Domaine Forget 2024 | Brises capverdiennes dans Charlevoix avec Lucibela

Entrevue réalisée par Alexandre Villemaire

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Considérée comme la digne héritière de Césaria Évora, la chanteuse capverdienne Lucibela porte le répertoire de son île natale de São Nicolau aux quatre coins du monde. Les rythmes chaleureux aux accents métissés et les thématiques profondément humaines qui caractérisent les chants traditionnels de son pays souffleront sur les côtes charlevoisiennes de Saint-Irénée dans le cadre du Festival international du Domaine Forget. Nous avons pu correspondre avec Lucibela quelques jours avant ce concert qui aura lieu le samedi 13 juillet. Entretien.

PAN M 360 : Bonjour Lucibela. Merci de nous accorder un peu de temps. On peut dire que vous ne chômez pas depuis votre arrivée au Canada! Vous avez performé récemment au FestiVoix de Trois-Rivières et vous avez d’autres concerts prévus à Montréal et Ottawa avant votre concert du 13 juillet au Festival international du Domaine Forget à Saint-Irénée. Comment se passe votre séjour jusqu’à présent?

Lucibela : Mon séjour a été très agréable et la musique du Cap-Vert a été très bien accueillie par le public canadien. J’aime voir comment les gens accueillent notre tradition à bras ouverts, tandis que d’autres, qui connaissaient déjà notre musique grâce à notre Cise [Césaria Évora], sont heureux de la réentendre. C’est ma deuxième tournée au Canada et la bonne hospitalité du peuple canadien m’avait manqué. La première a eu lieu en 2019 et nous devions revenir en 2020, avec environ 22 concerts, qui ont malheureusement été annulés en raison de la pandémie de COVID 19. Heureusement, quatre ans plus tard, nous avons finalement pu revenir et poursuivre ce que nous avons commencé, c’est-à-dire apporter un peu du Cap-Vert, de notre musique, au public canadien. 

PAN M 360 : Pouvez-vous nous parler un peu du programme que vous allez interpréter lors du festival.

Lucibela : Certainement. Je vais présenter des extraits de mon deuxième album intitulé Amdjer (Femme) sans oublier les chansons de mon premier album, Laço Umbilical (Cordon ombilical), que le grand public aime entendre. Un répertoire de mornas et de coladeiras qui dépeignent la vie quotidienne des Capverdiens et nous transportent au Cap-Vert. C’est une musique à écouter, à ressentir et à danser, accompagnée par des musiciens qui ont cette tradition dans le sang et qui portent cet amour pour notre musique. 

Deux d’entre eux ont accompagné notre Cise à travers le monde et j’ai eu la chance de les avoir avec moi au début de mon parcours. Toy Vieira (guitare à sept cordes) est un multi-instrumentiste, compositeur et producteur de musique. Il a produit mes deux albums et est également mon directeur musical. Il y a aussi Zé António (cavaquinho), qui est l’un des meilleurs joueurs du cavaquinho traditionnel du Cap-Vert.

Les autres musiciens n’ont pas joué avec Cise mais ils ont aussi un lien fort avec la musique traditionnelle capverdienne et sans eux je n’aurais pas ce merveilleux groupe qui m’accompagne et me donne de la force. 

Nir Paris (batterie), issu d’une famille de musiciens bien connue au Cap-Vert, est un prodige de notre musique traditionnelle. Finalement, César Lima (guitare), est un très respecté pour son travail et qui accompagne de grands artistes au Cap-Vert.

PAN M 360 : Parmi les genres musicaux que vous portez et faites connaître à l’étranger, on retrouve entre autres la mornaet la coladeira. Quelle est l’histoire de ces genres et quelles sont leurs spécificités stylistiques?

Lucibela : Le Cap-Vert est riche en rythmes, mais j’ai surtout chanté des mornas et des coladeiras. J’ai également enregistré des mazurkas, des boléros et quelques coladeiras qui respirent la samba. La morna est l’un des genres les plus anciens du Cap-Vert et fait partie du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. En fait, personne ne sait qui de la morna ou du fado est apparu en premier. C’est un genre musical au tempo plus lent qui évoque principalement l’amour et les histoires de la vie quotidienne.

La coladeira dépeint également ces histoires, mais c’est un genre plus dansant et plus joyeux. Elle raconte souvent des faits amusants sur la vie des Capverdiens. On dit d’ailleurs que chaque morna, lorsqu’elle est jouée à un tempo plus rapide, devient une coladeira

PAN M 360 : Quelle influence Césaria Évora a-t-elle eu sur votre parcours professionnel et votre identité en tant qu’artiste?

