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En 2018, trois musiciens – Tom Dowse (guitare), Lewis Maynard (basse) et Nick Buxton (batterie) – qui s’étaient côtoyés dans différents groupes du sud de Londres ont entrepris de créer un son noise-punk et post-hardcore plus lourd, à la manière d’At The Drive-In ou des Deftones. Après des mois à peaufiner leur son, qui s’est avéré post-punk mélodique, le trio avait besoin d’une figure de proue. Tom a suggéré Florence Shaw, une consœur étudiante en arts visuels, même si elle n’avait aucune expérience musicale. Une fois convaincue, Florence est arrivée avec des cahiers de poèmes cut-up, des listes d’épicerie, des trucs écrits sur ses vieux dessins et des réflexions notées après avoir vu des pubs à la télé. Elle s’est ensuite mise à amalgamer et réciter tout ça pendant que les gars jouaient. Cette méthode très spontanée allait devenir un élément crucial du son de Dry Cleaning, qu’on allait entendre sur quelques microalbums et un premier album complet, New Long Leg, plébiscité à sa sortie en 2021.
« J’étais dans le bus pour aller chez Lewis, où nous devions répéter, et je n’avais toujours pas décidé ce que j’allais faire, se souvient Florence; je pense que j’ai fini par déclamer mes trucs parce que ça me semblait très accessible. Et c’était une bonne façon de faire. J’étais assez attachée aux choses que j’avais écrites, à l’époque. Et je me suis dit que c’était une façon très directe de les présenter. »
Les chansons de Florence Shaw ressemblent à des flux de conscience; il s’agit presque de poésie rythmique, alors que des murailles sonores sombres ou parfois joyeuses jaillissent des haut-parleurs. On pourrait comparer Dry Cleaning à des groupes comme Wire ou The Fall au féminin. Or, avec ses récits de dissociation, d’évasion, de rêverie, d’amours compliquées, de colère et ainsi de suite, Florence Shaw sert de liant à Dry Cleaning et à sa réussite. Chose dont elle se réjouit, même si ça l’a toujours terrifiée.
Nous nous sommes entretenus avec Florence Shaw avant le premier spectacle de Dry Cleaning à Montréal, ce vendredi 13 mai au Théâtre Fairmount. Il a été question de son approche singulière quant aux paroles, de son obsession des petits objets, de sa phase emo (pas terminée, de son propre aveu) et de ce qui fait que les spectateurs ont parfois peur d’elle.
PAN M 360 : C’est drôle, quand j’ai entendu New Long Leg pour la première fois, je me suis dit « Je ne pourrai pas voir ce groupe avant plusieurs années à cause de la pandémie », mais vous serez là dans une semaine.
Florence Shaw : Je sais! Tout a changé assez rapidement, n’est-ce pas? C’est encore très étrange, nous pensions vraiment que nous allions être coincés au Royaume-Uni pendant des années. Mais ça n’a duré qu’un an et demi.
PAN M 360 : Et j’ai lu quelque part que vous plaisantiez sur le fait que vous seriez probablement en tournée jusqu’en 2025?
Florence Shaw : Je pense que c’est un peu comme ça que les choses se présentent. Ce sera assez intense. Nous voulons en quelque sorte rattraper le temps perdu. Il y a tellement d’endroits où nous n’avons jamais joué. Comme cette tournée européenne que nous venons de terminer; nous jouions pour la première fois dans la plupart de ces pays, même si c’est juste à côté. C’est bizarre.
PAN M 360 : Vous êtes la figure de proue du groupe. Et les gens chantent vos textes très personnels en chœur. Est-ce que ça vous paraît bizarre? Surtout que c’est encore tout nouveau pour vous?
Florence Shaw : Ce sentiment continue d’être incroyable! Je ne savais pas vraiment si ça allait arriver. Parce qu’il n’y a pas souvent de mélodies qui accompagnent les paroles. Donc, c’est assez difficile à retenir. Malgré cela, il y a toujours des centaines de personnes qui entonnent les paroles, chaque soir. Et c’est toujours fou; je ne m’attendais pas à ce lien inouï avec les gens! (rires) Ça semble un peu mielleux… et ça l’est! Mais je ne pourrais décrire ça autrement, le fait de me sentir très liée à des personnes que je n’avais jamais rencontrées.
PAN M 360 : Comment vous mettez-vous dans l’ambiance, en concert?
