Coup de cœur francophone | 50 ans avec Pierre Flynn

Entrevue réalisée par Michel Labrecque
Genres et styles : Chanson francophone / pop de création

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Celui qui se dit avant tout un musicien s’est aussi révélé comme un des paroliers les plus poétiques de la musique québécoise.

Pierre Flynn commémore ses cinquante ans de carrière en effectuant une tournée québécoise en solo jusqu’en 2024. Le 3 novembre, il sera de passage au Gésu, à Montréal, dans le cadre des Coups de Coeurs Francophones. 

Pierre Flynn est le chanteur et compositeur du groupe Octobre, de 1972 à 1982. Il a réalisé quatre albums sous son nom, a écrit des chanson pour aussi bien Louise Forestier, Pauline Julien ou Renée Martel, il a écrit des musiques de films. 

Pour ma part, j’ai suivi attentivement l’évolution de Pierre Flynn.

Cégépien, boutonneux et chevelu, j’ai assisté au concert d’Octobre, en première partie du groupe britannique King Crimson, au capitole de Québec, en 1973. Par la suite, j’ai revu Octobre à plusieurs reprises et j’ai assisté à tous les concerts de monsieur Flynn à la sortie de chaque album. 

Il a créé une œuvre vraiment distincte et originale. Avec des arrangements musicaux extrêmement soignés et léchés. En toute transparence, C’est un travail que j’admire, avec de minuscules bémols. 

Ce concert solo nous fait revivre tous ces épisodes de la carrière de Pierre Flynn, avec parfois des accompagnements surprenants. Le spectacle est aussi rempli d’anecdotes qui contextualisent les chansons, non sans humour. Nous n’en dirons pas davantage pour vous préserver des surprises. 

J’ai passé une heure avec Pierre Flynn pour faire le tour de cinquante ans de carrière. Voici notre échange.

PAN M 360 : Pierre Flynn, cinquante ans de carrière , ça donne une sorte de vertige?

Pierre Flynn : Ça m’a donné envie de me demander: « Qu’est-ce que j’ai fait? ». J’ai eu un parcours un peu chaotique . Je n’ai pas toujours été le meilleur navigateur dans les eaux tumultueuses du show business. Je suis un auteur compositeur qui travaille extrêmement lentement, mais au bout de tout cela, j’ai le sentiment d’être toujours là et d’avoir des choses à dire. Au cours de la dernière année, un ami dans le monde de la culture m’a dit: « Pourquoi ne pas faire un spectacle pour commémorer ces cinquante ans? » Et j’ai décidé de le faire.

PAN M 360: Partons du début de votre carrière avec le groupe Octobre, dont on entendra deux pièces dans le concert, qu’est-ce qui reste de l’empreinte de ce groupe qui a été très important dans les années 70?

Pierre Flynn: Certaines chansons d’Octobre mériteraient peut-être d’être effacées aujourd’hui, mais il y avait une prise de parole audacieuse, si on pense entre autres à La Maudite Machine. Je voulais toucher des enjeux sensibles. 

Je dirais aussi qu’il y avait un énorme appétit pour l’intensité, nous voulions exprimer une tension, un côté exacerbé. Il fallait que le son soit fort! Des gens qui trouvaient qu’on se prenait trop au sérieux. A cette époque, on voulait vraiment expérimenter. Nous écoutions Gentle Giant , King Crimson et Yes, mais moi je préférais Charles Mingus, James Brown et Léo Ferré. Le Sacre du Printemps  de Stravinsky, c’était du rock pour moi. Alors nous mélangions toutes ces influences disparates . 

PAN M 360: Sans vouloir trop divulguerla matière de  votre concert solo, il s’ouvre sur une chanson d’Octobre , qui est Le Vent se Lève, une pièce que je trouve particulièrement forte. 

Pierre Flynn : Il y a quelque chose de très mystérieux dans cette chanson . Je ne me considère pas forcément comme un poète, mais certaines chansons, comme celle-ci, ont une dimension plus poétique. Les paroles vont puiser dans l’inconscient. Il y a des images qui ne sont pas rationnelles. 

Par exemple: « Regarde les enfants aux yeux sertis d’étoiles et les hommes vieillis d’amertume . (…) Entends ce blues qui réchauffe l’hiver des passagers du vendredi soir . Ecoute l’Espagne en guitares amères ». Je ne comprends même pas comment j’ai réussi à écrire ça. 

PAN M 360:  Pour moi, vous êtes un des paroliers québécois le plus influencé par la poésie et par la France. Je me trompe?

 

Pierre Flynn: Je le dis toujours: au départ je suis musicien. Mais il fallait bien mettre des paroles sur la musique autre que des « lalala ». Étudiant au cégep en littérature, j’ai entendu Léo Ferré chanter Les Poètes de Sept Ans d’Arthur Rimbaud. J’ai été époustouflé par la puissance de ce texte avec la musique. Ça m’a probablement aiguillé vers ce genre de dimension. J’ai eu ma période Antonin Artaud, Rimbaldienne. Mais également Félix Leclerc. Au-delà des chansons les plus connues , il y a un Félix très poétique, presque mystique, qu’on peut écouter. 

