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Pendant que les mélomanes purs et durs estiment que musiques de films font partie des arts mineurs et du divertissement léger, d’autres croient que les bandes originales composées pour orchestre symphoniques constituent le répertoire classique de notre époque. Qui a raison?
Chose certaine, la musique de film hollywoodienne puise régulièrement dans la période romantique et postromantique. À l’évidence, elle a beaucoup plus de succès que la musique contemporaine pour des raisons évidentes. Depuis quelques années, de nombreuses expériences symphoniques avec des projections de films en temps réel ont lieu. Les salles sont pleines et ce sera de nouveau le cas à Montréal, ce week-end : trois fois la salle Wilfrid-Pelletier, rien de moins!
De la direction de petits ensembles à celle d’orchestres symphoniques, Erik Ochsner s’est forgé une solide réputation; l’une de ses marques de fabrique consiste à diriger des orchestres lors de concerts de films en direct par projection. Il est sans conteste l’un des principaux chefs d’orchestre en matière d’exécution symphonique des musiques de film devant public.
Il a été le principal chef d’orchestre de tournée de La La Land Live in Concert. Il a dirigé 50 représentations de la partition de Justin Hurwitz, récompensée par un Academy Award et un Grammy Award. Il a dirigé la première mondiale de Mary Poppins en concert à l’Opéra de Sydney, Love Actually avec le San Francisco Symphony, La Belle et la Bête en concert à Taïwan et en Pologne, Retour vers le futur, Bugs Bunny at the Symphony, E.T. the Extra-Terrestrial, Le Seigneur des anneaux : La communauté de l’anneau, Pirates des Caraïbes, Star Trek (2009) et Star Trek Into Darkness. Ochsner a créé The Music of Star Wars avec l’Orchestre du Centre national des Arts à Ottawa, a été directeur musical et chef d’orchestre du 2017 Opera America New Works Showcase et a été chef invité au Nanjing Forest Music Festival, en Chine. Monsieur Ochsner est également fondateur et directeur musical du SONOS Chamber Orchestra.
Plus récemment, il a dirigé les représentations de Star Wars in Concert : Episode 4 : A New Hope avec le FILMharmonique de Montréal. Lors des prochaines représentations à Montréal, il dirigera Star Wars in Concert : Episode 5 : The Empire Strikes Back (L’Empire contre-attaque), présenté à la Place des Arts vendredi et samedi prochains.
Fort d’une solide éducation musicale, Ochsner a fréquenté l’école Pierre Monteux et est diplômé du réputé Dartmouth College, dans le New Hampshire. Il possède la double nationalité finlandaise et américaine. Depuis New York où il vit, il nous parle de son prochain défi à Montréal.
PAN M 360 : Nous observons que la musique de film en direct pour les orchestres symphoniques attire davantage l’attention d’un public qui ne viendrait pas dans les maisons symphoniques pour écouter le répertoire classique. Quelle est votre propre perception de ce phénomène?
ERIK OCHSNER : Vous savez, j’ai une formation classique complète, mon but dans la vie était de devenir chef d’orchestre d’opéra, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Mais, d’une certaine manière, je dirige des œuvres destinées à un autre type de spectacle total. Nous avons toujours de nouveaux publics qui viennent voir ces films avec des orchestres. Et nous entendons toujours des commentaires de la part des spectateurs ébahis, comme « Oh, je ne savais pas qu’un orchestre était aussi grand », ou « Je ne savais pas comment cela fonctionnait »!
PAN M 360 : Comment êtes-vous perçu par le milieu classique?
ERIK OCHSNER : Des puristes du côté classique pensent toujours que c’est une mauvaise idée. Moi, je pense que nous, artistes, avons besoin d’un public. Et en offrant ces concerts, nous continuons à servir notre communauté. Il y a des gens qui ne viennent au concert que pour entendre Beethoven et le grand répertoire, et c’est très bien. Aujourd’hui, nous avons aussi des gens qui viennent aussi entendre les musiques de films exécutées par de grands orchestres. Alors je ne pense pas que ce soit une perte ou un recul pour qui que ce soit.
PAN M 360 : On pourrait rétorquer que l’audience de la musique de films en version symphonique ne migre pas systématiquement vers le grand répertoire, après avoir vécu une expérience en concert. Pourquoi donc?
ERIK OCHSNER : Effectivement, plusieurs ne retournera pas à un concert symphonique, sauf s’il s’agit de musiques de films. Les gens reconnaissent la musique symphonique à travers leur quotidien. Ils reconnaissent cette musique qui était dans une publicité, alors qu’en fait, c’était Vivaldi. Ça s’explique : les parents d’aujourd’hui ne sont pas vraiment intéressés par la musique classique, parce que leurs parents ne les ont pas initiés. Mes propres parents me l’ont fait découvrir et j’ai adoré. Alors, notre devoir est d’informer et d’éduquer. Inviter le public à des conférences, les inciter à lire les notes de programme. Il ne faut pas ignorer le phénomène, tout en étant conscient qu’on ne peut forcer quiconque à faire le pas vers le grand répertoire.
