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À ta merci, opus initial de Fishbach, est paru en janvier 2017. Le public avait adoré, la critique aussi. Cinq années se sont écoulées, durant lesquelles Fishbach a vu sa notoriété monter en flèche. Ses prestations scéniques sont courues, les honneurs qu’elle récolte sont mérités, son art en sort gagnant. Fishbach a également joué un rôle dans l’adaptation pour la télé de la trilogie Vernon Subutex de Virginie Despentes, un récit urbain et adulescent. Fin février 2022, Fishbach nous présente Avec les yeux, un deuxième album tout en lyrisme et en nuances, un recueil élégiaque où elle donne libre cours à ses penchants expressionnistes, en mode maximaliste. Au fil de ces onze chansons qui nous proviennent de son chez-elle des Ardennes, elle amène les musicophiles en randonnée dans la forêt environnante, lieu de dangers comme « le désir loup-garou » et de spectacles inoffensifs comme des « courses d’escargots ». Tout ça sur fond de solos de guitare propres à fendre de gros billots. Avions-nous précisé que le lyrisme de Fishbach est contagieux? Pan M 360 a pu discuter d’Avec les yeux avec Fishbach.
Pan M 360 : Bonjour Flora Fishbach! Après deux ou trois écoutes d’Avec les yeux, on a l’impression de s’éloigner un peu de l’électro-atmosphère qui entoure À ta merci. En d’autres mots, Avec les yeux est un album plus chaud, plus charnel, instrumentalement parlant.
Flora Fishbach : Je ne sais pas si c’est conscient. En tout cas, j’ai fait cet album à mon image, donc peut-être y a-t-il plus d’aspérités qu’avant. Je me suis permis, parfois, de la douceur. Moins de dureté et moins de colère que dans le premier album. C’est aussi parce que j’ai certainement changé, au cours des quelques années qui séparent ces parutions.
Pan M 360 : Vous avez confié la réalisation d’Avec les yeux à Michael Declerck. Outre sa feuille de route probante et éclectique (Gaspard Augé, The Popopopops, Von Pariahs, The 1969 Club, Her), qu’est-ce que vous a incitée à faire appel à ses services?
Flora Fishbach : C’est assez simple, Michael a réalisé l’album Escapades de Gaspard Augé, membre du binôme Justice. J’avais eu l’occasion d’écouter ce disque en avant-première, j’ai été absolument séduite. De plus, Michael était l’ingénieur son – en concert – de mon ami Voyou, qui est sur la même étiquette que moi (NDLR : Enterprise). C’est donc Voyou qui m’a dit « Flo, tu vas adorer Michael, vous allez forcément vous entendre »; on s’est rencontrés et ça n’a pas loupé, on est devenus très amis et il a donné beaucoup de son temps pour ce disque. Je lui en suis très reconnaissante.
Pan M 360 : Tu es en vie est un hymne à la foi, la foi en l’amour et en l’autre, notamment. C’est une pièce lumineuse, avec ses riffs de guitare tonifiants. Ce sont ceux de Roman Rappak, leader du groupe Breton. Vous aviez déjà collaboré avec lui?
Flora Fishbach : Non, pas du tout. Je l’ai rencontré par hasard, je l’ai trouvé absolument délicieux, très élégant, très intelligent. Je lui ai présenté la maquette de Tu es en vie, qui était assez proche de la version finale. C’est lui qui a enregistré ces guitares et les a ajoutées à celles qui étaient déjà là. Il a exacerbé ce qui existait déjà. En gros, sur cet album, on est vraiment très proche de mes maquettes, outre deux ou trois détails de ci de là qui font, pour moi, la différence. Et sans ce garçon-là, je n’aurais jamais pu aller aussi loin. Roman, c’est un Anglais, Anglo-Polonais en fait. Il a ramené un peu d’Angleterre et de Pologne là-dedans.
Pan M 360 : Est-ce que Roman fait les autres partitions de guitare sur l’album?
Flora Fishbach : Non, on s’est partagé le boulot. J’en ai fait quelques-unes. Chez moi, j’ai fait plutôt les guitares acoustiques. Arthur Azara, qui a composé la pièce Arabesques, joue de la guitare notamment sur Téléportation. Et sur Nocturne c’est Fred Leclercq, un guitare-héros venant du métal (NDLR : DragonForce, Sinsaenum, Maladaptive) qui joue, ça nous prenait quelqu’un de très technique.
Pan M 360 : Les guitares sont très hard-rock.
Flora Fishbach : Hard-FM, je dirais! J’écoute du Scorpions, Alan Parsons et Journey, j’adore Journey!
Pan M 360 : La pièce Quitter la ville commence en mode country-folk, puis les chœurs la transforment en une ballade psychédélique-onirique. C’est légèrement déstabilisant, mais très agréable!
