Festival de Lanaudière 2024 | Marc-André Hamelin, l’OM et Yannick Nézet Séguin, « tradition lanaudoise »

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : classique / période romantique

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Le supravirtuose Marc-André Hamelin fait escale cet été au Québec, dans la continuité de ses proches relations artistiques avec l’Orchestre Métropolitain et son chef, Yannick Nézet-Séguin.

« C’est devenu une sorte de tradition lanaudoise : la réunion estivale de deux des plus grands musiciens du Québec, auxquels l’on doit certains des plus grands moments de notre Festival depuis quelques années », résume-t-on sur le site officiel de l’événement.

Ainsi, le pianiste et compositeur québécois (établi aux États-Unis depuis ses études supérieures), dont on sait l’immense virtuosité et l’immense musicalité, s’attaque cette fois à deux œuvres extrêmement exigeantes, d’autant plus qu’elles seront jouées tour à tour, au cœur d’un même programme : les Concertos pour piano no 1 et 2 de Franz Liszt. Autre tour de force en perspective pour Marc-André Hamelin et l’OM, le samedi 28 juillet, 16h, à l’Amphithéâtre Fernand Lindsay. Puisque ce grand musicien est incontournable à toutes ses escales québécoises, Alain Brunet a pu le joindre à Seattle, une semaine avant la présentation du programme lanaudois.

PAN M 360 : Nous avons mené plusieurs interviews avec vous par le passé, et nous sommes très heureux que ça continue sur notre plateforme, une fois de plus dans le contexte du Festival de Lanaudière.

Marc-André Hamelin : Merci! Plaisir partagé.

PAN M 360 : Vous avez tissé des liens serrés avec l’Orchestre Métropolitain de Montréal et Yannick Nézet-Séguin.

Marc-André Hamelin : Eh bien, oui, cela fait quelques années. On m’invite régulièrement à Lanaudière et c’est souvent avec Yannick Nézet-Séguin et l’OM. Et cela me fait extrêmement plaisir que cette association soit si durable.

PAN M 360 : Et on on sait que Yannick Nézet-Séguin aime Liszt, puisque vous vous consacrerez aux concertos n°1 et n°2 pour piano et orchestre. On sait aussi qu’il est un irréductible brahmsien, ce qui explique que vos interprétations seront précédées par une œuvre de Brahms et succédées par une œuvre de Brahm : l’Ouverture académique et la Symphonie en mi mineur de Brahms.

Marc-André Hamelin : Ah ! Je ne connaissais pas le reste du programme, mais c’est génial.

PAN M 360 : Revenons donc à Liszt, dont le premier concerto pour piano et orchestre a été créé en 1855, et le deuxième en 1861.

Marc-André Hamelin : Le n°2 , cependant, avait été composé beaucoup plus tôt, soit dans les années 1840, mais il ne fut finalement publié qu’en 1861.

PAN M 360 : Alors, comment abordez-vous ces œuvres ? Vous les avez jouées si souvent et ce dans différents contextes!

Marc-André Hamelin : C’est très difficile d’être objectif avec ces œuvres parce que je les connais littéralement depuis que je suis petit garçon. Elles ont toujours fait partie de ma vie, il est donc peut-être un peu difficile de les évaluer même si si j’essaie de prendre du recul. Il est quand même assez aisé de constater que ce sont des œuvres qui ont grandement innové la forme du concerto traditionnel que l’on connaît à ce jour. Ces œuvres sont conçues en plusieurs parties, mais ininterrompues dans l’exécution. On peut les analyser comme on veut, il y a beaucoup de débats là-dessus, mais c’est quand même assez extraordinaire parce que je ne pense pas qu’on n’avait vu une telle forme continue auparavant.

PAN M 360 : Effectivement, ces fondus enchaînés, c‘était une pratique innovante à l’époque.

Marc-André Hamelin : Et c’est l’une des nombreuses innovations de Liszt, bien au-delà du poème symphonique qu’on lui doit également. Ses explorations harmoniques et formelles ont véritablement ouvert la voie à la musique du XXe siècle. Rien de moins. En fait, je pense que ceux qui critiquent Liszt le connaissent à peine. Ils devraient plutôt réaliser son importance! Oui, c’est vrai qu’il y a composé beaucoup de pièces flamboyantes et peut-être un peu gratuites, j’en conviens, mais il était un architecte musical hors du commun. Son sens des proportions en termes de construction des notes, c’était phénoménal. Il fut extrêmement prolifique.

PAN M 360 : Maintenant, si nous prenons le Concerto no 2 de Liszt, comment le distinguez-vous du no 1 ?

Marc-André Hamelin : C’est une forme encore plus difficile à découper que le no 1, car en fait elle est découpée en plusieurs épisodes qui se succèdent toujours. Cette fois il n’y a pas de pause comme il y en a une dans le no 1, surtout entre le premier et le deuxième mouvement, ils se succèdent complètement. Mais c’est une œuvre qui, comme la première, transforme des thèmes fondamentaux, mais qui les transforme d’une manière absolument presque méconnaissable. Si on reprend le thème du début, on l’entend plus tard, mais sous un rythme différent, un caractère différent, et cela contribue à apporter une unité.

PAN M 360 : Puisque vous avez tant écouté et tant joué ces œuvres, comment ont-elles évolué en vous, en tant qu’interprète ?

Marc-André Hamelin : Le premier concerto est un peu plus dynamique que le deuxième, peut-être un peu plus apaisé si on l’observe globalement. Le premier concerto est surtout traité comme un grand exercice de virtuosité, et d’ailleurs il est souvent joué trop vite. Pour parler franchement, c’est un morceau qui contient bien plus que ça, et si tu prends le temps d’exprimer les choses, je pense que la musique peut te combler encore davantage.

