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Présentée en 2006 par le Festival du monde arabe de Montréal dans une première mouture, la création Les Possédés en version 2022, a pour objet de « libérer les pulsions dionysiaques de la transe » par la musique électronique et différentes pratiques musicales, traditionnelles, sacrées ou classiques, du Levant et de l’Afrique du Nord.
La grande chanteuse de jazz oriental Lena Chamamyan (Arménie, Syrie), l’excellent chanteur féru de tarab Ahmad Azrak (Syrie), le chanteur et musicien gnawa Fourat Koyo (Maroc, Québec) iront à la rencontre de leurs collègues et directeurs artistiques, soit l’oudiste et multi-instrumentiste Mohamed Masmoudi (Tunisie, Québec) et le producteur et compositeur électronique Hello Psychaleppo (Syrie, Turquie).
Voilà un puissant bouillon de culture en perspective, dont l’issue sera connue ce samedi au Théâtre Maisonneuve. Pour ce, Samer Saem Eldahr alias Hello Psychaleppo nous entretenait il y a quelques jours des enjeux créatifs de cette rencontre inédite.
PAN M 360 : Où sommes-nous en train de vous joindre ?
SAMER SAEM ELDAHR : Je suis actuellement en Turquie. Lorsque nous nous sommes parlés en 2016, soit lors de mon premier passage au FMA, je vivais dans le Minnesota avec ma femme. Or, il y a deux ans, j’ai déménagé en Turquie; comme mes parents sont âgés, je voulais être près d’eux. À cause de la guerre, j’avais quitté la Syrie en 2012 pour le Liban jusqu’en 2015, puis j’ai déménagé aux États-Unis. Depuis 2019-2020, notre famille est à nouveau réunie, cette fois en Turquie- je vis actuellement à Mersin, pas très loin de la frontière syrienne. J’ai beaucoup d’amis ici! La nourriture est très similaire à celle de la Syrie et je peux parler ma langue (arabe), tout le monde peut me comprendre dans cette région. Je m’y sens presque comme chez moi.
PAN M 360 : Que pensez-vous de la vie en Turquie aujourd’hui ?
SAMER SAEM ELDAHR : Vous savez, je me trouve toujours dans mon studio, donc je ne me mêle pas vraiment des questions politiques de la région. Cela me convient pour l’instant mais cela ne veut pas dire que je n’ai pas d’opinion sur ce qui s’y passe. Bien sûr je n’arrête pas non plus de m’interroger sur qui je suis en 2022, sur mon identité.
PAN M 360 : Paradoxe intéressant : lorsqu’on assume totalement son identité, c’est le point de départ pour la perdre en partie et devenir citoyen du monde à travers son travail créatif. Alors qu’avez-vous créé au cours des dernières années ?
SAMER SAEM ELDAHR : Toyour, mon dernier album complet, date de 2017. Et puis en 2020, j’ai sorti le micro-album Jismal. Rien depuis mais, je compte vraiment revenir en force en 2023. Je collabore déjà avec différents artistes de Jordanie, d’Égypte, de Palestine et plus encore. J’explore aussi le DJing et j’ai beaucoup de bon matériel à partager – musiques originales, mashups, etc. Je souhaite que ce style de vie puisse continuer de cette façon.
PAN M 360 : Vous coréalisez donc Les Possédés, spectacle multigenres conçu autour de la thématique de la transe, considéré par la direction artistique du FMA comme son principal projet musical cette année.
SAMER SAEM ELDAHR : Ce fut une surprise pour moi lorsque le FMA m’a contacté pour cette création incluant la grande Lena Chamamyan, dont le jazz oriental est renommé internationalement. Il y a aussi Ahmad Azrak, magnifique chanteur de Tarab, dont l’objet est la quête de l’extase. La transe, en quelque sorte. Il y a aussi Mohamed Masmoudi, proche du jazz et également enraciné dans la tradition nord-africaine et moyen-orientale. Puis il y a Fourat Koyo, énergique chanteur et instrumentiste gnawa aussi enclin aux musiques de transe. Et il y a moi-même, un musicien/producteur purement électronique, et enfin il y a moi-même, sans compter les instrumentistes accompagnateurs.
