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Dan Bejar, que l’on a connu avec The New Pornographers, Swan Lake et, plus particulièrement, Destroyer, constitue une énigme ambulante du rock indé. La folie guette ceux qui tentent de donner un sens global à ses chansons, car celles-ci sont remplies d’un langage indéchiffrable, de vers sur des créatures mythiques, de mort et de merveilles. Tout ça sur une toile de fond musicale qui passe de façon spectaculaire du post-punk au rock indé, ou du free jazz au synth-punk. Bejar est le genre de musicien qui passe par des périodes d’intensité – presque des états de fugue – lorsqu’il crée ses albums; on dirait qu’il en oublie parfois volontairement l’objectif. Ses chansons découlent d’un amour pur du langage.
Pour son plus récent album, Labyrinthitis, Bejar a une fois de plus travaillé avec son collaborateur de longue date, John Collins, afin de créer une œuvre merveilleusement étrange et abstraite de rock cryptique. À un moment donné, il pensait être atteint d’une sorte de maladie, provoquée par des périodes de vertige et de bourdonnement dans les oreilles. Il a cherché ses symptômes et a trouvé le terme « labyrinthite » qui, reconnaît-il, ressemble à un mot inventé.
Nous avons discuté avec Dan Bejar de certains des sons et des couplets mystérieux de son dernier album, de son amour pour Jim Morrison, de sa relation étrange avec la musique de Nick Cave et de ses références à la magie noire.
PAN M 360 : Salut Dan. Comment se passe ta journée jusqu’à présent?
Dan Bejar : Plutôt bien. Je suis allé me promener au soleil et j’ai acheté du pain. Et toi?
PAN M 360 : Je reviens tout juste du lancement d’une exposition de Nick Cave ici à Montréal.
Dan Bejar : Qu’est-ce que c’est que ça? Qu’est-ce qui est accroché aux murs?
PAN M 360 : L’exposition est conçue de telle sorte que chaque pièce représente un chapitre différent de la vie de Nick Cave. Ses années berlinoises ou comment il a créé les Bad Seeds et tout ça. Puis, à la toute fin, il s’est pointé pour une période de questions avec les médias.
Dan Bejar : J’aimerais habiter le genre de maison qu’il squattait avec un ami ou je ne sais plus qui, où il y avait un lit superposé et sa machine à écrire. Il y a une photo célèbre de lui à Berlin, travaillant sur ce livre et ayant l’air plutôt mal en point. Je pense que ce serait une pièce assez cool à recréer.
PAN M 360 : Est-ce que vous envisageriez d’organiser une exposition sur votre parcours d’artiste? Une exposition « Destroyer » au Canada, par exemple?
Dan Bejar : Je ne pense pas. En fait, ce serait drôle d’être approché pour un truc semblable. Je pense qu’il faut probablement croire en son propre statut de légende vivante. Ce qui est compréhensible si vous êtes Nick Cave, parce qu’il en est là en ce moment. Il y a un musée Bob Dylan qui ouvre à Tulsa ou quelque chose comme ça. Je pense que c’est probablement un truc similaire. Mais personne ne frappe à ma porte pour me demander des copies de mes correspondances!
PAN M 360 : Nous pouvons nous éloigner de Nick Cave, mais il a notamment parlé de l’ego qui peut devenir dangereux lorsqu’on est vénéré à ce point. Qu’en penses-tu, en tant qu’artiste accompli?
Dan Bejar : C’est intéressant car, surtout en Amérique du Nord, il a connu cette ascension lente et régulière vers une position de figure de proue de la chanson anglophone. Il a acquis sa renommée de cette manière, par opposition à une popularité qui explose et où l’on devient hyper connu avant de disparaître aussi soudainement. Il est donc plus facile et moins bizarre, pour lui, de recréer les différentes étapes de sa vie dans un musée.
J’ai une relation profondément conflictuelle avec ce type, car il a écrit des chansons qui font partie de mes préférées. Il a aussi créé des albums auxquels je suis très attaché. Je ne sais pas vraiment ce qui s’est passé entre The Good Son et The Boatman’s Call, qui sont deux de mes disques préférés. J’ai passé beaucoup de temps à écouter Skeleton Tree, ce que j’ai trouvé bizarre parce que ce n’est pas un disque que l’on se tape en faisant la vaisselle.
PAN M 360 : Avez-vous vu des parallèles entre sa musique et la vôtre au fil des ans?
Dan Bejar : Peut-être, mais je reviens à cette relation conflictuelle que j’ai avec lui, car je sais qu’il a une manière très marquée de travailler. Il a une sorte de bureau où il se rend; c’est comme s’il pointait sa carte et produisait, comme dans un boulot de neuf à cinq. Je n’ai jamais été capable de faire ça, c’est tellement différent de ma façon de fonctionner.
PAN M 360 : Oui, j’ai l’impression que vous êtes plutôt du genre à avoir un tas d’enregistrements téléphoniques ou de mémos vocaux, puis chantez des choses ou des phrases que vous trouvez intéressantes?
Dan Bejar : Oui, je chante des idées. Et généralement, mes idées sont accompagnées de mélodies et c’est pourquoi je pense qu’elles sont chantables. C’est comme si Dieu me donnait le signal qu’il s’agit d’idées assorties de mélodies. Et je les enchaîne parce que certaines correspondent très bien aux autres. Parfois, c’est chronologique, j’en fais plusieurs à la suite et ça devient une chanson. Mais ça n’a pas toujours été comme ça. J’avais l’habitude d’avoir un carnet dans lequel j’écrivais, puis je restais assis toute la journée à gratter la guitare. Les accords et les mélodies se mélangeaient à un moment donné. Les dix ou douze premières années de Destroyer ressemblaient à ça.
