Cadence Weapon dépasse ses bornes… et gagne le Prix Polaris 2021

Entrevue réalisée par Stephan Boissonneault
Genres et styles : hip-hop / trap

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Grand gagnant du Prix Polaris 2021, Roland Pemberton, alias Cadence Weapon dans l’univers hip-hop, crée des hymnes subversifs depuis 2005. Edmontonien de naissance, d’origine modeste, Roland a fait ses débuts de rappeur à treize ans. Il a entamé des études en journalisme, mais les a interrompues pour se consacrer à la musique. Il continue toutefois d’écrire pour des publications comme Hazlit.

Cadence s’est taillé une place de choix dans le rap. À l’aide de son flow fluide et incisif ainsi que de ses beats expérimentaux, il a influé sur une génération d’auditeurs. Parallel World, son album le plus récent, est en lice pour le prix Polaris. Il s’agit de son œuvre la plus politisée, il y aborde les questions de l’embourgeoisement, du racisme systémique, des inégalités et de la surveillance technologique.

PAN M 360 : J’aime tes albums parce que ton hip-hop est direct et accrocheur, mais aussi parce que tes textes sont profonds, je me dis « Merde, il y a tellement de substance thématique là-dedans ». Tu possèdes une culture littéraire, tu es un poète et un journaliste. On peut dire que tu fais du rap songé?

Roland Pemberton : (rires) Je suis content que tu aies relevé ça, car j’aime que me musique comporte différentes facettes. Je voulais qu’on aime mes pièces en surface, comme si je me produisais dans une boutique de vêtements rétro, par exemple, et que tu te disais « Ah, c’est cool ». Puis, si tu t’attardes aux paroles, je veux qu’il y ait plusieurs couches, que ce soit plus profond. Ça revêt beaucoup d’importance pour moi, je veux que ma musique ait beaucoup de profondeur. C’est ce qui donne à la musique sa longévité, selon moi. Je construis mes albums comme une œuvre littéraire, en fait. Je veux que les auditeurs y reviennent, dix ans plus tard, et que ça leur plaise encore.

PAN M 360 : L’embourgeoisement, la surveillance technologique et le racisme systémique ont été mentionnés auparavant, dans ta musique. Sur Parallel World, cependant, tu abordes ces thèmes plus carrément. C’est vraiment ton album le plus politisé. Est-ce que c’était prévu au départ?

Roland Pemberton : Avant de faire ce disque, je n’avais même pas prévu créer quoi que ce soit. Je n’avais pas de concept précis en tête. Pendant la pandémie, j’ai lu beaucoup de livres, j’ai fait des recherches et j’ai songé aux manifestations qui ont suivi la mort de George Floyd, l’été dernier. Notre société a connu un bouleversement qui m’a secoué, je me suis dit que j’avais toujours fait différents liens entre les institutions, que j’avais toujours voulu creuser davantage, me renseigner davantage sur tout ça. La pandémie a joué le rôle d’une bougie d’allumage. Je me suis rendu compte qu’il était urgent de créer un truc captant cet immédiat. J’ai toujours traité ces sujets de manière assez subversive. Des mentions ici et là, dans des textes. Cette fois-ci, je voulais créer un album concept sur ces questions.

PAN M 360 : L’affaire George Floyd a suscité des réactions internationales, à juste titre, mais tellement d’autres événements sont passés sous silence.

Roland Pemberton : Tout à fait. Ce qui m’a le plus frappé dans ma réaction à l’affaire George Floyd, c’est que pour la première fois de ma vie, un événement a incité les gens à d’adresser à moi. Mes amis blancs, par exemple, m’ont dit « Nous sommes tellement désolés ». J’ai constaté que ça ne se limitait pas aux discussions familiales, qu’on n’était pas dans le « Bon, encore une autre histoire ». Ça transcende les barrières de couleur de l’épiderme. J’ai toujours réfléchi aux micro-agressions et au racisme systémique que je vis au quotidien. Or, ça m’a vraiment étonné qu’on reconnaisse ces problèmes à la télé et à grande échelle. Je n’avais jamais vu ça. Ça m’a donné l’élan dont j’avais besoin, j’ai décidé d’y aller à fond.

PAN M 360 : Ç’a été un élément déclencheur, pour toi?

Roland Pemberton : Oui, car il y a eu toutes sortes de mouvements de révolte, au cours des dernières années, #metoo en est l’exemple parfait. Il y a tellement d’inégalités. Mais il se passe quelque chose. On assiste au démantèlement du racisme, du sexisme et des problèmes connexes, d’une manière plus nuancée qu’auparavant.

PAN M 360 : Il y avait des manifestations toutes les semaines à Montréal. Je tiens pour acquis qu’il y en avait aussi à Toronto? Y as-tu participé ou as-tu plutôt joué le rôle d’observateur?