Florence Shaw : Bonne question. Je suis encore en train d’apprendre tout ça. Souvent, je demeure assez silencieuse avant les concerts. Je ne suis pas vraiment du genre à traîner et à raconter des blagues. J’ai toujours besoin d’une demi-heure pour moi, pour penser à ce que je veux faire. Et je suppose qu’il faut se fixer un objectif pour la prestation, même si c’est assez minime. Ou réfléchir à ce qu’on peut avoir envie de penser pendant qu’on est sur scène. Ou penser à où on est et à d’où viennent les spectateurs, des choses comme ça. J’aime penser à ça; si je ne le fais pas, j’ai trop de mal à être là. C’est comme une expérience extracorporelle. Et j’aime me sentir présente quand on joue.
PAN M 360 : Pour certaines de ces chansons, j’ai l’impression que vous entrez dans une sorte de transe sur scène?
Florence Shaw : J’aime bien créer un lien avec le public, si je le peux. Même si c’est temporaire, j’aime avoir une relation avec le public. Et c’est étrange quand on ne le fait pas. Donc j’ai tendance à regarder la foule pendant la majeure partie du spectacle, ce qui fait parfois peur aux gens.
PAN M 360 : Vous faites peur aux spectateurs? Les gens ont dit ça?
Florence Shaw : Oui, j’ai déjà lu ça. On a dit que je fixais les gens. Ce qui semble assez intense. Mais, en fait, je cherche à établir une sorte de lien avec les gens. Plutôt que d’essayer de les effrayer! Peut-être suis-je plus intense que je ne le réalise, parfois. Il y a très peu de filtres, ma voix est directe. C’est un monologue, je suppose. Puis, il n’y a pas de mélodies qui servent de support. Comme c’est très inusité, une partie du public trouve ça assez intense. J’essaie aussi d’apporter un peu d’humour à ce que je fais. C’est sérieux, en quelque sorte, mais c’est tempéré par une joie enfantine. Je me vois un peu comme un clown, parfois. Pas du genre à renverser des seaux d’eau, mais un clown qui fait de la comédie sérieuse!
PAN M 360 : Votre album New Long Leg est beaucoup plus nuancé et peaufiné que vos microalbums. Diriez-vous que c’est dû, en partie, au travail du réalisateur John Parish? Et pourquoi avez-vous décidé de collaborer avec lui?
Florence Shaw : Nous avons approché quelques personnes pour discuter de la réalisation de l’album. Car c’était une expérience complètement nouvelle. Nous avions tous enregistré des trucs auparavant, mais pas à ce niveau. Donc nous tâtonnions un peu dans le noir, en nous demandant avec qui nous devions travailler. Nous avons contacté beaucoup de gens. Or, John a répondu tout de suite en disant qu’il était très enthousiaste, qu’il aimait vraiment les microalbums et avait noté plein de choses sur nos démos. Nous avons toujours essayé de suivre notre intuition. C’était très positif, donc. Il ne voulait pas qu’on se rencontre pour voir s’il se passerait quelque chose, il a tout de suite dit « Oui, je veux vraiment faire ça ».
PAN M 360 : Wow, il n’y a pas eu de tergiversations avec lui?
Florence Shaw : Non, nous admirons son travail, notamment les albums d’Aldous Harding. C’est particulier avec sa musique, j’ai l’impression que l’on entend toujours l’endroit où ça se passe, c’est au premier plan, le son n’est pas poli, il est plutôt intime. De plus, John est très patient. Nous pouvions faire plusieurs prises d’une seule phrase, avant d’avoir la bonne. Il avait la patience pour chaque syllabe!
PAN M 360 : Il y a un passage de la chanson Strong Feelings que j’adore, « Just an emo dead stuff collector, things come to the brain ». Ça résume parfaitement une partie de ma vie. Cette phase emo que tout le monde a traversée, j’en suis sûr. Êtes-vous passée par cette phase, où vous vous habilliez tout en noir, style « goth »?
Florence Shaw : Absolument! (rires) J’avais l’habitude de traîner dans les greniers et d’écouter The Cure, j’ai vraiment vécu tout ça très intensément. Du moins quand j’étais adolescente. Je suis encore un peu emo, pour être franche. Ça ne m’a pas totalement quitté. À l’époque, je me faisais de petites collections de trucs, des morceaux de bois ou des fragments d’os, des choses que l’on finit parfois par collectionner, surtout quand on est adolescent. C’est une petite habitude qu’on les gens, parfois, de s’accrocher à des vestiges naturels. Oui, j’ai songé à ça.
PAN M 360 : Avez-vous toujours des petits fragments d’os ou des collections autour de votre maison?
Florence Shaw : Ce qui m’intéresse beaucoup plus ces derniers temps – et je collectionne des tas de choses –, ce sont des petites choses, souvent des miniatures. J’ai beaucoup de petits animaux en plastique ou en verre, des trucs comme ça, tout ce qui est vraiment minuscule, peu importe ce que c’est. Une petite table, un petit modèle de souris ou même des graines ou des choses comme ça!
