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Sans contredit, Ennio Morricone et Nino Rota sont les plus célèbres compositeurs italiens pour le cinéma moderne. Chacun a ses qualité propres et chacun fait déjà l’objet de moult relectures et interprétations.
Morricone est mondialement reconnu pour ses grands thèmes mélodiques inscrits dans une approche hybride, qui consiste à greffer une instrumentation pop-rock à celle de la musique symphonique (notamment ses bandes originales pour westerns-spaghettis de Sergio Leone), alors que Nino Rota, compositeur préféré de Frederico Fellini, a métissé les folklores méditerranéens (italiens, surtout) et le jazz moderne à une musique classique résolument moderne. L’Italie étant le thème dominant de cette édition 2022 du festival Classica, Morricone et Rota ont droit à leur programme respectif, soit jeudi et vendredi.
Cette excellente idée d’inclure Morricone et Rota dans une programmation classique a motivé PAN M 360 à interviewer ses principaux concepteurs, soit Marc Boucher, directeur artistique de Classica, et le violoniste Alexandre Da Costa, également à la barre de l’Orchestre symphonique de Longueuil.
PAN M 360 : Racontez-nous la genèse de cette idée de greffer Morricone et Rota à votre programmation.
MARC BOUCHER : Morricone est une machine à hits, on peut remonter à 1960. Et Nino Rota est aussi programmé au festival. Morricone, ce sont des mélodies mémorables dont ont se souvient. Certaines m’ont hanté. Je sais aussi que Nino Rota a composé des opéras, de la musique sérieuse dont de la musique extraordinaire pour piano. Jean-Philippe Sylvestre s’y attaque d’ailleurs dans le contexte de notre festival.
PAN M 360 : Voyez-vous dans l’intégration de musiques de films une digression?
MARC BOUCHER : La recette du festival Classica consiste aussi à toujours faire des pas de côté. Et ça c’en est un, annoncé, obligé, dans la mesure où la thématique était autour de la musique italienne – de Monteverdi à Morricone. L’an prochain, on travaillera autour de la musique française, de Fauré à Ferré. Donc on se promène dans ce festival avec Monteverdi, Puccini, Pergolese, Vivaldi et on arrive au 20e siècle avec la musique de Casela et puis moi je considère que la musique de Nino Rota et Ennio Morricone, c’est de la grande musique. Il était aussi un orchestrateur de premier plan et cette façon de composer. Prenons par exemple la musique de Cinéma Paradiso, c’est pour moi époustouflant d’écrire une musique si simple et si belle!
PAN M 360 : Il y a quand même des distinctions à faire sur les œuvres respectives de Morricone et Rota.
MARC BOUCHER : Oui absolument. Nino Rota est un peu plus sérieux, et Morricone a une approche plus pop mais il fait partie des grands compositeurs du 20e siècle. Moi j’ai un faible en partant pour la musique de Morricone, et il avait évidemment sa place dans la musique italienne. J’ai aussi voulu un concert de Nino Rota et on est allé voir du côté de la musique sérieuse de Nino Rota avec Jean-Philippe Sylvestre. Il a écrit beaucoup de musique pour piano seul, on a ajouté Eric Speed sur violon électrique. Ces deux concerts allaient donc de soi, ils feraient partie de la programmation. On est vraiment dans sa musique très virtuose et Jean-Philippe nous fera des petits clins d’œil avec la musique de film. Avec Eric Speed qui vient dans son concert pendant certaines œuvres. Quant à Morricone, j’ai donné carte blanche à Alexandre. J’ai simplement dit à Alexandre que ça nous prenait une voix. Moi j’avais déjà embauché Florence K qui a une voix magnifique, qui est une excellente musicienne et qu’Alexandre connaît bien. Lui-même est une étoile au Québec, et il sait aussi diriger tout en jouant, « play and conduct ». Authentique virtuose, Alexandre développe son métier de chef et exécute des musiques de Morricone qui lui conviennent dans un grand orchestre. Sans faire de jeu de mots, c’est dans ses cordes et je me laisse guider par lui après m’être entendu avec lui sur certains paramètres.
PAN M 360 : Alexandre, expliquez-nous d’abord votre lien avec Morricone et la musique de film en général.
ALEXANDRE DA COSTA : Les films d’Ennio Morricone sont pour moi des films fétiches avec lesquels j’ai grandi. Sans l’image, la musique de Morricone est tellement géniale et je crois sincèrement que la musique de film est la musique principale de l’ère moderne. On peut penser que la musique contemporaine, plus difficile à écouter, est la grande musique de notre temps. Pour moi, la grande musique classique des années 30, 40 et 50, la musique de Korngold, Morricone, Rózsa, c’est de la grande musique classique post-romantique qui s’inscrit totalement dans la mouvance qui suit Wagner. Je pense qu’on la sous-estime. Et donc, pour faire un grand concert d’œuvres de Morricone, on ne m’a pas tordu le bras afin que je dise oui. C’est pour moi une chance de faire un programme comme celui-ci.
