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Artiste du son et du multimédia invité au festival Akousma, le Montréalais d’adoption Mourad Bncr fait la part belle à la texture et au détail afin d’aménager des mondes virtuels traversés par une diversité de legs culturels mais aussi une science-fiction post-apocalyptique marquée par sa fascination pour l’obsolescence du genre humain et de ses technologies.
Responsable des résidences d’artistes multimédia à la Société des Arts Technogiques (SAT), de surcrît très impliqué dans les pratiques menées à la Satosphère de la SAT, Mourad Bncr s’impose en tant concepteur sonore spécialisé dans la création d’environnements immersifs, l’audio spatialisé et la réalité mixte.
Au départ beatmaker et producteur de beat-music et de hip-hop abstrait, notre interviewé travaille également à un niveau plus conceptuel et c’est ce dont il est ici question. Inutile d’ajouter que ce travail sera présenté ce mercredi dans le contexte du festival Akousma.
PAN M 360 : Mourad, depuis quand es-tu installé à Montréal? Où vivais-tu auparavant?
Mourad Bncr : Né de parents algériens, j’ai grandi à Pau dans les Pyrénées occidentales, j’ai vécu ensuite à Toulouse. Je suis arrivé à Montréal en 2016, d’abord comme artiste et étudiant, pour ensuite travailler à la SAT à partir de 2017.
PAN M 360 : Ton travail d’artiste était-il différent lorsque tu vivais en Europe?
Mourad Bncr : C’était en particulier la musique électronique beat-music et hip-hop abstrait, j’ai amorcé alors une pratique en programmation en musique électronique. J’ai peaufiné tout ça en arrivant à Montréal.
PAN M 360 : Tu étais donc issu de pratiques musicales qui avaient peu à voir avec l’électroacoustique.
Mourad Bncr : Oui et non. Plus jeune, je faisais déjà de la conception sonore, du sound design, de la musique instrumentale, mais aussi de la musique électronique, du DJing et d’autres choses. Une variété de choses.
PAN M 360 : À Montréal, donc, ta carrière a quand même pris une autre direction, car ton travail est plus lié à la l’exploration multimédia et électroacoustique.
Mourad Bncr : Oui, et j’ai travaillé en collectif depuis mon arrivée à Montréal, nous avons eu un label, nous avons organisé des événements. Le côté label du collectif est en pause en ce moment, mais c’est ça qui nous a aussi permis de garder un studio en partage avec d’autres artistes.
PAN M 360 : En Europe, as-tu bénéficié d’une éducation musicale ?
Mourad Bncr : Non, j’étais autodidacte. Au départ, d’ailleurs, je suis venu à Montréal pour parfaire mes connaissances académiques à l’Université de Montréal, soit dans un programme de musique numérique qui vient de l’électroacoustique mais qui englobe un corpus plus vaste.
PAN M 360 : En cours de route, tu as commencé à faire du multimédia, en témoigne ton implication à la SAT et tes propres productions.
Mourad Bncr : C’est le multimédia qui m’a un peu trouvé. J’ai eu la chance de travailler sur pas mal de collaborations multimédias qui m’ont fait pratiquer et pratiquer et approfondir énormément d’aspects techniques, trouver des solutions à des problèmes sur plusieurs installations. Ça a été pour moi une deuxième passe d’apprentissage.
PAN M 360 : Aujourd’hui, te définis-tu comme artiste de la musique électronique ou du multimédia?
Mourad Bncr : Je pense que les deux se nourrissent, mais je ne me définis pas moi- même comme artiste multimédia. C’est sûr que je suis bien intéressé par différentes formes d’expression multimédias mais au bout d’un moment, ça devient assez difficile de définir la limite entre ce qui vient de l’expression visuelle, ce qui vient du sonore. Une chose est sûre, je me retrouve toujours autour de la musique.
PAN M 360 : Que viens-tu présenter à Akousma, un festival plus enclin à l’acousmatique qu’au multimédia.
Mourad Bncr : Il n’y a pas de volet visuel dans ce travail présenté à Akousma , c’est vraiment une performance sonore.
