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Le 23e Festival du monde arabe de Montréal (FMA) renoue avec le corps, laissé à lui-même depuis la pandémie qui périclite et qui laisse place à d’autres enjeux d’autant plus difficiles et anxiogènes pour l’humanité.
Au coeur des propositions scéniques du FMA se trouve « le corps humain, cette machine qu’on oublie pendant cette période trouble que traverse un monde inquiet, un monde qui vacille. Le corps doit ainsi soutenir la tension qu’impose conjoncture », pour reprendre les dires de Joseph Nakhlé, directeur artistique et fondateur de l’événement.
Cette thématique du corps est évoquée particulièrement dans les spectacles transdisciplinaires ou transgenres musicaux. Chapeauté par la danse, Harem (13 novembre, Théâtre Maisonneuve) évoquera les besoins primaires de l’humain.
Guidé par la transe, le spectacle Les Possédés (12 novembre, Théâtre Maisonneuve) réunira artistes du Levant issus de divers horizons : chants arabes classiques (Oum Kalthoum, Abdel Wahad, Fairouz, etc.) chants jazz mâtinés à l’orientale, musiques instrumentales ou électro sous le signe de l’extase et de la transe mystique.
Mais commençons par le commencement, soit Tribales, premier spectacle thématique du 23e FMA, présenté ce samedi au National.
« Terré jusque dans l’indicible instinct, le tribalisme opère sans cesse à notre insu, organisant nos affinités les plus sensibles, nos souhaits les plus profonds, nos solidarités les plus diverses, tout en dessinant les contours de nos imaginaires les plus fous. Religieux, amical, sexuel ou politique, le mimétisme tribal influence chacun de nos gestes et aspirations. Cette pulsion archaïque, dont nul ne peut se défaire, continue de nous habiter, s’arrimant à l’éternel besoin de vivre la perte de soi dans l’autre.»
Nous en causent Joseph Nakhlé, à l’origine du concept, et Mounir Troudi, chanteur transculturel d’origine tunisienne recruté dans le spectacle Tribales
PAN M 360 : Tribales, Harem et Les Possédés sont des titres de spectacles ayant déjà été utilisés par le FMA par le passé. Pourquoi la reprise du concept , Joseph Nakhlé ?
JOSEPH NAKHLÉ : C’est repris, effectivement, mais avec des artistes différents, des styles musicaux parfois différents et déclinés cette fois sous le thème du corps. Harem explore le désir et l’intimité, Les Possédés évoquent la transe du corps, Tribales explore le « corps social », le « corps collectif », celui du groupe ou de la tribu.
PAN M 360 : Tribales recrée une tribu, en fait, puisque ses membres proviennent de différentes souches orientale.
JOSEPH NAKHLÉ : Oui. Nous avons notamment le chanteur parisien Mounir Troudi, le groupe parisien DuOud (Mehdi Haddab et Smadj), compositeur et multi-instrumentiste montréalais Mohamed Masmoudi, ainsi que le chanteur Anand Avirmed, spécialiste du Khöömi, chant de gorge issu d’une culture mongole ancestrale. Sauf ce dernier, les artistes invités sur ce plateau sont majoritairement issus d’Afrique du Nord, de Tunisie et d’Algérie, même s’ils vivent en Europe ou en Amérique du Nord.
PAN M 360 : Mounir Troudi, on vous a découvert il y a une vingtaine d’années avec le trompettiste de jazz Érik Truffaz. Depuis lors, vous avez fait plein de musiques transculturelles depuis le début de votre carrière. Encore aujourd’hui, vous êtes impliqué dans des métissages entre musiques nord-africaines, chants soufis et autres musiques modernes, du jazz à l’électro. Ça se poursuit avec ce concept spécial du Festival du monde arabe.
MOUNIR TROUDI : Tout à fait! J’ai toujours été sur cette idée d’ouverture à l’autre, sur les différents styles de musique, autres directions artistiques. Je suis toujours dans le partage.
PAN M 360 : Le partage se fait en Occident et non en Orient, force est d’observer.
MOUNIR TROUDI : Je vis Paris mais j’ai aussi une maison dans une ville côtière dans mon pays natal, plus précisément à Sousse, à l’ouest de Tunis.
PAN M 360 : L’approche « tribale » dont il est ici question est tout sauf homogène, n’est-ce pas?
MOUNIR TROUDI : Je trouve que c’est magnifique de rassembler différents disciplines. Je connais les musiciens de DuOud, depuis une quinzaine d’années, avec qui j’ai collaboré aux côtés du producteur turc et joueur de nay Mercan Dédé. J’ai aussi participé au projet Speed Caravan avec Mehdi. Plus récemment, j’ai participé à l’album du groupe Sultan, conçu avec un jazzman sénégalais. Je participe également à une série de spectacles de chants soufis avec plusieurs personnes sur scène. Je m’intéresse au soufisme, je suis plutôt freestyle là-dedans (rires), mais je souscris à l’idée de ne rien posséder et ne pas être possédé par personne.
PAN M 360 : Comment ce projet s’est-il structuré?
MOUNIR TROUDI : Il y a une sélection d’artistes par Joseph (Nakhlé), on a monté un groupe. Chacun d’entre nous a ensuite proposé ses musiques et on en a sélectionné les morceaux. Chacun a écouté la musique de l’autre et nous avons créé un son commun en apprenant à jouer ensemble ces morceaux tirés de nos répertoires respectifs. Du coup on essaie de trouver de la place pour les autres artistes dans chacun de ces morceaux.
PAN M 360 : Trouver de la place pour les autres implique donc une transformation des pièces d’origine. De quelle manière?
MOUNIR TROUDI : On écoute attentivement les morceaux et on ajoute de nouvelles idées. On ne prend donc pas le morceau tel qu’il est. Une fois que les artistes impliqués y ont trouvé leur place, on essaie de jouer les morceaux ensemble, parfois en formation réduite, duo ou trio. L’orchestration qui s’ensuit est donc différente des morceaux d’origine, l’enjeu étant donc d’adapter les morceaux à ce nouveau concept. Et j’espère que ça va bien réussir sur scène!