Googoosh : la diva iranienne est éternelle

Entrevue réalisée par Sophie Chartier
Genres et styles : Persian / pop

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Au troisième rang du Beacon Theater de New York, Mahnoosh Arsanjani est debout, à chanter à l’unisson avec son idole. Elle et son amie Bita Zavari ont pris un avion depuis la Californie pour voir une dernière fois sur scène la plus grande chanteuse pop iranienne, Googoosh. « Pas question de manquer ça, dit Mahnoosh. Ma famille est arrivée aux États-Unis quand j’avais sept ans et les chansons de Googoosh ont bercé mon enfance. Même si c’est un peu la musique de nos parents, c’est la nôtre aussi ! »

Depuis plusieurs mois, l’artiste fait en effet ses adieux à la scène dans le cadre d’une tournée mondiale riche en émotions, intitulée The Last Chapters, après 70 ans (vous avez bien lu !) d’une carrière riche en chansons, films et interdiction. Pan M 360 l’a rencontrée à la veille de son tout dernier concert new-yorkais.

Chaque peuple a sa diva. À Montréal, nous avons Céline Dion. Les États-Unis ont Barbra Streisand et Diana Ross, les Libanais ont Fairuz et les Italiens, Raffaella Carrà. Les Iraniens et Iraniennes ont Googoosh. Née en 1950 à Téhéran, Fāegheh Atashin est placée sur une scène par son père dès l’âge de trois ans, et accède à la célébrité très jeune, avant de devenir la courroie de transmission de l’occidentalisation culturelle dans les années 1960 et 1970 au pays. Elle est l’interprète de succès disco et pop comme Talagh (Divorce), Makhlough (Créature) ou encore Pol (Pont) dans les années 70, pièces que l’on peut aujourd’hui parfois entendre remixées ou échantillonnées pour les pistes de danse. Si certains la jugent trop commerciale, une majorité de Perses du monde l’ont hissée au rang de déesse vivante.


Dans sa suite de la Fifth Avenue, à Manhattan, la chanteuse de 73 ans, maquillée et coiffée à la perfection, paraît gracile, un contraste avec le personnage irradiant la puissance et l’humour qu’elle incarne sur scène. Cette tournée doit se poursuivre jusqu’en 2025. C’est sa façon de remercier et de dire au revoir à son public bien-aimé, une relation qu’elle nourrit depuis l’enfance. Après New York, c’est Dusseldorf qui l’attend plus tard en janvier, puis Abu Dhabi, Istanbul et Londres.

Le temps de conclure

« Je crois que c’est le moment de conclure, dit Googoosh, en entrevue. Après 70 ans à chanter, à jouer, à l’exception de 21 ans dans ma vie. J’ai beaucoup d’autres projets, je travaille sur un livre, j’ai une fondation, qui s’appelle la Fondation Pol, qui vise à soutenir les jeunes artistes dans leur éducation artistique ».

Après la Révolution islamique de 1979, la voix des femmes d’Iran devient interdite. Googoosh est condamnée à un silence qui durera plus de vingt ans, jusqu’à ce qu’elle quitte définitivement le pays en 2000. Depuis, elle réside à Los Angeles (à l’exception de deux ans à Toronto entre 2000 et 2002), a repris les concerts et a sorti une dizaine d’albums.

Sur la scène du Beacon Theatre, le lendemain de notre rencontre, elle fait preuve d’une grande générosité à l’égard de son public plus âgé, qui l’a vue grandir, et de son public plus jeune, qui la considère un peu comme une marraine attachante.Tous les âges et toutes les classes sociales remplissent à craquer ce théâtre de 2600 places. On s’est habillé chic, on se prend en photo pour dire « j’y étais ». La très grande majorité est d’origine iranienne et la diva ne parlera qu’en farsi sur scène. Le concert commence avec une interprétation sentie de Talagh, accompagnée de projections représentant les femmes iraniennes en lutte et de photos de Mahsa Jina Amini, cette jeune Kurde de 22 ans assassinée par la police des mœurs en septembre 2022 pour port du voile jugé inadéquat.

