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Puisqu’il est maintenant impossible de se détourner de soi même ou de se laisser prendre par le tourbillon de distractions qu’offre la société de consommation, l’isolement forcé par le confinement nous oblige à puiser de nouvelles idées dans les expériences du passé, qu’elles soient éprouvantes ou enrichissantes. Cette recherche cryptique peut être vécue comme une descente aux enfers dans les profondeurs d’une expérience de deuil intérieur. A la manière de Dante dans la Divine Comédie, Blanck Mass reconstruit ce chemin parcouru intérieurement sous la forme d’un carnet de route sonore personnel et nous fait visiter les différentes chambres d’échos de son esprit à l’aide d’enregistrements sonores capturés au gré de voyages et de tournées. Chaque morceau est composé d’émotions abstraites et de souvenirs cinématographiques qui se mêlent à différentes textures de drone parfois déchirantes ou à des lignes mélodiques plus légères composées au synthétiseur. PAN M 360 a rejoint l’artiste depuis son studio en Écosse pour tenter d’écrire la narration qui se cache entre les lignes des enregistrements.
PAN M 360 : Le sujet principal d’In Ferneaux tourne autour de la souffrance en action et de son utilité à travers un véritable travail intérieur. Quand avez-vous commencé ce processus ?
Blanck Mass : « C’était très intime. J’étais bien conscient de ne pas avoir envie de sortir un disque de confinement pour le plaisir de sortir un disque de confinement. Depuis une dizaine d’années, les tournées m’ont permis de faire beaucoup d’enregistrements en extérieur, même lorsque je ne fais que voyager. Je voulais utiliser ces enregistrements comme base à partir d’un espace concret, en dehors de celui dans lequel je me trouvais constamment pendant l’enregistrement de In Ferneaux, et en quelque sorte les utiliser pour raconter l’histoire de ce qui se passait à l’intérieur de moi, mon dialogue intérieur, tout en utilisant ces espaces concrets existants à l’extérieur qui me rappellent toutes sortes de souvenirs personnels. Je les réutilise pour en faire une sorte d’expérience cathartique. Le partager avec les autres est assez intimidant puisque c’est l’un des moments les plus bruts de ma vie, l’une des pires périodes de toute mon existence. »
PAN M 360 : Cet album est plus cinématographique, abstrait et minimaliste que vos réalisations précédentes. Il n’y a que deux titres, Phase I et Phase II. Quelle était votre vision pour cet album ?
Blanck Mass : « Il y avait une première version d’In Ferneaux avec seulement les enregistrements de terrain non manipulés. C’était comme une bibliothèque musicale que je pensais faire avec les fichiers bruts. C’était quelque chose que je pensais faire depuis longtemps car j’ai des centaines et des centaines de ces enregistrements extérieurs. Il y a eu un tournant pour moi personnellement mais aussi pour le monde entier, et le projet s’est transformé en quelque chose de différent. Bien que les enregistrements aient beaucoup de charge émotionnelle pour moi, j’ai senti que je voulais ajouter des sons de synthétiseurs plus contemporains et en faire un tout continu. Le poids émotionnel de ces enregistrements et des synthétiseurs m’a manifestement fait prendre un chemin similaire à celui que j’ai déjà parcouru en ce qui concerne la superposition et la compression du plus grand éventail d’émotions possible. C’était extrêmement cathartique. Avec un disque comme celui-ci, il est vraiment difficile de dire lorsque le travail est achevé. Il n’y a pas de début ni de fin à chaque chanson. J’ai trouvé cela difficile de savoir à quel moment le résultat était atteint. Mais ce qui doit être dit a été dit. »
PAN M 360 : Quand vous dites que la souffrance et la bénédiction ne font qu’un, cela signifie-t-il que l’album doit être apprécié de manière non linéaire ?
Blanck Mass : « Je n’aime pas vraiment donner un nom aux morceaux et imposer mon esthétique personnelle, je comprends que c’est un outil nécessaire. Je suis un grand fan des musiques de films. La narration est toujours une partie importante des projets que je fais, du cheminement qu’elle vous fait parcourir. J’encourage vivement à l’écouter de manière non linéaire. C’est un recueil de mes dialogues internes sans l’aide de la syntaxe. Si vous voulez faire un périple, il est là pour que vous puissiez le suivre. Je veux que vous puissiez le vivre à votre manière. »
PAN M 360 : Vous avez par ailleurs produit la musique du drame criminel irlandais Calm With Horses, réalisé par Nick Rowland et sorti en mars 2020.