Neuf fois sur dix, mes chansons commencent par la musique. Puis après, je creuse un peu comme un mineur pour arriver au texte. Et parfois, ça nécessite du temps. Pour la chanson Ma Prière sur l’album Mirador, ça m’a pris plus d’un an. 

Il est vrai également qu’une performance en solo fait ressortir davantage les textes. Ceux qui assisteront au spectacle s’en rendront compte en écoutant Possession, de l’album Le Parfum du Hasard.

Avec ce spectacle, je veux aussi transmettre la passion de l’écriture. Pour moi, c’est très important. 

PAN M 360 : Le Parfum du Hasard est le premier disque solo que vous avez fait paraitre en 1987. Un disque qui résonne encore ?

Pierre Flynn: Je n’ai jamais été vraiment un artiste populaire. Mais ce disque s’était assez bien vendu. Il y a eu plusieurs succès à la radio , comme Possession, Sur la Route, Catalina. C’était aussi les débuts de la musique numérique avec les multiples synthétiseurs. 

Avec le recul, la chanson L’Ennemi me semble la plus achevée. Au niveau musical, au-delà des synthèses, il y a un fond de blues organique . Au niveau du texte, elle a pris une « twist » dans sa pertinence.

« Il (l’ennemi) est là, le doigt sur la gâchette, il guette la planète (…) veut voler ton regard farouche, les yeux de ta bouche , tes souliers de liberté. Il veut voler ton envie de rire ». 

Dans le contexte actuel, les tensions géopolitiques, j’ai l’impression qu’elle vibre différemment. 

J’ai toujours fait attention d’aller au-delà de l’actualité politique immédiate, pour que les chansons ne se démodent pas. 

PAN M 360 : Quatre ans plus tard, paraît Les Jardins de Babylone, le deuxième album. Il y a beaucoup de chansons qui parlent de voyages. La route, les voyages, il me semble, c’est une des constantes de votre travail. 

Pierre Flynn: Il est aussi beaucoup question d’amour avec Savoir Aimer , qui traite de l’engagement dans une relation, ou En Cavale, une tentative de chanson plus simple, car parfois , pour moi, la complexité est plus facile que la simplicité. 

Mais oui, sur ce disque, il y a Les Splendeurs et Lettre de Venise, qui racontent mes expéditions en Irlande, en Grèce et en Italie. Je deviens comme un reporter, je suis fasciné, j’observe et je partage mes émotions. 

PAN M 360: Dix ans plus tard arrive Mirador, en 2001. Nous sommes dans un contexte social et politique totalement différent.

Pierre Flynn: La première chanson de Mirador, La Romance du XXe Siècle , raconte ce tournant. C’est le XXe siècle qui bascule et où s’en va-t-on après ? J’ai aussi essayé le « spoken word » . Je demande à ma fille : « Auras-tu la paix et la douceur de vivre? » Je poursuis la réflexion avec Ma Petite Guerrière, dédié à ma fille unique. C’est un album sur la force de la vie et ses étapes jusqu’à la mort. Il y a bien sûr la chanson Croire, qui est un hommage aux poètes Gilbert Langevin et Gaston Miron, que j’ai eu la chance de connaître un peu. Avec cet hommage, je voulais en même temps me détacher d’eux, muter dans le nouveau siècle. Je suis très fier de cette chanson, une de celles que je préfère dans mon modeste corpus.

PAN M 360: Et on arrive à 2015 avec Sur La Terre. 

Pierre Flynn: C’est l’album dont je suis le plus satisfait. C’est une espèce de chronique de ma vie, de mon ressenti, dans ces années-là. Vous savez, je n’ai aucun plan de match quand j’amorce la création d’un album. Les chansons arrivent un peu par hasard. L’unité ou le manque d’unité se ressent à la fin. Le dernier homme est une chanson sur la solitude. Si loin si proche est une continuation de Ma petite Guerrière, qui est maintenant une jeune adulte au moment d’écrire la chanson. 

PAN M 360: L’album- et votre concert solo aussi- se termine par Capitaine ô Capitaine, une chanson à multiples sens.

Pierre Flynn: C’est une chanson folk à trois quatre accords. C’est la métaphore du bateau qui navigue à la recherche de quelque chose. Mais c’est aussi une métaphore sur l’avenir de la planète . « Capitaine ô capitaine, nous avons perdu le nord . Capitaine ramène le navire à bon port ». Il y a quand même une ouverture vers l’espérance.


PAN M 360 : La question qui tue: y aura-t-il un autre album de Pierre Flynn?

Pierre Flynn: Oui. Mais je ne sais pas quand(grand éclat de rire). Les gens connaissent ma lenteur, ma réputation est faite. Je me bats tous les jours avec la tentation de la passivité. Mais j’offre une nouvelle chanson dans mon spectacle. Il y en aura d’autres. Je suis toujours vivant, j’ai encore une bonne voix, alors je vais essayer de ne pas trop niaiser avec la puck.

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