PAN M 360 : Ces musiques de Morricone sont connues du grand public, ce qui n’en exclut pas aucunement la complexité et le raffinement. Comment s’y prend-on pour construire un programme autour de Morricone?
ALEXANDRE DA COSTA : Ce n’est pas simple de monter un tel programme. Ça exige un travail considérable et Marc Boucher m’a donné des consignes avec lesquelles travailler. À commencer par le« play and conduct » que je fais souvent. Il me faut alors adapter les partitions pour que ce soit organique. Dans d’autres pièces, je tiendrai le rôle de soliste ou encore certaines parties symphoniques où je tiendrai la baguette – dans un rôle de soutien et d’accompagnement de Florence K. Alors on couvre toutes ces manières de partager la musique. J’intègre toujours ces trois manières de jouer maintenant. C’est unique, il n’y a que nous qui faisons ça avec l’OSDL, cette unicité nous donne l’occasion de tourner à l’étranger, bientôt en Colombie et au Brésil. Autre exemple, le directeur d’une série viennoise très prestigieuse m’a invité pour un programme en 2024, avec pour consigne d’être soliste, puis chef et soliste, et puis chef baguette à la main… j’ai donc accepté cette commande qui reflète ce que je fais maintenant, c’est-à-dire faire alterner ces trois manières tout en restant fluide à travers ces changements.
PAN M 360 : Nous aurons ainsi droit à la totale ou presque, soit la plupart des grands thèmes de Morricone
ALEXANDRE DA COSTA : Bien sûr, nous allons couvrir tous ces grands thèmes si bien orchestrés. Bien sûr, nous serons avec Florence K qui est une artiste fantastique, que j’aime beaucoup, qui prêtera sa voix d’ange à quatre ou cinq pièces. Ce programme est fait sur mesure pour nous de l’OSDL (Orchestre symphonique de Longueuil), pour moi, pour le festival Classica, c’est donc un événement en soi. C’est sûr et certain que nous pourrons rejouer ce programme et le faire voyager par la suite, parce que le concept est très spécial.
PAN M 360 : Quelle sera la configuration de l’orchestre?
ALEXANDRE DA COSTA : Après deux ans de pandémie et d’un orchestre à géométrie variable, l’OSDL est réuni au complet (52 membres) pour cette exécution, toutes les sections d’instruments sont dûment représentées. Si on a moins de musiciens sur scène, on a moins de souplesse et de marge de manœuvre dans l’exécution. Pour Morricone, pour que ce soit grandiose, on a besoin de toutes les couleurs de l’orchestre. C’était écrit dans les étoiles que certaines des œuvres seraient jouées un jour par un violon solo. Le thème de Cinéma Paradiso est un bon exemple, mais dans plusieurs autres pièces le violon solo devient l’instrument par défaut, je pense notamment aux Incorruptibles ou Malèna…
PAN M 360 : Force est d’observer qu’aucune instrumentation pop-rock ne sera greffée dans ce contexte du festival Classica.
ALEXANDRE DA COSTA : J’ai fait le choix de faire un concert purement symphonique avec sa musique. J’aime bien intégrer la batterie ou la guitare électrique dans des orchestrations symphoniques, des compositeurs tel Han Zimmer le font et ça peut donner d’excellentes partitions. Mais dans le contexte où un orchestre symphonique joue dans une grande église, le contexte ne se prête pas à ce type d’instrumentation rock ajoutée.Ça viendrait enlever la qualité de l’écriture. Et puis je m’aventure peut-être en eaux troubles mais était-ce le choix des producteurs de l’époque que d’ajouter des instruments rock aux partitions de Morricone? Cette langue cachée des partitions de Morricone me dit que la dimension classique de son orchestration se suffit à elle-même. C’est donc un choix conscient et assumé.
PAN M 360 : Pour le public qui connaît, consciemment ou non, l’oeuvre de Morricone ce programme est une occasion d’approfondir. Jusqu’où?
ALEXANDRE DA COSTA : La musique de Morricone a une appellation d’origine. On peut en reconnaître la signature dans toutes ses pièces, on en reconnaît même le tempo d’une pièce à une autre. Il y a donc cette homogénéité à laquelle nous sommes préparés, ce qui nous permet de connaître l’œuvre de Morricone, un peu à la manière du courant néoclassique qui porte aussi cette homogénéité du tissu musical auquel ces nouveaux publics se sont habitués.
PAN M 360 : Pour un soliste classique, l’exploration du répertoire des musiques de films est beaucoup plus qu’une occasion de rayonner davantage professionnellement. En guise de conclusion, résumez-nous votre position à ce titre.
ALEXANDRE DA COSTA : Depuis 20 ans, j’avais pris le chemin du soliste classique et de la direction d’orchestre. J’ai joué 150 fois le Concerto pour violon de Tchaïkovsky, 200 fois celui de Beethoven, donc aujourd’hui j’ai plus de choix et de liberté pour le partager avec le public. Ce n’est pas pour rien que je veux étendre mon répertoire à celui de la musique de film, et j’ai l’outil en mains pour le faire. Ce serait donc fou de s’en passer.
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