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Tragique, drôle, inquiétant, étrange et parfois même émouvant, l’ineffable performer Bernardino Femminielli ne laisse personne indifférent. Parti tenter sa chance à Paris en 2019, c’est pourtant à Vancouver que nous avons retrouvé le coloré personnage, en quatorzaine avec sa femme, muse et collaboratrice Thea et leur chien Poulet. De retour au pays pour une période indéterminée, l’artiste montréalais nous a longuement parlé des raisons de son déménagement à Paris, de ses inquiétudes et questionnements, et de son mini-album L’Exil, quatre chansons françaises expérimentales qui servent en quelque sorte de préconclusion à deux autres albums qui verront le jour dans les prochains mois.
PAN M 360 : Tu es revenu au Canada récemment, comment as-tu vécu la crise de la COVID à Paris ?
Bernardino Femminielli : On (sa femme et lui) était à Paris durant tout le confinement, sans jamais quitter la ville. J’ai trouvé ça vraiment intense mais on l’a bien vécu car on est restés productifs. On a pu justement terminer beaucoup de trucs pour l’album, monter des vidéos… Ça nous a permis de prendre un break de la drive parisienne, et du reste aussi. Car pendant un an, entre Montréal et Paris, l’adaptation fut assez tough. On est à Vancouver pour un certain temps mais je ne sais pas jusqu’à quand. L’idée est de retourner à Paris, mais c’est encore un peu flou, nos plans. On garde un pied ici et un autre là-bas.
PAN M 360 : Parle-nous un peu de L’Exil. Bien que ce soit un prologue à deux autres albums qui vont suivre, ce n’en est pas tout à fait un. Et est-ce un mini-album ou un EP, car malgré qu’il n’y ait que quatre chansons, il dure quand même 40 minutes !
BF : Disons que c’est un mini LP plutôt qu’un EP. Il s’agit d’une préconclusion à une trilogie et non d’un prologue car les deux autres albums, qui ne sont pas encore sortis, ont été enregistrés avant L’Exil. Je cherchais quoi faire avec ces deux albums et ce n’était pas simple avec cette transition entre Montréal et Paris. Je voulais trouver le bon angle, la bonne façon de présenter ces deux disques. Donc, L’Exil est devenu à la fois comme une porte d’entrée et une conclusion à tout ce cheminement. Tout ça provient de sessions inédites de Plaisirs américains auxquelles j’ai donné un autre ton et que j’ai rallongées. Je me suis donné plus le temps de raconter une histoire, de façon plus personnelle. Je pense que les quatre morceaux qui composent L’Exil correspondaient bien à ce que je cherchais comme émotion. Quelque chose de dense et de viscéral, mais aussi quelque chose de bonne qualité sonore, des morceaux dans lesquels l’auditeur n’aurait pas de mal à embarquer.
Malgré le côté expérimental ou abstrait de ces chansons, il y a quelque chose de séduisant et d’envoûtant. C’est beaucoup moins glam que Plaisirs américains. L’album possède un ton politique et très personnel. C’est pratiquement le journal intime de quelqu’un qui réapprend à vivre au quotidien et qui veut se déprogrammer d’avoir subi la malchance d’un système corrompu. L’album fait le point sur ma vie antérieure et le désespoir que je vivais pour atteindre le succès artistique. Je parle de succès mais je suis conscient que le succès n’est pas un truc palpable et immédiat. J’ai appris à observer le succès comme un combat pour devenir une meilleure personne, qui comprend ses capacités, ses forces et ses faiblesses. Je me suis battu pour obtenir à nouveau ma lucidité et j’espère que je vais la garder.
PAN M 360 : Cet exil de Montréal à Paris est donc à la base de cet album; un départ qui ne fut pas facile. Tu as eu des problèmes avec la justice américaine, ton aventure dans la restauration (Bethléem XXX/Femme Fontaine) s’est mal terminée et peut-être te sentais-tu aussi incompris comme artiste ici ?
BF : Cet album, c’est comme une synthèse de beaucoup de traumatismes. C’est l’histoire d’un entertainer qui commence à perdre la raison parce que son restaurant est en train de couler, il se fait crosser par tout le monde. Il est naïf, il manque d’expérience, mais il est rusé. Sauf qu’il est trop généreux et les gens profitent de lui. Son gagne-pain est de faire ses one-man shows, du spectacle, de la tournée, ce qui lui permet d’exorciser ses démons. Ce personnage, je lui ai donné le nom de Johnny. C’est un peu un clown, un personnage tragi-comique. Donc, ce Johnny, c’est une façon de me diviser en deux et de pouvoir exprimer ma vie sous un autre angle. Ça peut aussi être une projection fragmentée de moi-même et de mes problèmes. Donc, sa vie va à la dérive et à un moment il décide de fuir avec sa femme. Cet exil, c’est aussi un exil mental.
Mais l’important derrière tout ça, c’est d’apprendre à faire la paix avec soi-même, avec ses démons, avec ses frustrations envers le milieu de la musique et celui du monde capitaliste. Le Bethléem XXX était à la base un anti-restaurant. C’était un lieu d’expérimentation où on pouvait justement s’investir librement sur la forme et la pensée de la performance. Puis des gros problèmes financiers ont tué le Beth, mais pas l’esprit, alors que pour La Femme Fontaine, c’est petit à petit l’esprit qui a été empoisonné par la business et la prétention. Malgré les efforts que tu veux mettre là-dedans, d’avoir un resto ou une business à Montréal, c’est vivre dans une corruption organisée, dans le vol, la médiocrité, le sabotage et l’indifférence. Beaucoup de grand parleurs, petits faiseurs… Je croyais à une communauté, mais l’individualisme prend toujours le dessus. Il était temps que je prenne un break de tout ça. Comme j’ai toujours aimé Paris, que j’y ai toujours été bien accueilli, que les gens y semblent plus réceptifs à mon travail, c’est là que j’ai choisi de m’établir. C’est aussi plus pratique pour me déplacer un peu partout en Europe et présenter mes spectacles, faire des contacts, créer des opportunités. Ce que je souhaite, c’est de pouvoir vivre de mon art comme je l’entends, sans devoir faire de compromis, et à Montréal, c’était impossible. De toute façon, je ne sais pas ce que je ferais si je ne faisais pas ça !
PAN M 360 : Quelle est la frontière entre la dérision et la sincérité chez Bernardino Femminielli ?
BF : « L’idéal, c’est d’avoir un rapport poétique à la vie, au quotidien, et de ne pas avoir besoin de scène pour exercer cela. » Je trouve cette citation de l’acteur Denis Lavant très inspirante. Je joue avec des stéréotypes grotesques : le pathétique macho oppresseur et le danseur gigolo déchu, ricaneur et intoxiqué. Le public est invité à rire de ces personnages et à condamner en fin de compte ce qu’ils représentent. Je tente d’explorer le personnage de l’extérieur vers l’intérieur. J’aime apporter le style du double acte dans ma performance : le grotesque contraste avec le personnage sympathique où les deux font des déclarations politiques et sociales au public et l’un montre l’autre même si je suis seul sur scène. J’essaie de toutes mes forces d’être toujours le plus convaincant possible. Je pense que ce que les gens ressentent, c’est quelque chose d’honnête et de franc…