PAN M 360 : Vous avez évidemment joué ces œuvres avec différents orchestres et vous avez une relation spéciale avec l’Orchestre Métropolitain. Comment voir les qualités spécifiques que vous avez ressenties lorsque vous interprétiez ces deux œuvres avec différents orchestres ?

Marc-André Hamelin : C’est un peu difficile à dire, car je n’ai pas joué ces œuvres depuis quelques années déjà. De nos jours j’ai plutôt tendance à jouer du Mozart, Brahms ou Beethoven, mais Liszt, beaucoup moins souvent. C’est donc un peu difficile à se remémorer, mais je peux vous dire une chose qui est très certaine, c’est qu’à chaque fois que je reviens à l’Orchestre Métropolitain, c’est toujours un grand plaisir, car je ressens une grande amitié avec Yannick. Il a cette façon d’être qui me fait croire que je suis la personne la plus importante au monde.

PAN M 360 : Oui, il est si bienveillant.

Marc-André Hamelin : On voit encore ça avec d’autres musiciens, certes, mais avec lui, c’est très, très, très réconfortant. Il est toujours très réceptif à ce que je fais, et il respecte beaucoup mes idées, ce qui m’amène à respecter les siennes. C’est donc un travail qui va dans les deux sens, ce qui est en fait très généreux. J’apprécie vraiment !

PAN M 360 : Et comment cela se manifeste-t-il ?

Marc-André Hamelin : Vous savez, la plupart des échanges d’idées se font de manière non verbale. Nous faisons vraiment cela avec la musique. Nos exigences et nos envies sont « verbalisées » musicalement, sans ne rien avoir à dire. Certains appellent ça de la télépathie, et quand ça se passe de cette façon c’est vraiment génial. C’est un high, un sentiment inégalé.

PAN M 360 : Évidemment vous êtes Québécois et, même si vous ne vivez pas au Québec depuis très longtemps, vous avez alimenté des liens avec les meilleurs musiciens et vous y revenez régulièrement, en tant que soliste.

Marc-André Hamelin : Oui j’aime toujours y rentrer et je ne veux surtout pas comparer mes engagements.

PAN M 360 : Avec raison, ce serait inutile.

Marc-André Hamelin : L’objectif est de tirer le meilleur parti de chaque contexte. Nous nous adaptons du mieux que nous pouvons, et la plupart du temps, nous constatons que nous pouvons tous et toutes nous entendre facilement.

PAN M 360 : Le piano est un instrument vraiment propice à une grande longévité, car on voit des pianistes qui maintiennent de hauts standards à un âge avancé.

Marc-André Hamelin : Oui c’est vrai.

PAN M 360 : Que ressentez-vous avec l’âge qui avance lentement et sûrement ? Comment votre jeu évolue-t-il ? Comment vous sentez-vous physiquement avec le temps ?

Marc-André Hamelin : Ça se passe toujours bien. Je n’ai jamais eu de blessures, cela ne m’est jamais vraiment arrivé. Je suis déjà passé proche de me blesser, mais ça fait longtemps. A cette époque, je faisais du répertoire et je me posais beaucoup de questions sur ma condition physique. Aujourd’hui je demeure pruden, je prends le temps de me reposer, je m’éloigne de l’instrument pendant un moment et puis j’y reviens.

PAN M 360 : Depuis les années 2010, vous vous êtes libéré de l’image que vous projetiez auparavant, c’est-à-dire un interprète capable de jouer les œuvres les plus difficiles et les plus complexes, au détriment du reste du répertoire.

Marc-André Hamelin : Il y avait une raison à cela! Et cela n’est pas vraiment disparu.

Je suis toujours, d’une certaine manière, attiré par le type d’écriture pour piano qui est assez orchestrale, contrapuntique, bouleversante. Et cela signifiait souvent que ces pièces étaient difficiles. Mais la musique en elle-même m’intéresse, bien au-delà des défis techniques qui se posent.J’ai donc fait tout ce que j’ai pu pour en réussir les interprétations. Mais maintenant, bon, j’ai fait ces pièces, je les fais encore mais ça m’est moins nécessaire, depuis que j’ai vraiment commencé à jouer des compositions comme celles de Schubert que j’adore. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.

PAN M 360 : Nous vous joignons à Seattle, ce qui est complètement différent.

Marc-André Hamelin : Je joue ce week-end au Seattle Chamber Music Festival dirigé par le violoniste canadien James Ehnes. Dans deux ou trois heures, on va faire le Quintette avec piano de Joseph Suk avec James Hanne, un joyau de la musique classique.

PAN M 360 : Et vos prochains projets?

Marc-André Hamelin : Trois disques qui ont été enregistrés et vont sortir… Le premier en octobre des sonates de Beethoven, un autre avec le Quatuor Taccas pour les quintettes de Dvorak et Florence Price. Et puis j’ai fait disque solo intitulé Mixtape où je joue notamment des œuvres de John Oswald, de Frank Zappa ou une de moi-même. Je devrais fort possiblement jouer ces œuvres la saison prochaine.

PAN M 360 : Mmm! Parlez-nous de votre attirance pour cette pièce de Zappa!

Marc-André Hamelin : C’est sa seule pièce pour piano, composée à l’origine pour Synclavier. Un de ses assistants l’avait transcrite pour 2 pianos ou pour un piano à 4 mains. On a ensuite convenu que la partition était également jouable à deux mains, par un seul interprète, bien sûre avec un peu de difficulté.

PAN M 360 : Bonne fin de séjour à Seattle et bienvenue au Québec!

Marc-André Hamelin : Merci Alain, à bientôt.

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