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David Bontemps est un pianiste et compositeur montréalais d’origine haïtienne dont le premier opéra, intitulé La Flambeau, sera créé le 7 février 2023, à Montréal. Sa musique, nourrie au classique européen aux musiques populaires et traditionnelles de son pays natal, constitue un laboratoire contemporain d’une certaine fusion rendue possible par les liens forts qui existent depuis des décennies entre le Québec et Haïti.
À l’occasion de cette création qui se veut historique, car il existe peu d’opéras haïtiens, j’ai rencontré le jeune artiste afin de discuter de l’œuvre et de tout le riche héritage culturel et symbolique qui en a été la source.
PAN M 360 : l’opéra s’intitule La (et non le) Flambeau. Pourquoi? Que raconte-t-il?
DAVID BONTEMPS : La Flambeau est à l’origine le patronyme d’une famille d’esprits que l’on retrouve dans la tradition vaudoue haïtienne. Il s’agit donc d’une référence à cette famille. De façon plus prosaïque, il s’agit aussi du titre d’une pièce de théâtre écrite et créée en 2013 par Faubert Bolivar. On y raconte l’histoire de quatre personnages, Monsieur, Madame, Mademoiselle et L’Homme.
Monsieur est un intellectuel imbus d’idéaux républicains, nourrissant des ambitions politiques, mais aussi quelques aspirations moins avouables. Sa femme, Madame, semble folle car elle parle constamment à sa mère défunte. On verra plus tard que les apparences sont peut-être trompeuses. Survient dans leur vie Mademoiselle, une servante dont Monsieur va s’enticher. Ce dernier utilisera un stratagème odieux afin de la violer. Une nuit, après la fuite de Mademoiselle, apparaîtra un spectre, L’Homme (imposante voix de basse dans l’opéra), représentant de La Flambeau et venu juger Monsieur au nom de la communauté. À la fin du procès, Monsieur sera condamné à devenir un zombie au service de la communauté et de Mademoiselle afin d’expier ses mauvaises actions.
PAN M 360 : Évidemment, tout cela est fortement teinté de symbolisme?
DAVID BONTEMPS : C’est ce qui fait la force de cette histoire. On assiste en vérité au procès d’une certaine élite moralisatrice mais hypocrite qui n’aboutit au final qu’à abuser du peuple. Le recours à des traditions ancestrales de justice héritées en Haïti de la culture ouest-africaine est un appel à la résilience d’une certaine sagesse ancestrale.
PAN M 360 : Comment as-tu envisagé et conçu la musique?
DAVID BONTEMPS : La pièce étant déjà assez dépouillée en termes de scénographie (quatre personnages, un seul décor, un accent mis sur la psychologie des personnages à travers d’intenses monologues), je me suis dit que la musique devait aller à l’essentiel avec un simple orchestre à cordes accompagné par un maracas. J’ai choisi d’illustrer chaque personnage par des motifs mélodico-rythmiques précis qui leur sont associés. Ils sont donc musicalement reconnaissables. J’assume une consonance accessible, oscillant entre des harmonies tonales et modales. Il y a bien quelques courts épisodes atonaux, dissonants, mais en général, j’ai souhaité offrir au public non habitué une ambiance amicale, bien qu’exigeante sur le plan émotionnel et discursif. Je pense que le ‘’fit’’ est bon avec l’histoire.
PAN M 360 : Les thèmes sont tous de toi?
DAVID BONTEMPS : Tous sauf un qui est un chant vaudou haïtien en créole, cité presque tel quel avec un arrangement de ma part bien sûr.
PAN M 360 : Pourquoi faire un opéra avec cette histoire?
DAVID BONTEMPS : Quand j’ai vu la pièce en 2014, je me suis immédiatement dit que ça devait être ça. La gravité, le sérieux et tout simplement le ton de l’œuvre scénique commandait un opéra. Aussi, en Haïti, lorsque l’on raconte ce genre d’histoire, cela peut durer très longtemps et c’est accompagné de chants et de musique. En vérité, il y en a tellement que des musicologues ont dit qu’il ne s’agissait pas de contes chantés, mais de chants racontés! On n’est pas loin de l’opéra…..
PAN M 360 : Tu me disais ailleurs être un compositeur beaucoup instrumental que vocal. Comment s’est passée l’écriture de La Flambeau?
DAVID BONTEMPS : Bien que j’y pensais depuis 2014, mes obligations professionnelles et familiales ne m’avaient pas permis de me consacrer à ce projet. C’est en 2020, au début de la pandémie, alors que je me suis retrouvé comme tant d’autres avec beaucoup de temps devant moi, je me suis dit que c’était le bon moment! Une fois plongé, ça m’a pris 5 semaines pour tout terminer! Ce fut rapide, mais intense. Pendant ces quelque 35 jours, j’ai essentiellement composé de la musique, sauf pour manger un peu, boire et me reposer.
PAN M 360 : Que penses-tu de la réalisation telle qu’elle se présente, ainsi que des solistes?
DAVID BONTEMPS : Je suis très content! La mise en scène de Mariah Inger sera très respectueuse de l’esprit de la pièce, très dépouillée. Les solistes sont excellents. J’ai découvert avec plaisir la soprano Suzanne Taffot qui, surprise, habite tout près de chez moi! Le chef Alain Trudel fait un superbe travail et grâce à lui tout sera bien en place pour un bel événement.
PAN M 360 : À l’approche de la première du 7 février, quel bilan faites-vous de l’expérience?
DAVID BONTEMPS : Je suis heureux que ce soit sur le point de vivre, et aussi que ce soit enregistré (par Atma Classique). Je suis conscient du privilège que j’ai car peu de compositeurs ont cette chance. J’en remercie tout le monde associé à ce projet. J’ai également eu la chance d’être bien soutenu par les subventionneurs publics, mais aussi par la communauté québéco-haïtienne. Celle-ci s’est bien investie afin de rendre tout cela possible. Un énorme merci.
Quelques opéras haïtiens :
Naissa et Gouverneurs de la Rosée (sur un texte de Jacques Roumain) de Werner Jaegerhuber (compositeur haïtien d’origine allemande)
Maryaj Lenglensou d’Ipharès Blain sur un livret de Rassoul Labuchin