Ariane Roy : le médium est le plaisir

Entrevue réalisée par Luc Marchessault
Genres et styles : alt-pop / funk / indie pop / indie rock / pop / soul-pop

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Nombreuses sont les routes qui mènent au monde de la chanson. Ariane Roy a pavé la sienne de macadam haut de gamme : une enfance où elle apprend le violon et la guitare tout en prêtant sa voix à la chorale locale; des études en musique au cégep (chant) et à l’université (chant jazz et pop); des chansons initiales qu’elle ne tarde pas à écrire et composer; un microalbum intitulé Avalanche en 2020; des nominations, des bourses et des prix (Petite-Vallée, GAMIQ, Cabaret Festif! de la Relève, Granby, Francouvertes). En ce vendredi 11 février 2022, elle lance medium plaisir. Ce recueil de douze chansons pop au sens large et noble témoigne d’une maîtrise et d’un talent indéniables, chez cette jeune auteure-compositrice-interprète. Pan M 360 remonte, aidé d’Ariane, le fil de la conception de ce premier album.

Pan M 360 : Bonjour Ariane, j’ai pu faire deux ou trois bonnes écoutes de medium plaisir, qui paraît le vendredi 11 février. C’est un album très bien ficelé, qui combine la pop accrocheuse avec des textes plus relevés que la moyenne. Aucune de trace de franglais, ce qui va à l’encontre de la tendance forte, ces jours-ci; c’est tant mieux! C’est un choix conscient ou alors c’est tout naturel?

Ariane Roy : Ce n’est pas du tout conscient; j’y vais plus selon mon instinct, c’est ce qui me vient. Il y a sûrement des textes qui se prêtent plus au franglais. Donc, non je ne dirais pas que c’est un choix, c’est juste que ça ne me vient pas naturellement.

Pan M 360 : Tu as une solide formation musicale, acquise à la fois au cégep et à l’université, à laquelle s’ajoutent déjà quelques années d’expérience sur le terrain comme auteure-compositrice-interprète. Ça s’entend dans tes chansons : l’assurance de ton chant, la prosodie rodée au quart de tour, la profondeur harmonique…

Ariane Roy : C’est drôle, j’en parlais hier avec un ami. Je fais très attention à la sonorité. Le sens des mots est important, mais certains mots ne fonctionnent pas, dans ma bouche. C’est propre à chacun, je pense, il y a des gens qui peuvent chanter certains mots et ça passe bien. Moi, je dois « rouler » les mots dans ma bouche pour m’assurer que ça va fonctionner quand je vais les chanter et les mettre en musique. Une chanson, ce n’est pas un poème, il fait voir ça différemment. La sonorité des mots, c’est un choix musical. Les textes et la musique ne sont pas deux choses distinctes. D’habitude, j’écris mes textes avant de composer la musique. Cette fois-ci, j’ai essayé de faire ça moitié-moitié parce que ça m’amène à des lieux musicaux différents. Ça s’entend parfois, dans une chanson, quand les textes ont été écrits avant et que la musique est secondaire. Instinctivement, j’ai toujours envie d’écrire des paroles avant, puis je prends ma guitare et je pars d’un riff ou d’un paramètre comme un beat de batterie entendu dans une chanson. J’ai essayé de changer les paramètres d’inspiration, aussi. Quand je fais un album, mon idée n’est pas de prendre les meilleures chansons d’un gros melting-pot. Je partais vraiment de zéro, au début de la pandémie. Puis, je ne voulais pas toujours retomber dans les mêmes patterns, je voulais me surprendre!

Pan M 360 : Ta musique est « texturée », comme on aime le dire dans les cercles de recenseurs d’albums, c’est-à-dire une base pop-rock classique guitare-basse-batterie augmentée d’ornements synthétiques et d’accords folks, de flûte et de pedal steel, puis de chœurs raffinés.

Ariane Roy : Les chœurs sont vraiment importants dans ce projet; pour certaines pièces j’ai demandé à Odile Marmet-Rochefort et à Lou-Adriane Cassidy d’ajouter leur énergie. En concert, les chœurs sont là aussi.

Pan M 360 : Tes chansons synthétisent une bonne partie des éléments pertinents de la pop des 50 dernières années, mettons. Tu as le droit, par exemple, commence de manière synth-pop, passe en new wave avec les sons de synthé-sirène, puis se termine en mini-apothéose de guitares power-pop.