Blanck Mass : « C’est quelque chose que je voulais faire depuis très longtemps et que je continuerai à faire. Je suis vraiment heureux lorsque je ne suis pas en tournée, je peux composer des musiques de films. Je me sens très chanceux d’être à ce stade. J’attends avec impatience le prochain. »
PAN M 360 : Vous avez écrit qu’In Ferneaux portait sur le traumatisme d’un processus de deuil personnel. Le résultat est un collage de sons qui est organisé comme une sélection de sons qui sont reliés les uns aux autres pour faire une histoire mais que vous pourriez également remanier et qui auraient toujours un sens.
Blanck Mass : « C’est vraiment intéressant. C’est comme une expérience open source. Je suis content que vous en ayez fait l’expérience. Il n’est pas nécessaire de suivre un ordre chronologique particulier, comme dans le cas du projet. Cela peut ressembler à des étapes de mon deuil, mais les gens peuvent le vivre dans un ordre différent. Partager votre expérience en ces temps difficiles est assez audacieux. C’était extrêmement cathartique et intimidant de partager cela, mais cela fait partie du processus de développement. »
PAN M 360 : Au cœur de l’album, vous présentez la rencontre que vous avez eu avec une personne que vous appelez une figure prophétique rencontrée dans les rues de San Francisco. Pourquoi était-ce si mémorable pour vous ?
Blanck Mass : « Je pense que cette personne m’a donné une toute nouvelle perspective sur mon expérience. Je traversais beaucoup de choses sur le plan personnel quand j’ai rencontré cette personne. Elle me racontait : « Vous ne savez pas comment gérer la souffrance sur le chemin de la délivrance ». En partant et en réfléchissant à cela, je comprends tout à fait ce que cela signifie. Je suis dans cette position et il n’y a rien que je puisse faire à part utiliser la douleur et essayer de créer quelque chose à partir de cela, ce qui serait la bénédiction. C’est ce qui m’a poussé à créer In Ferneaux après une longue recherche, à utiliser cet outil et ces collections d’enregistrements que j’ai créés au fil des ans, à traiter ma détresse, à la présenter et à lui apporter quelque chose de plus. Pour moi, c’est une bénédiction et c’est ce qu’In Ferneaux représente. J’ai beaucoup à donner à cette personne. Elle a façonné le processus pour moi. C’est le seul enregistrement qui n’a pas été manipulé. Il a peut-être plus de poids que les autres enregistrements qui sont fortement manipulés. C’est un moment particulièrement profond, comme un moment de rupture totale avec la réalité. »
PAN M 360 : Il y a aussi un côté très dansant et festif à votre projet que l’on retrouve sur votre album Animated Violence Mild ou les chansons que vous avez produites avec Kite par exemple. Les sons holographiques hyper pop et brillants me rappellent beaucoup la musique que l’on entend lors de soirées ouvertement queer. D’où vient cette influence ?
Blanck Mass : « Je n’ai pas honte d’embrasser ce côté-là, j’ai beaucoup d’amis qui sont queer comme vous le dites, c’est une grande partie de mes groupes sociaux. Avec Animated Violence Mild, il y avait aussi une sorte de déclaration d’intention politique. Je parlais beaucoup du capitalisme et j’utilisais ces lignes mélodiques très exagérées de façon ironique. Faire référence aux années 80 et à l’explosion du capitalisme et utiliser des synthétiseurs spécifiques à cette époque n’avait rien de nostalgique mais constituait plutôt une sorte de petit coup bas pour les fans. Moi aussi, j’essaie de ne pas prendre cela trop au sérieux, j’aime bien me troller un peu. Mais j’aime ce genre de musique, travailler avec Kite est quelque chose que j’adore, ils sont des amis très proches maintenant. Il y a une véritable esthétique et une mentalité queer friendly, dans laquelle j’ai tendance à graviter. Il y a un côté plus libre des choses vers lequel je ressens une affinité certaine. Même si je suis un gothique, je n’ai pas peur d’un peu de couleur, vous savez. »
PAN M 360 : Qu’est-ce qui vous y rend sensible à la communauté artistique queer ?
Blanck Mass : « Lors de ma dernière tournée, j’ai emmené des amis très proches qui sont des drag queens, Frans Gender et Purpledisgrace. C’est très facile pour les musiciens électroniques de se prendre un peu trop au sérieux et de choisir un autre musicien électronique qui sonne pareil. Cela ne m’intéresse pas vraiment, il se passe beaucoup plus de choses dans le monde que dans votre petit univers spécifique. Je paie pour aller moi-même à des spectacles de drag queen, vous savez. C’était très agréable d’avoir un drag show tous les soirs. »