PAN M 360 : On devine également que vous trouvez de réelles qualités aux œuvres musicales composées pour le cinéma.
ERIK OCHSNER : Je ne peux parler de tous les compositeurs de musiques de films, mais je sais, par exemple, que John Williams est un authentique compositeur postromantique. On trouve aussi des passages plus contemporains dans son œuvre, même s’ils ne sont pas dominants. Oui, la musique de film est souvent un hommage aux compositeurs du passé, mais comporte aussi des éléments de musique contemporaine. Cela dit, Williams revient sans cesse à son postromantisme préféré, celui de Richard Strauss, Gustav Holst, etc. Sinon, vous savez, ça ne marcherait pas. Dans 50 ans, ce sera peut être très différent, mais pas maintenant, car les gens n’ont pas été éduqués pour se sentir à l’aise dans le répertoire « sérieux » des 75 dernières années.
PAN M 360 : Avez-vous déjà rencontré John Williams pour discuter de vos exécutions symphoniques?
ERIK OCHSNER : Non, je ne l’ai jamais rencontré John Williams, alors que j’ai déjà discuté avec d’autres compositeurs comme Shameer Tandon, Howard Shore, Justin Hurwitz ou Michael Giacchino. J’ai toutefois dirigé plusieurs partitions de Williams. Évidemment, on m’a communiqué ses attentes : il veut obtenir un son impeccable et une grande qualité d’exécution, sur scène. Mais ce n’est pas lui qui planifie quoi que ce soit. Un orchestre local décide, « Hé, nous voulons jouer la musique d’un film et devons négocier avec la société de gestion des droits de cette musique ». Dans le cas de Star Wars, la musique de John Williams est la propriété de Walt Disney, alors si vous voulez faire des concerts avec les musiques de Star Wars, il faut l’accord des gestionnaires de la licence de tous ces films dans le monde. Une équipe devra alors se rendre sur les lieux du concert, s’assurer que la taille de l’écran est conforme, que le projecteur est assez puissant et que l’orchestre est sérieux. Pour la direction, John Williams a approuvé une liste de chefs potentiels et je fais partie de cette liste. Apparemment, ils aiment ce que je fais.
PAN M 360 : Avez-vous déjà dirigé à Montréal?
ERIK OCHSNER : Oui, j’ai dirigé la musique de La La Land au festival de jazz de Montréal, c’était en 2017 je crois. Avec les productions GFN, nous étions censés faire Empire Strikes Back en 2020 puis 2021, mais la pandémie en a décidé autrement et nous sommes enfin de retour en 2022.
PAN M 360 : Comment abordez-vous l’exécution de la bande originale de The Empire Strikes Back? Y a-t-il une recette Disney à suivre?
ERIK OCHSNER : Disney et John Williams ont établi un protocole. Donc, si un producteur est intéressé par un titre particulier, celui-ci a son propre devis technique, qui précise la taille des écrans, la qualité des projecteurs, l’instrumentation de l’orchestre ou le nombre de flûtes, par exemple. Ainsi, Disney peut déterminer ce que lui rapportera chaque concert. C’est toujours un business, alors que le monde classique fonctionne comme une entreprise à but non lucratif. Il est juste de dire que ces projets de films sont considérés comme des entreprises à but lucratif. La musique doit être « louée » à des entreprises qui font des profits.
PAN M 360 : Vous faites souvent affaire avec des orchestres de pigistes. Comment assurer la qualité dans l’exécution? Comment faire en sorte que des pigistes puissent constituer un tout cohérent?
ERIK OCHSNER : Je n’auditionne pas les musiciens. Je vais plutôt parler à des musiciens à qui je fais confiance pour leur demander leurs recommandations. Quand tous les musiciens de chaque section se réunissent, plusieurs se connaissent parce qu’ils ont souvent joué ensemble. Je veux que ce soit amical, je veux que ce soit plaisant pour les musiciens embauchés. En tout cas, ils travaillent bien ensemble, de manière générale; ça semble être agréable. Et c’est exactement le sentiment que j’ai eu en travaillant avec les musiciens réunis pour le FILMharmonique. Ce sont de très bons musiciens. Oui, j’observe qu’il y a plusieurs excellents musiciens à Montréal et au Québec. Visiblement, ils se connaissent tous et toutes, donc la chimie est au rendez-vous.