Googoosh ne s’est jamais cachée de son soutien au mouvement Femmes, vie, liberté, et à la communauté LGBTQ. En 2014, la vidéo de sa chanson Behesht (Paradis) mettait en scène un couple de femmes victime de la répression. Si elle ne condamne pas verbalement le régime des mollahs, elle n’a de cesse d’offrir son soutien à ceux et celles qui lui résistent.

Célébrer la liberté

Elle sait de quoi elle parle. Ses 21 ans passés loin de la scène représentent une période noire pour la star. La majorité de ses collaborateurs et amis du monde du spectacle avaient déjà fui à l’étranger.

« C’était très dur pour moi, se souvient-elle. On m’a pris mon art, mon métier, mon amour, ma vie, tout. Dès l’âge de trois ans, j’étais sur une scène. Je suis née pour la scène et on me l’a enlevée. Je pensais que j’étais finie pour toujours, je pensais que plus personne ne voulait m’entendre chanter à ce moment-là. »

Elle se trompait : pendant son isolement, ses chansons et ses films demeurent en demande sur le marché noir et parmi la diaspora. C’est grâce aux nouvelles technologies qui s’implantent alors, comme internet et les satellites clandestins, qu’elle finit par voir que l’amour du public n’est pas mort. À son départ d’Iran, en 2000, elle entame une tournée mondiale, intitulée Comeback Tour, de vraies retrouvailles.

« En 2000, j’étais excitée, émue, heureuse. Je retrouvais le public que j’aime. Par opposition, cette tournée-ci, aujourd’hui, est empreinte de chagrin. Je pleure beaucoup sur scène, je dois apprendre à me contrôler. Dire au revoir, ce n’est pas un sentiment agréable. C’est doux-amer. »


Le contexte a changé depuis son départ. Les femmes n’ont toujours pas le droit de chanter seules sur scène en Iran, à moins de se produire devant un public exclusivement féminin ou d’être accompagnées d’un homme. Sur les réseaux sociaux, une nouvelle génération d’artistes bravent ces interdits, partageant leur musique avec le monde.

« Je suis tellement heureuse et excitée de les voir, ces nouveaux visages, dit Googoosh. J’oublie leurs noms, je suis mauvaise avec les noms, mais j’entends leurs voix. J’ai accès à ces chanteuses fantastiques grâce aux réseaux sociaux et je suis reconnaissante de ce qu’elles font, ce qu’elles essaient de montrer. Elles montrent que les femmes peuvent chanter très bien, mieux que moi, même. Car elles sont la nouveauté, l’avenir. Moi je fais partie d’une ancienne génération. Je suis tellement heureuse qu’elles se lèvent ».

Une bête de scène

Sur la scène, la tristesse que la star dit ressentir se mue en une connexion authentique avec la foule, qui chante ses paroles à sa suite, rit à ses traits d’esprit, pleure et lui crie des mots d’amour. Elle sait ce que veulent ses fans : les grands succès pop et disco d’avant la Révolution. La diva chante entre autres ses pièces Pol, Hamsafar, Kooh, Mano To et Jaddeh. Ses dix musiciens (claviers, flûte, deux guitares, basse, batteur, choriste, violon, percussions et contrebasse électrique) reproduisent ces sonorités tirées des années 1970 à la saveur d’aujourd’hui. Sur l’écran géant derrière elle, des images nostalgiques de la jeune Googoosh se fondent avec la retransmission du concert.

Après un long entracte, l’artiste revient sur scène. Elle a délaissé sa longue robe à cristaux pour un ensemble pantalon-veston vert olive à franges pailletées. Elle poursuit le spectacle avec ses pièces Hejrat et Maah Pishooni. Aux premières notes reconnaissables de Makhlough, l’avant-dernière chanson, la salle explose en cris de joie, on se rue à l’avant pour l’acclamer.

Selon Mahnoosh Arsanjani, cette admiratrice venue de Californie, de méchantes rumeurs circulent : Googoosh serait désormais trop vieille pour la scène. « Mais tu vois ce qu’elle arrive à faire. La voix est là, sa puissance est toujours là ! »

crédit photos: Siavash Rokni

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