PAN M 360 : J’ai constaté que votre musique est plus aérée. Je crois que j’ai commencé à le remarquer avec Kaputt. Mais dans le nouvel album, chaque instrument dispose d’assez d’espace pour respirer, les voix sont parfois très minimales. Était-ce un choix conscient?
Dan Bejar : Oui, je le pense. Par rapport à la façon dont j’écrivais auparavant, qui pouvait presque être un défi ou une astuce, comme quand j’essayais de faire entrer un tas de mots dans une chanson. Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. C’est pour ça que la chanson June était vraiment amusante, parce qu’il me suffisait de me plonger dans cette merde et de transposer ces images et ces situations étranges, puis de traiter ça comme un rôle que je joue.
PAN M 360 : Vous parlez de la partie parléede June, où vous divaguez un peu?
Dan Bejar : Oui, je me suis libéré de la structure de la chanson une fois pour toutes. C’était en quelque sorte l’un des moments de libération les plus éclairants et terrifiants de l’album!
PAN M 360 : Oui, c’est presque du slam. C’est certainement le passage le plus déjanté de l’album.
Dan Bejar : Tu sais, il fut une époque où si quelqu’un m’avait dit « Ça ressemble à du slam », je me serais foutu en bas de la falaise. Mais, là où j’en suis en ce moment, je compose plutôt bien avec ça. J’y suis allé de la façon dont Jim Morrison aurait abordé la chanson.
PAN M 360 : C’est un artiste dont vous essayez de vous inspirer?
Dan Bejar : En tant que chanteur et en tant que poète, il m’inspire plus que quelqu’un comme Nick Cave. Jim est comme un sentier que je ne peux m’empêcher de suivre, ces jours-ci. J’y pense tout le temps. Cela dit, je pense que j’essaie de canaliser une version bouffie et usée de lui… pas la jeune version dionysiaque.
PAN M 360 : Ça s’apparente à de l’autodérision, non?
Dan Bejar : Je suis tout simplement conscient de ce que je suis actuellement. Je vais avoir 50 ans cette année, donc ça pourrait être difficile pour moi de porter un pantalon en cuir…
PAN M 360 : Nous nous étions parlé une fois auparavant, il y a peut-être cinq ans. Vous m’aviez alors dit que vous vouliez que les chansons de Destroyer ressemblent à une page lue au hasard dans un roman d’espionnage. Es-tu toujours d’accord avec cette affirmation?
Dan Bejar : C’est amusant, je suis totalement d’accord avec ça, mais je ne pensais pas que je ressentais ça il y a cinq ans. Je suis assez conséquent ces jours-ci, toutefois. Je n’ai vraiment que deux ou trois manies et je suppose que l’une d’elles est l’espionnage, mais d’une manière vraiment désorientée, comme de l’espionnage très comprimé.
PAN M 360 : J’ai cherché « labyrinthite » sur Google; j’ai appris que c’est lié à une infection de l’oreille interne et que ça provoque des périodes de vertige? Vous avez vécu ça?
Dan Bejar : Je ne suis pas encore vraiment sûr de ce que c’est. Pendant un certain temps, j’ai eu des acouphènes aigus, des bourdonnements dans les oreilles, puis une perte d’audition. Je n’écoutais pas de musique parce que c’était douloureux. Je ne pouvais absolument pas être exposé à des sons forts. Et c’était accompagné de saloperies de vertiges. Les acouphènes, ça découle d’une exposition à la musique rock très forte pendant 30 ans. Et le vertige, c’était juste une nouvelle bizarrerie. Ç’a disparu après environ une semaine. L’année dernière, j’ai eu un de ces moments où je me suis demandé ce qui se passait. Et je suis tombé sur ce terme, « labyrinthite ». J’ai ensuite perdu toute envie d’autodiagnostic et plus j’y réfléchissais, plus je voyais ce mot comme un enchevêtrement de lettres sans queue ni tête.
PAN M 360 : Honnêtement, je pensais aussi que ce n’était pas un vrai mot.
Dan Bejar : C’est vrai? Ce mot semble totalement bidon et s’il ne l’est pas, alors quelqu’un l’a inventé au cours des dix dernières années. On dirait qu’il sort tout droit d’une histoire écrite par un moderniste italien. J’ai juste continué à y penser. J’aime ses connotations; pas tellement les notions cliniques, mais les connotations de désorientation, de vertige et de nausée. Et j’aime les connotations des définitions que l’on peut s’inventer. Est-ce que ça peut signifier, par exemple, être accro aux labyrinthes? Peut-être que l’idée de se perdre dans un labyrinthe est une maladie.
PAN M 360 : Se perdre dans un labyrinthe…
Dan Bejar : Oui, ou y être pris au piège. Cela évoque aussi un sort ou une sorte de magie, comme de la magie noire, quelque chose de maléfique (rires). Peut-être même une créature qui se cache dans le labyrinthe et qui vous mène à votre perte…
PAN M 360 : Dans la chanson Tintoretto, It’s for You, vous chantez « Tu te souviens de la bête mythique? ». C’est de là qu’est venue cette idée?
Dan Bejar : J’ai créé cette chanson avant de trouver le mot. C’est juste un peu comme ça que mon esprit fonctionne, je gravite autour de certains mots. Je ne suis donc pas surpris que tout soit lié. C’est une chanson bizarre, mais quand je la scrute en périphérie, elle ressemble à une méditation assez sereine sur la Faucheuse qui vient frapper à votre porte, vous disant que c’est l’heure…