PAN M 360 : Est-ce que vous les disposez de manière à créer des petites scènes ou est-ce que tout est éparpillé?
Florence Shaw : J’aime bien les disposer avec beaucoup de soin. Je peux être très casanière! (rires) j’aime bien organiser les choses. Et déplacer des petites choses et créer des petits dioramas et d’autres avec des petits objets. C’est une vraie passion pour moi. Les objets dialoguent un peu, n’est-ce pas? C’est ce que j’aime. Comme créer des petites paires, de petits groupes de choses qui signifient quelque chose de nouveau parce qu’elles sont ensemble. J’ai l’air complètement folle là, non?
PAN M 360 : Non, je crois que vous êtes simplement vous-même.
Florence Shaw : Absolument.
PAN M 360 : Dry Cleaning a souvent été comparé à The Fall, à cause du spoken-word. Y a-t-il d’autres artistes qui ont été aussi influents pour vous? John Cooper Clarke? Baxter Dury? Sleaford Mods? La pièce The Gift des Velvet Underground?
Florence Shaw : C’est drôle, j’avais l’habitude de penser « Oh non, je n’ai pas écouté beaucoup de musique parlée », mais en fait, en grandissant, je me souviens de ce morceau de Death In Vegas appelé Hands Around My Throat, où une femme parle sur fond de musique vraiment inquiétante. J’étais obsédée par ça quand j’avais 12 ans. Et puis il y a Grace Jones. Et ma mère écoutait beaucoup The Last Poets quand j’étais petite. Elle avait tous leurs vinyles, ça s’est infiltré dans ma conscience : parler était une façon de faire de la musique. C’était évident pour moi.
PAN M 360 : Vos parents étaient-ils aussi très musicaux quand vous étiez petite?
Florence Shaw : Mon père jouait et chantait dans un groupe. Il a aussi joué de la batterie dans d’autres groupes. C’est un très bon guitariste et il joue de l’harmonica. Il y avait beaucoup d’instruments à la maison. Alors il nous « recrutait » parfois, mon frère et moi, pour faire des chœurs lors d’enregistrements et des trucs comme ça. Des trucs très amusants! Pas pour nous faire bosser. Il nous apprenait des petits bouts de clavier et des choses comme ça. Donc oui, j’ai fait ça quand j’étais enfant, mais j’ai toujours eu l’impression que c’était juste pour le plaisir. Je n’ai jamais cru que ça pouvait devenir une carrière. Le dessin et l’art ont toujours été ce que je voulais faire comme travail.
PAN M 360 : Pensez-vous que cette formation en arts visuels vous donne une façon plus abstraite de regarder le monde?
Florence Shaw : Je pense qu’une formation en arts, quelle qu’en soit votre expérience, vous apprend à observer, ou du moins à exercer votre sens de l’observation. Que ce soit par quelque chose de vraiment direct comme le dessin, l’écoute, une meilleure écoute ou simplement la photographie. Peut-être simplement en enregistrant des trucs et en notant ce qui vous entoure, dans le monde tel qu’il se présente. Cela a certainement exercé ma capacité, comme un entraînement quotidien. J’adore regarder les gens, c’est important pour moi… Je me promènerais volontiers toute la journée dans un quartier, juste pour prendre des photos ou noter des choses. Et c’est ce que je trouve le plus inspirant. Si vous êtes intéressé par ce genre de choses, ce sera vraiment favorisé par les arts visuels.
PAN M 360 : Dry Cleaning, ce n’est pas optimal quand on cherche de l’information sur un groupe qui porte ce nom! Pourquoi l’avez-vous choisi?
Florence Shaw : En effet, c’est totalement impossible à trouver sur Google! (rires) Les gars l’ont trouvé avant que je ne les rejoigne, alors qu’ils ne faisaient que jammer. Je me souviens que le nom m’a incité à les rejoindre parce que je l’ai toujours aimé. Je crois que c’est Tom qui en a eu l’idée. Vous savez ce que c’est, ces histoires d’origine. Il est impossible de se rappeler ou de retracer tout ça. On croit que c’était Tom, toutefois. Puis, au fond, ils voulaient opter pour quelque chose d’omniprésent. Au Royaume-Uni, du moins, peut-être dans le monde entier ou dans certaines parties du monde, il y a tellement de nettoyeurs à sec, il y en a absolument partout. L’enseigne dit toujours juste « Nettoyage à sec ». On voit ça un peu partout. Et c’est vraiment banal.
PAN M 360 : Oui, il y en a partout. Ici à Montréal, on dit tout simplement « Nettoyeur ».
Florence Shaw : Ah oui, ce doit être l’équivalent! (rires)