel a suggéré d’ajouter des voix, et j’ai aussitôt pensé à Zohar ! Je n’avais aucun doute que cela allait bien se passer et je suis heureux qu’elle ait accepté. Nous sommes tous les deux de grands fans de son travail.

PAN M 360 : Le titre est un coup de chapeau au cinéaste d’animation français René Laloux dont les films étaient si représentatifs d’une certaine sensibilité psychédélique et science-fantasy de la fin des années 70 et du début des années 80 qui va de pair avec l’esthétique sonore de la musique électronique de cette époque. Avez-vous des commentaires à ce sujet et sur l’étonnante pochette, réalisée par Nick Taylor de Spectral Studio au Royaume-Uni ?

MF : En fait, le projet a été baptisé Time Masters dès le début quand nous étions encore à planifier les séances d’enregistrement de chaque batteur. Le titre fait référence à deux films différents : le premier, bien sûr, est le long métrage d’animation du même nom de René Laloux de 1982, Les Maîtres du temps, qui traite beaucoup du thème du voyage dans le temps. L’autre est le documentaire Keepintime, de B+, datant de 2000, qui traite des batteurs derrière les breaks classiques du hip-hop. En gros, nos « maîtres du temps » sont les batteurs, car ils déterminent le temps pour chaque morceau, mais aussi le rythme principal de nos propres voyages dans le temps, en explorant les sons du passé.

Bien que les disques d’illustration sonore et la musique électronique des débuts constituent un point d’ancrage entre nous, il est également clair que nous avons tous deux grandi avec certaines références à la science-fiction, qui comprend beaucoup d’animation. En fait, plus de la moitié des titres de l’album sont tirés de films et de séries d’animation des années 1970 et 1980.

Harel et moi sommes tous deux très attachés à l’aspect visuel. Harel est un designer à plein temps, alors que je suis plutôt un amateur avec une forte vision esthétique. Nous sommes tous les deux fans du travail de Nick Taylor depuis des années, alors quand Polytechnic Youth, avec qui Nick travaille souvent, nous a proposé un marché et confirmé qu’il ferait l’illustration de la pochette, nous étions vachement excités ! Travailler avec Nick a été un pur plaisir. Nous avons pris quelques jours à discuter de références avant qu’il nous propose deux options, dont la seconde a été retenue. Nous nous sommes immédiatement bien entendus, c’était comme si nous avions enfin rencontré quelqu’un qui parle la même langue obscure que nous.

Crédit photo : Eldad Menuhin

PAN M 360 : Toujours sous le thème du temps, huit ans se sont écoulés depuis le premier album, The Mystery of Mordy Laye. Dans l’intervalle, vous n’avez sorti qu’un simple, sur le label Markey’s Delights, pour la Journée internationale du synthétiseur en 2018. Vous avez tous les deux été occupés par d’autres choses, bien sûr, quels sont vos projets récents qui pourraient intéresser les lecteurs de PAN M 360 ?

MD : Huit ans, c’est vraiment long… nous travaillons sur Time Masters depuis quelques années. Après The Mystery of Mordy Laye, j’ai fait pas mal de choses : j’ai beaucoup joué et sorti un album avec mon groupe industriel, Mujahideen; j’ai lancé un label appelé Confused Machines, qui se concentre sur le côté brut de la musique électronique, de la musique de club moins fonctionnelle à d’autres expériences électroniques; j’ai aussi publié quelques trucs (et donné de nombreux concerts) sous mon nom de Mule Driver, dont un EP sous la tristement célèbre étiquette Creme Organization en avril dernier. Récemment, j’ai également sorti un album sous le nom de Max Schreiber, qui porte davantage sur la musique électronique expérimentale et improvisée.

MF : Comme vous l’avez déjà mentionné, je dirige ma propre maison d’édition, Delights, où je publie des 45 tours d’artistes contemporains inspirés par la musique de film et les disques d’illustration sonore des années 60 et 70. Cette année, nous avons lancé le deuxième 45 tours sous étiquette Project Gemini, maison basée à Londres, qui a été suivi par SimfOnyx (ma propre collaboration avec un artiste très talentueux et bon ami de Haïfa, Shuzin), et un nouveau titre est sur le point de paraître, comprenant deux de mes remixes pour des groupes locaux. Dans l’ensemble, 2020, avec toute sa folie, s’est révélée une année aux multiples collaborations : outre SimfOnyx et Group Modular, j’ai également sorti une cassette à tirage limité d’une séance d’improvisation sur le thème de la musique d’illustration avec deux amis à Berlin appelée Aquasonic Research Society, et tout un tas d’autres collaborations sont en préparation pour 2021. Croisons les doigts !

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