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Les mélomanes ont découvert l’artiste montréalais Blair Thomson lorsqu’il a signé les arrangements du groupe Half Moon Run dans le contexte d’un programme symphonique avec l’OSM, soit en 2017. On observait alors la grande fraîcheur de son approche, distincte des autres types d’arrangements symphoniques destinés à la pop: plus contemporaine, plus audacieuse harmoniquement, mieux encline au groove essentiel aux formes populaires de l’heure.
Compositeur, arrangeur, orchestrateur et pianiste, Blair Thomson fait ainsi partie d’une nouvelle mouvance esthétique de la pop symphonique, on pense notamment au Britannique Jules Buckley qui a déjà signé des arrangements pour Patrick Watson il y a quelques années, ou encore à l’Américain Nico Muhly, un proche d’Arcade Fire, Grizzly Bear et autres formations de la génération indie.
Pour une première fois à Montréal, le travail de Blair Thomson consiste à marier l’Orchestre symphonique de Montréal aux incontournables du rap keb, soit Koriass, Sarahmée, FouKi, Alaclair Ensemble et Dead Obies. Rappelons que Blair Thomson a également signé les arrangements pour le programme du groupe marseillais I AM, malheureusement reporté à quelques reprises pour les raisons pandémiques que l’on sait.
Mardi soir à la Maison symphonique, force était de constater que son travail était on ne peut plus concluant. Les arrangements symphonique n’étaient pas un simple tapis harmonique tissé par les cordes; l’usage des cuivres, bois, percussions et claviers ont été effectivement au cœur du groove, contribuant ainsi au punch du rap et du chant soul/R&B.
Et c’est pourquoi PAN M 360 veut en savoir davantage sur le travail d’un arrangeur de cette envergure, cette fois au service du hip-hop.
PAN M 360 : Comment se passe la première approche avec les artistes, avant que le travail à faire se précise?
BLAIR THOMSON : Chaque fois, je rencontre d’abord, les artistes, j’essaie de savoir qui ils sont. J’écoute leur matériel, j’étudie leurs paroles et j’essaie de trouver la porte d’entrée. Avec le hip hop, la différence est de ne pas écrire d’une manière through-composed (intraduisible), c’est à dire avec une nouvelle musique fournie par la partition pour chaque strophe d’une chanson, sans reprise. La plupart de mes arrangements sont faits sans reprise alors que c’est différent avec le hip-hop. C’est un peu contre mon instinct d’arrangeur, car normalement je ne fais aucune répétition, à la manière d’une partition de musique classique. C’est ainsi que j’ai travaillé, par exemple, pour Half Moon Run. Dans une partition écrite dans la tradition classique, tu tournes à gauche, tu tournes à droite mais il n’y a pas de reprise d’une séquence déjà jouée.
PAN M 360 : Quelles sont les conséquences dans l’écriture des arrangements d’une manière hip-hop ?
BLAIR THOMSON : Normalement, la partition continue de défiler sans répétition, alors que dans le hip-hop, on doit procéder à des reprises de ce qui a été joué. C’est d’ailleurs ce concept de reprise qui propulse le hip-hop. Ça fait partie de l’esthétique de cette forme… et c’est contre tous mes instincts d’arrangeur! Mais il faut accepter cette esthétique lorsqu’on porte le chapeau d’arrangeur. Il faut se mettre dans les chaussures de la forme pour laquelle on travaille. Ce genre de contrainte est somme toute très intéressante pour moi. Dans le contexte de ce programme, je dois répéter en boucle des séquences de 2, 4 ou 8, comme la forme hip hop le suggère. Mais j’ai quand même assez d’espace pour trouver des sonorités intéressantes. Ce fut fascinant de travailler sur le rap keb, comme ce fut le cas des arrangements pour I Am, écrits il y a trois ans même si le concert n’a pas encore eu lieu à Montréal.
PAN M 360 : Y a-t-il d’autres particularités dans la façon d’arranger le hip-hop dans un contexte symphonique?
BLAIR THOMSON : Un autre élément unique dans le rap : plusieurs échantillons du beatmaking ne sont pas accordés à la justesse d’un orchestre, soit la note la à 442 hz. C’est très spécial. Parfois c’est plus haut que 442 et c’est souvent c’est plus bas… ça peut descendre jusqu’à 415 hz ! Alors je ne peux avoir de sons trop proches des échantillonnages dans certains contextes. Je dois plutôt écrire autrement et faire en sorte que l’orchestre ne se « frotte » pas aux échantillons. Les cordes peuvent s’adapter, mais pas le clavier ou la harpe, par exemple. Il peut aussi arriver que les cuivres doivent jouer faux intentionnellement, afin de respecter les fréquences des échantillonnages (rires)! Par exemple, pour l’album L’école du micro d’argent de I Am, les modifications de hauteur de fréquences ont été plus extrêmes car cet enregistrement remonte à 1997. Aujourd’hui, les décalages sont moins pronncés car la technologie a changé depuis.
PAN M 360 : Comment maximiser le groove hip-hop dans un contexte symphonique où les interprètes n’ont pas cette culture ou cette éducation musicale ?
BLAIR THOMSON : Les rythmes sont générés à la fois par l’orchestre et par les pistes rythmiques de chaque beatmaker. La plupart du temps, il y a un beat électronique derrière mais, de leur côté, les percussionnistes de l’OSM ne chôment pas je vous l’assure ! Comme dans les concerts classiques, tous les musiciens doivent suivre le chef qui a un click-track à l’oreille.
PAN M 360 : C’est une somme importante de travail, somme toute! Et aussi une exigence de collaboration avec la cheffe Dina Gilbert.
BLAIR THOMSON : Oui! Il y a 24 arrangements au total, les partitions existent désormais, on ne sait pas ce qui peut se produire par la suite. Dina Gilbert et moi-même voulions travailler ensemble depuis longtemps et voilà, ça arrive enfin. La complicité est superbe, je suis vraiment heureux de travailler enfin avec Dina. Comme moi, elle aime le hip-hop, elle est la cheffe idéale pour ce genre de concert. C’est toujours un plaisir d’écrire pour l’OSM, peu importe la complexité des musiques mises en cause. Je suis gâté!
CRÉDIT PHOTOS: ANTOINE SAITO