Flora Fishbach : Ah mais oui, j’adore les choses grandiloquentes, les choses lyriques; j’adore les gens qui exagèrent! En fait, je crois que j’aime l’expressionnisme. Sur scène, j’aime appuyer le propos. Il y a les minimalistes et les maximalistes : je suis dans la deuxième catégorie.
Pan M 360 : Votre voix et vos intonations évoquent celles de Catherine Ringer, sur La foudre. Est-ce une sorte d’hommage?
Flora Fishbach : J’adore les Rita Mitsouko et Catherine Ringer solo, pour moi c’est une des plus grandes chanteuses françaises. Et plus elle vieillit, plus elle est bonne. Mais non, ce n’est pas un hommage, je n’ai jamais cherché à la « singer ». Et je crois qu’on n’a pas du tout le même timbre, simplement qu’on a une façon de chanter qui est très blues, comme Elvis, une façon de décrocher la voix, d’être très théâtrales, d’être très dans l’expression, dans l’aventure de ne pas avoir peur de faire des sons bizarres avec sa voix. Et cette audace, je suis fière d’en être une héritière; je suis honorée qu’on me compare à elle, c’est la classe quoi!
Pan M 360 : Votre voix est plus puissante et assurée que jamais, notamment sur Téléportation. L’esthétique du clip est sylvestre et baroque, comme votre costume. Il y a du Mellotron et des power-guitares mélancoliques, on s’attendrait aussi à entendre des violons ou de l’orgue Farfisa. D’où vous vient l’inspiration pour la chanson et le clip?
Flora Fishbach : Les autres clips ont été réalisés par Aymeric Bergada du Cadet, dont Masque d’or où je descends une échelle – c’est très « cabaret » – et Presque beau, très ambitieux, qui sort le 25 février. Pour Téléportation, je voulais que le clip sorte vite parce que c’est un morceau très sincère. J’avais envie de tourner ça chez moi, dans ma forêt des Ardennes. Le rocher sur lequel je chante est à 100 mètres de chez moi. On ne voit pas ma maison sur les images, mais c’est juste à côté de mon village. J’avais le goût de faire un clip le plus simple possible – mais ce que j’appelle « simple » pour moi, la maximaliste, ce n’est pas simple mais bref, vous m’avez comprise –, c’est-à-dire chanter devant la caméra, dans le décor des Ardennes, une région très isolée. J’avais envie de retrouver quelque chose de très intime avec ce morceau.
Pan M 360 : C’est réussi, on croirait que c’est au bout du monde.
Flora Fishbach : C’est un peu ça!
Pan M 360 : Quand l’extrait Masque d’or est sorti, en novembre, on aurait pu penser que l’album serait orienté néo-disco, un peu comme les plus récents de Clara Luciani et de Juliette Armanet. Or, Avec les yeux offre une palette de sonorités plus vaste.
Flora Fishbach : Ah, mes copines! Pour moi, ce serait plus funk que disco, et encore ce serait funk-disco germanique parce que c’est beaucoup plus lent que le disco et c’est assez froid. Puis, je tiens à préciser qu’on ne s’est pas du tout concertées! En fait, on est des femmes qui avons les mêmes influences et les mêmes références. On est nées à la même époque, on a les mêmes goûts, mais on ne les utilise pas de la même manière; on n’a pas les mêmes personnalités ni les mêmes parcours.
Pan M 360 : On pense à Balavoine, parfois France Gall, Véronique Sanson (surtout pour Juliette Armanet) et tout ça. Et pour vous, plus de rock, hard-rock ou même métal.
Flora Fishbach : J’assume complètement! J’aime bien les trucs kitsch, j’aime ça au premier degré en fait; je trouve ça génial le rock, les solos de guitare!
Pan M 360 : Vos textes élégiaques, ce ne sont pas des récits du quotidien. Vos paroles sont plus lyriques.
Flora Fishbach : Oui, plus lyriques; le lyrisme, j’en fais des caisses. À part Dans un fou rire, qui ouvre l’album et qui était une façon de dire « Bon, je ne vais pas donner mon avis sur tout, je vais vous laisser faire travailler votre imaginaire ». Dans un fou rire, c’est le morceau le plus concret où je parle d’un tourment que j’ai eu un soir, j’en avais marre que les réseaux discutent, et cetera. Je l’ai écrit et composé très vite. Dans le reste des paroles, on est dans quelque chose de beaucoup plus rêveur, plus surréaliste, qui laisse place à la libre interprétation de chacun. J’ai la mienne bien sûr, parce que ce sont des morceaux très personnels. Mais j’aime bien brouiller les pistes et me dire que dans quelques années, si je ne pense plus la même chose, je pourrai me réapproprier la chanson autrement.
Fishbach sera au Club Soda pour les Francos de Montréal, le 11 juin 2022.
Photo de Fishbach : Jules Faure