Lucibela : Césaria Évora, comme chacun le sait, a ouvert les portes du monde à notre musique et a été extrêmement bien accueillie. Il est clair que nous, en tant qu’artistes de musique traditionnelle, en avons bénéficié. Lorsque nous parlons du Cap-Vert, nous parlons inévitablement de Césaria Évora. Ce lien est indissociable, elle sera toujours l’une des plus grandes références de notre musique et de notre culture. Je veux continuer à faire connaître notre tradition au monde entier et le faire avec mon cœur. Parce que c’est ce que j’aime faire. Alors oui, bien sûr, elle a aussi contribué à l’expansion de ma carrière. 

J’ai commencé à chanter de la musique brésilienne à l’âge de 7 ou 8 ans, parce que la musique brésilienne était très présente à la radio au Cap-Vert. Mais, j’avais aussi l’habitude d’écouter ma mère fredonner des mornas pendant qu’elle faisait le ménage. En grandissant, je me suis intéressée à la musique traditionnelle et j’écoutais déjà Césaria Évora, ainsi que Bana et Ildo Lobo. Ce sont d’excellentes références pour la morna. Petit à petit, j’ai commencé à écouter de la musique traditionnelle et quand j’ai commencé à faire des soirées capverdiennes dans les bars, vers 18 ans, j’ai commencé à les écouter encore plus. Eux et Césaria sont aujourd’hui mes références en matière de morna et de coladeira.

PAN M 360 : Les thématiques que l’on retrouve sur vos deux albums traitent à la fois de l’attachement au Cap-Vert, de la nostalgie, de l’exil, mais aussi de l’amour et des femmes. Pourquoi ces thématiques sont-elles importantes pour vous et quels messages voulez-vous porter à travers celles-ci?

Lucibela : J’ai toujours écouté des chansons d’amour et elles m’ont toujours touchée. J’aime l’idée de « chanter » l’amour, un thème universel que tout le monde comprend et de « chanter » nos histoires. Lorsque je choisis des chansons pour mes albums, j’aime penser que je chante la tradition d’un peuple et je choisis donc des chansons qui reflètent cette tradition. Les femmes sont les piliers de notre société et méritent d’être traitées avec plus de respect. C’est d’ailleurs pour cette raison que je leur rends hommage sur mon deuxième album. J’aime raconter l’histoire des mères capverdiennes, dont la plupart sont obligées d’élever et de soutenir leurs enfants seules, comme l’a fait la mienne. Elles se battent, et même si elles traversent de nombreuses difficultés, elles parviennent à donner un avenir à leurs enfants. J’aime à penser que les chansons dépeignent vraiment ce que nous sommes, qu’elles racontent les choses telles qu’elles sont. Mais il n’y a pas que des histoires tristes, il y a aussi beaucoup de chansons humoristiques qui, d’une manière amusante, nous donnent toujours une leçon de vie.

PAN M 360 : Si vous aviez à choisir une chanson parmi votre répertoire ou le répertoire de la musique capverdienne, laquelle selon vous est la plus emblématique et représentative de l’archipel et pourquoi?

Lucibela : La chanson la plus connue du Cap-Vert est sans aucun doute « Sodade », interprétée par Cise. C’est une chanson qui représente le peuple nostalgique que nous sommes. Les Capverdiens sont un peuple qui émigre beaucoup et le mot saudade [nostalgie] est toujours sur nos lèvres. Nous sommes sans aucun doute très attachés à notre culture, à notre nourriture et à notre peuple. 

En fait, j’ai beaucoup de chansons favoritese. Mais si vous me demandiez d’en chanter une seul, je pense que je chanterais « Mi e Dod na Bo Cabo Verde », ce qui signifie « Je suis fou de toi Cap Vert ».

PAN M 360 : Quels sont vos prochains projets musicaux? Y a-t-il un nouvel album de prévu, de nouvelles chansons?

Lucibela : Oui, j’ai un nouvel album qui sortira à la fin du mois d’octobre, avec des chansons inédites de compositeurs capverdiens connus et aussi d’anciennes chansons sous une nouvelle forme, un peu dans la lignée des précédentes. Il y aura également une chanson de mon cru.

Le concert de lancement de ce disque est prévu en novembre en France. 

Je fais également partie du projet Césaria Évora Orchestra et nous donnerons des concerts au Maroc, en France, en Pologne et au Luxembourg dans les mois à venir.

BRISES DU CAP-VERT

Musiques traditionnelles capverdiennes

Lucibela, voix
Toy Vieira, guitare
Dany Fonseca, basse
Zé Antonio, cavaquinho
Nir, batterie et percussions

Samedi, 13 juillet 2024 à 16 h

Pour infos et billets, c’est ICI

crédits photo: Alex Tome

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