Ariane Roy : Pour cette chanson, on s’est cassé la tête en studio parce que je voulais qu’elle soit en forme de progression, d’ébullition lente qui suit le texte, parce que c’est une chanson de colère. Pas de format chanson pop couplet-refrain, donc. Dans la maquette d’origine, il n’y avait que des guitares électriques au début de la chanson, puis on a décidé de les remplacer par des synthés. Et à la fin ça explose, on voulait le solo de guitare le plus « crotté » de l’Histoire!

Et la fin de Je me réveille est très george-harrisonienne. Ta culture et tes intérêts musicaux semblent vastes!

Ariane Roy : Oui-oui, c’est une pièce plus Beatles, on ne se le cachera pas! Un peu Beach House aussi. Et aussi power ballad du début des années 2000, genre Coldplay, parce que j’écoutais beaucoup ça et que j’en voulais une sur l’album.

Pan M 360 : Tu alternes très habilement les genres. Apprendre encore est une sorte d’hymne pop-rock-soul-gospel, comme du France Gall ou du Véronique Sanson amplifié. Kundah, la pièce suivante, nous amène dans un jardin électro-funk aux sons de synthé ironiques.

Ariane Roy : Kundah, c’est une toune plus Prince ou Rita Mitsouko; c’est plus ludique et dansant, c’est une de mes chansons préférées de l’album. Je suis allée dans des trucs que j’aime écouter pour danser. On s’est permis plein de choses. Souvent on me demande « C’était quoi ta “direction” ou ton filon, pour l’album? ». Je réponds que mon filon, c’est ce sur quoi je voulais écrire ce jour-là, c’est mon inspiration du moment. Ensuite on crée ces chansons-là, puis on choisit les meilleures pour nous, on fait des arrangements, puis la cohérence et l’homogénéité se font parce que c’est moi qui chante! Parfois on me demande « Quel type d’album est-ce? », alors je réponds « C’est moi, ça représente mes influences et ce que j’ai vécu pendant deux années de ma vie ». Ça me suffit comme cohérence. J’aime écouter de la musique et me dire « Aah, ils sont allés là, mais ils sont aussi allés là! »; ça me plaît ce type de voyage. Le fil conducteur, c’est l’artiste, qui a fait ces choix-là à ce moment-là.

Pan M 360 : Je reviens à la chanson Kundah, sur laquelle flotte une certaine causticité, un léger désabusement, « Moi je suis le prophète de cette nuit – J’ai vu que les ascètes nous avaient menti ». Est-ce que tu t’inspires davantage de tes lectures que d’anecdotes, pour tes textes?

Ariane Roy : Cette chanson a été écrite après une nuit de grosse fièvre, j’avais été vraiment malade. Donc le lendemain je me sentais mieux, mais j’ai récupéré l’approche fiévreuse pour la chanson. Je me suis inspirée d’une soirée avec des amis où on avait dansé et on s’était vraiment amusés. C’est un hommage au plaisir, j’ai inventé une secte, la « secte de l’excès »! Normalement je n’écris pas comme ça, mais je voulais me le permettre. Cette chanson détonne du reste de l’album. Pour ce qui est de mes textes, bien que j’aie lu beaucoup de poésie durant la pandémie, ils partent généralement de moi, c’est un exercice pour affirmer ce que je suis en train de vivre. Puis c’est amplifié, magnifié, parce qu’au départ ce n’est pas forcément intéressant. Je pars d’émotions intimes, sauf exception comme dans Tu voulais parler, qui est une histoire totalement inventée.

Pan M 360 : On entend dans ton phrasé et tes musiques une certaine sororité avec Kloé Pelgag et Safia Nolin, tes chansons ne sont jamais loin d’une certaine mélancolie. Chez les anglos, aimes-tu des musiciennes ou musiciens comme Laura Marling, Big Thief ou Sharon Van Etten, par exemple?

Ariane Roy : Sharon Van Etten est l’une de mes inspirations. Sinon, je citerais Joni Mitchell, Mitski, Les Rita Mitsouko, le groupe Tennis, Sam Evian, Hannah Cohen… J’en avais noté plein d’autres mais j’ai oublié!

Pan M 360 : Merci énormément Ariane Roy pour cet entretien, j’espère qu’on te verra et t’entendra sur scène bientôt!

(Photo : Gaëlle Leroyer)

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