PAN M 360 : Le fait même que vous soyez un artiste de la musique électronique et que vous dirigiez ce projet est en soi remarquable! Cela signifie que la musique électronique se trouve désormais partout sur Terre, le Maghreb et le Levant n’y faisant pas exception.
SAMER SAEM ELDAHR : Exactement. Et c’est ce qui a été au cœur de ma recherche, au cœur de ma musique et de ses liens avec les musiques traditionnelles ou classiques. Comment puis-je l’utiliser avec nos outils modernes ? Il faut rappeler que cette quête de modernité existait en Orient bien avant l’arrivée de la musique électronique. Depuis les années 6o, les artistes légendaires de ma culture ont utilisé des instruments amplifiés, guitares électriques, synthétiseurs, etc. Ils étaient vraiment à la page! Et… je ne sais pas ce qui s’est passé à un moment donné.
PAN M 360 : Plusieurs excellents artistes sont ainsi réunis dans Les Possédés. Peut-on savoir ce qui va se passer ? Comment en assurer la cohérence en tant que co-directeur musical, l’autre étant Mohamed Masmoudi ?
SAMER SAEM ELDAHR : Au-delà de ma connaissance des nouvelles technologies, ma tâche est de rassembler ces mondes musicaux et de célébrer l’esthétique de la musique arabe, ses phrases mélodiques, ses rythmes, ses sonorités et puis d’y maintenir également l’esthétique de la musique électronique. Tout ça se fonde sur les racines et se construit avec les moyens actuels. C’est très excitant pour moi parce que je n’avais jamais travaillé auparavant avec des chanteurs d’un tel niveau. Toutefois, j’ai auparavant chanté avec de grands rappeurs, j’ai également fait beaucoup d’échantillonnage de musique instrumentale ou de chansons traditionnelles arabes, mais je n’avais pas vraiment travaillé d’une tlle manière avec des artistes de la voix. Jusqu’à présent, c’est absolument merveilleux!
PAN M 360 : Comment cela s’est-il passé entre les artistes jusqu’à maintenant ?
SAMER SAEM ELDAHR : J’ai envoyé les trames des morceaux et les progressions d’accords aux artistes, puis on se retrouve cette semaine à Montréal pour jammer le tout en collectif. Avec tous les chanteurs, il y aura un joueur de banjo, un joueur de guitare slide, un pianiste, un violoncelliste, un bassiste, un percussionniste. Ensemble, nous avons quelques compositions inédites en chantier. La base de ces compositions est électronique, mais les parties traditionnelles y sont aussi fondamentales. Donc, vous avez les deux approches différentes avec d’excellents interprètes.
PAN M 360 : Sur le plan théorique, tout ça est séduisant mais… comment cela se passe-t-il quand il s’agit de mélanger la musique gnawa et le tarab, par exemple ? Comment superposeriez-vous ces styles, cultures et générations ?
SAMER SAEM ELDAHR : La partie la plus difficile consiste en la sélection des chansons et la façon de présenter chaque artiste dans un tout cohérent. Nous pouvons donc commencer par une grande introduction et construire ensuite avec les différents solistes. Certains auront des séquences spéciales en petits groupes ou en duos, tout le monde peut se trouver ensuite sur scène. Nous avons également mélangé certaines chansons et, parfois, nous changeons de rôle dans leur exécution – en chantant le refrain de la chanson de quelqu’un d’autre, par exemple. Ce sera vraiment un melting-pot d’idées, d’expériences et d’arrangements, le tout précisé pendant les répétitions.
PAN M 360 : Vous répétez donc à Montréal pendant quelques jours avant le spectacle ?
SAMER SAEM ELDAHR : Oui, nous répétons toute la semaine.
PAN M 360 : Devriez-vous enregistrer ce projet très spécial ?
SAMER SAEM ELDAHR : Je le souhaite parce que nous avons construit une très belle relation entre les artistes. Donc je pense que cette belle collaboration peut se poursuivre sous différentes formes. Vous savez, je sens qu’il y a beaucoup de potentiel dans ce concept, tout ce monde réuni est tellement heureux de ce qui se passe. Sincèrement, je sens que nous allons tous au bon endroit même si nous ne savons pas exactement ce qui va se produire sur scène. Je suis confiant ! Ça ne peut pas mal se passer parce que nous sommes tous bons dans ce que nous faisons. Beaucoup de plaisir en perspective!