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Le 17e Akousma se tient jusqu’au 15 octobre, PAN M 360 prévoit une série d’interviews consacrées au plus électroactoustique des festivals présentés annuellement à Montréal.
Ensemble, Myriam Bleau et Sandrine Deumier ont imaginé L’Alter-Monde, une pièce de 24 minutes présentée au Festival Akousma. L’œuvre a d’ores et déjà été primée au 24e Japan Media Arts Festival (Festival Platform Award – Dome Theater Category), 2021.
La Québécoise Myriam Bleau s’est imposée par ses performances audiovisuelles de musique électronique, ses interfaces gestuelles et ses installations qui donnent une cohérence au son, à la lumière, à l’image et au mouvement. Plusieurs prix témoignent de son talent : Ars Electronica (AT), Sónar (ES, HK), Mutek (MX, CA, AR, JP), ISEA (CA, KR), Transmediale (DE).
Sa collègue française Sandrine Deumier est une artiste pluridisciplinaire, ses œuvres et collaborations impliquent la performance, la poésie, l’art vidéo, l’environnement numérique. Elle aime explorer les thématiques post-futuristes via la création de formes audiovisuelles.
PAN M 360 : « Évocation d’un jardin cybernétique, mêlant espaces artificiels et excroissances végétales semi- humanoïdes, L’alter-Monde développe un imaginaire reflétant une symbiose entre l’être humain et un état de nature retrouvé. »
Sont-ce les motivations originelles de ce projet? Quelles sont les intentions?
Myriam et Sandrine : Le projet tente d’imaginer d’autres modes de relations à l’égard du vivant, de nouvelles interconnexions, une conscience des vulnérabilités collectives et de l’importance des relations altruistes. On veut mettre de l’avant une éthique du «care», de l’empathie.
PAN M 360 : « Les thématiques principales évoquées sont les mutations bio- technologiques, les figures du cyborg et les questionnements sur une sortie possible de l’Anthropocène. »
Serait-ce donc une évocation personnelle et artistique du transhumanisme?
Myriam et Sandrine : La thématique du transhumanisme est effectivement abordée dans ce projet à travers la figure du cyborg, quoique toujours dans une volonté de reconnexion avec la nature. La figure du cyborg est souvent présentée dans la littérature de science-fiction comme une créature de «performance», qui participerait à un mythe d’optimisation, à une fantaisie de l’interaction humain-machine comme perfectionnement téléologique. Nous nous intéressons au cyborg dans la continuation de Donna Haraway, un cyborg qui défie les catégorisations, s’amalgame et s’affilie (avec la technologie, la nature, la matière) sans chercher à supplanter l’humain. Comment devenir autre qu’humain (plus qu’humain / moins qu’humain) et expérimenter d’autres formes de conscience? Comment s’y apparenter et devenir autre-que-soi? Une trans-humanité qui pourrait fabriquer des identités plurielles, ouvertes.
PAN M 360 : « Le projet propose un imaginaire audiovisuel sous-tendant une pensée de l’écosophie et de symbiose inter-espèces, en explorant, au travers d’un état spécifique d’immersion, la possibilité de nous identifier à une nature mutante. »
De quelle manière ce « jardin cybernétique » s’articule-t-il en tant qu’oeuvre immersive?
Myriam et Sandrine : Le projet propose l’exploration d’un monde imaginaire – L’alter-monde – peuplé de créatures à la fois humaines, végétales et technologiques. On tente d’inviter le spectateur à s’identifier à ce monde, d’y cohabiter, plutôt que de l’observer de l’extérieur. Comme il enveloppe le spectateur, le format immersif permet d’explorer le potentiel de l’empathie.
PAN M 360 : « Le projet propose un imaginaire audiovisuel sous-tendant une pensée de l’écosophie et de symbiose inter-espèces, en explorant, au travers d’un état spécifique d’immersion, la possibilité de nous identifier à une nature mutante. »
Quel environnement sonore avez-vous choisi pour occuper vos lieux virtuels?
Myriam: Pour le paysage sonore, j’ai été inspirée par le côté baroque des images, la composition visuelle rappelant par moment des peintures de la Renaissance ou des iconographies sacrées. Plutôt que de me plonger directement dans le baroque musical, j’ai plutôt fait un clin d’œil à la musique pour synthétiseur des années 60 et 70, qui salue aussi cette époque: les Buchla Concerts de Suzanne Ciani, les compositions de Laurie Spiegel. Ce type de musique, susceptible d’induire un état de transe à la manière de la musique « drone », repose pourtant sur l’utilisation quasi-maximaliste d’ornements qui permettent une composition fine des micro-motifs composant la texture résultante. Les sons sont créés entièrement par synthèse numérique dans l’environnement Supercollider, rappelant parfois clavecins, clarinettes, guitares. Je voulais jouer avec l’ambiguïté des sources, entre acoustique, numérique et analogique. Par le biais de ces phénomènes d’empathie induits par le format immersif, l’enjeu serait d’immerger le public dans un devenir-végétal et potentiellement dans l’expérimentation d’une vie infra-humaine. À la recherche d’une sensibilité non-humaine / hypernaturelle / bio-sensitive.
PAN M 360 : Quels sont les liens exploités entre l’audio et le visuel à travers ces thématiques?
Myriam et Sandrine : La musique comme le visuel appellent à la contemplation, au recueillement. On tente de créer une atmosphère de « mouvance immobile », à l’aide de patrons algorithmiques arpégés et de micro-variations timbrales au niveau sonore, et avec des compositions complexes et fourmillantes au niveau visuel, tout en conservant un rythme lent, comme en apesanteur.
PAN M 360 : Quels sont les traits distincts de chacune d’entre vous dans ce travail?
Myriam : On doit à Sandrine tout l’imaginaire visuel, le «world-building» et l’animation 3D. Pour ma part, j’ai créé la musique et travaillé au déroulement temporel de l’œuvre, afin de créer des axes de tension et détente.
PAN M 360 : En quoi se distingue cette œuvre de vos précédentes? Quelles en sont les avancées? Myriam : C’est probablement l’une de mes œuvres les plus contemplatives, dans le micro-mouvement et les jeux de timbres plutôt que dans l’articulation. Cette œuvre a beaucoup nourri mes réflexions et influencé mes projets courants qui s’inspirent du courant des Feminist New Materialisms, des assemblages humain-nature-machine. Ça m’a aussi donné envie de me mettre à la 3D, qui se retrouve de plus en plus dans mes nouveaux projets.
L’alter-Monde est présenté le lundi 11 octobre, 18 h à la Satosphère de la SAT
Ce volet d’Akousma est ici présenté de concert avec MTL connecte