Roland Pemberton : Je n’avais pas la force de regarder la vidéo, d’assister à répétition à l’exécution d’un Noir. J’ai trouvé ça difficile et, compte tenu de la pandémie, ces rassemblements suscitaient beaucoup de craintes chez moi. Je n’étais pas tellement sur place, aux manifs. Ce qui s’est produit, c’est que je me suis rendu compte que mon rôle pouvait être celui d’un artiste. Je donc mis l’accent sur le sociofinancement et le soutien d’initiatives populaires. J’ai écrit quelques billets à propos de Little Jamaica, ici à Toronto. L’un deux est devenu viral, celui qui s’intitule « The Tale of Two Torontos », où je compare la campagne GoFundMe du gars d’Adamson BBQ (NDLR : Restaurateur torontois qui refusait de fermer sa salle à manger) avec celle du soutien aux entreprises appartenant à des Noirs. J’ai partagé leur GoFundMe et ç’a généré des milliers de dollars de dons. Bizarrement, c’est devenu un moment décisif dans la création de l’album; je me suis « Wow, j’ai vraiment plus de pouvoir que je ne l’aurais cru! » (rires).

PAN M 360 : Tu as constaté que ta voix portait.

Roland Pemberton : En effet. Je ne me servais de Twitter que pour les blagues, je ne voyais vraiment pas ça comme un outil d’organisation communautaire.

PAN M 360 : J’ai vu le documentaire de Questlove, Summer of Soul, récemment. Il y est notamment question de tous ces artistes, comme Sly and the Family Stone et The 5th Dimension, dont la musique portait un message. Je me suis demandé ce qu’ils auraient pu faire avec Twitter, à l’époque.

Roland Pemberton : (rires) Absolument! C’est drôle, parce qu’ils avaient participé à cet incroyable festival, à Harlem, et que leur message a traversé le temps d’une autre manière. Je pense tout de même qu’il y avait quelque chose d’instantané là-dedans. C’est le beau côté de la pensée de groupe ou du sociofinancement, ça donne du pouvoir aux gens.

PAN M 360 : Et l’un des albums de Sly s’intitule There’s a Riot Goin’ On. La musique est assez mollo, mais le groupe prônait manifestement une idée politique.

Roland Pemberton : J’adore ce disque, je m’en suis inspiré pour Parallel World. C’est l’un des albums que j’ai étudiés d’un angle sociopolitique, parmi les grandes œuvres découlant de bouleversements. La musique est très accrocheuse, parfois suave, mais si on s’attarde aux textes on constate qu’ils traitent de thèmes très sombres. J’aime ce côté subversif.

PAN M 360 : On Me est l’une de mes pièces préférées sur Parallel World. Son propos est terrifiant, toutefois : la surveillance technologique est désormais normale. Après ma deuxième écoute, j’avais peur de me servir de mon téléphone.

Roland Pemberton: (rires) C’est vraiment rigolo, désolé! Je commence tout juste à me rendre compte de la nature insidieuse de cette surveillance. Dorénavant, on donne à nos amis accès au truc « Trouve mon iPhone » et ils peuvent savoir où et avec qui on est. Donc, je me dis que ça dépasse les bornes. Ça démontre que nos téléphones sont avant tout des appareils de repérage.

PAN M 360 : Tu as déjà déclaré que tes albums, dont celui-ci, sont créés comme des livres. De fait, tu es en train d’écrire un livre intitulé Bedroom Rapper. Où en es-tu dans ce projet?

Roland Pemberton : J’en achève la rédaction. C’est chronologique, comme des mémoires, mais ça comprend aussi des digressions et des essais sur d’autres sujets. Il y a un chapitre complet sur le DJ-ing. Puis un autre sur la façon dont la musique trap a conquis le monde. Enfin, j’énonce mon opinion là-dessus. Je parle aussi du Canada, de ce que j’appelle « le mythe du Canada », en fait. Je déconstruis les clichés et les stéréotypes qui s’y rapportent, je m’interroge sur leur origine et sur l’effet qu’ils ont eu sur ma vie et ma carrière. Beaucoup de trucs auxquels on peut s’attendre de ma part, et d’autres moins.

PAN M 360 : Ghost est également l’une de mes chansons préférées, sur Parallel World. Probablement parce que j’ai vu et entendu Backxwash en concert pour la première fois. Cette pièce est si sombre. Comment s’est passée votre collaboration?

Roland Pemberton: Ça l’a allumée. J’adore l’album qui lui a valu le prix Polaris. Ça m’emballe tellement d’entendre du rap inusité qui provient du Canada. Il suffit que ce soit un peu différent. Je suis ravi de son succès. Après avoir écouté son album, l’une de mes premières idées fut d’inviter Backxwash à faire une chanson. Ghost évoque la mémoire culturelle de l’Afrique, sur fond de trap qui défonce. Je porte la mémoire de mes ancêtres, elle me lie à ma terre originelle. J’essaie de m’inspirer de ça, je veux en être fier et songer à l’esprit de mes ancêtres.

PAN M 360 : Est-ce que tes prestations scéniques ont changé, au fil des ans? Lorsque je t’avais vu, il y avait un DJ et toi qui rappait. Roland Pemberton : PourPOP Montréal, j’ai des musiciens. La première moitié sera électronique, je m’occuperai des pistes. Ensuite, le groupe sera sur scène. Ça créera des ambiances différentes, c’est sûr.

Cadence Weapon sera à POP Montréal le vendredi 24 septembre à 20 h, à L’Entrepôt 77 avec Nora Toutain (15 h 30), MAGELLA (16 h 30), Waahli (17 h 40) et Leila Lanova (18 h 50).

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