PAN M 360 : Alors parlons de ce travail sonore qui prend néanmoins sa source dans le multimédia…
Mourad Bncr : J’ai fait un travail de recherche sur plusieurs films, en collaboration avec le réalisateur québécois Nicolas Lachapelle. Il dans une approche très intéressante du documentaire, c’est-à-dire qu’il travaille le matériel documentaire en en explorant tous les aspects narratifs et méta-narratifs. En particulier, il y a un corpus que je présente en m’inspirant de son travail. Le monde après nous est un titre que j’ai repris de son film avec son autorisation, What Remains after We’re Gone? De mon côté, j’avais fait tout un travail autour d’espaces habités par les humains et sur la présence qu’on pourrait ressentir de ce qui reste de ces lieux après notre passage sur Terre.
PAN M 360 : Un angle post-apocalyptique?
Mourad Bncr : C’est un peu ça, mais disons que c’est surtout issu de réflexions que j’ai beaucoup en ce moment aussi, c’est qu’il y a des lieux dont on a eu la chance d’enregistrer un petit peu les propriétés parce qu’ on les aime bien, parce que ça nous permet de faire des belles réserves. Maintenant, on compte beaucoup de lieux qui disparaissent et dont on n’a plus vraiment d’empreinte, d’où l’idée d’essayer de reproduire un lieu et d’y aménager un espace immersif. Pour ce, j’ai beaucoup travaillé sur la réverbération à convolution.
PAN M 360 : La réverbération à convolution consiste en une simulation numérique de la réverbération d’un espace physique ou virtuel. À quoi sert ce procédé dans ton travail?
Mourad Bncr : Des empreintes sonores permettent de générer des réverbérations dans ces espaces reconstitués et de lier ce processus à des dialogues et des intonations de voix et ainsi découvrir de nouvelles textures sonores. Ça va rester quand même assez ambient mais c’est un matériel qui est basé sur un travail d’espace.
PAN M 360 : Maintenant, tu parles d’un travail avec un réalisateur, alors quel est le lien entre ce travail et le concert sans images présenté à Akousma?
Mourad Bncr : Tout le travail fait avec Nicolas Lachapelle, ça reste souvent cantonné à la la musique de films, mais je suis quand même resté dans une recherche similaire. Plusieurs de mes pièces s’inspirent de cette méthode de travail mise au point pendant ma collaboration avec le cinéaste et que j’applique dans un contexte acousmatique, cette fois dissocié de l’image.
PAN M 360 : Peut-on parler plus précisément de cette méthode de travail?
Mourad Bncr : Je travaille beaucoup avec des textures sonores qui définissent les espaces. J’essaie de travailler sur l’empreinte sonore que ces espaces nous laissent et le fait qu’on peut rester avec l’empreinte sonore d’un endroit. C’est un peu la même chose que se retrouver dans un endroit qu’on écoute en silence et puis on finit par fse concentrer sur un son en particulier dans ce lieu- là. Ça, c’est le point de départ pour une exploration un peu plus introspective sur la façon dont on écoute ces espaces. Puis ça devient plus riche au fur et à mesure que se poursuit l’exploration timbrale ou texturale.
PAN M 360 : Les timbres, les textures, c’est fondamental dans ton approche sonore?
Mourad Bncr : Oui mais pas exclusif. En beat-music, j’ai beaucoup travaillé avec d’autres matériaux, de la musique modale ou tonale, des mélodies plus classiques. Ici, j’essaie de développer quelque chose qui provient du matériel sonore. Après, je peux aussi incorporer quelques instruments dans certaines parties, des flûtes berbères par exemple, dont j’essaie de traiter les éléments de souffle pour ensuite les incorporer dans la pièce. Au lieu de travailler avec un clavier ou avec un instrument pour composer des pièces, je travaille avec du matériel sonore.
PAN M 360 : Mais tu ne fais pas systématiquement ce travail dans toutes tes compositions.
Mourad Bncr : Il y a différentes façons de travailler la musique. Il y a celle qui provient vraiment du travail en studio où on a quand même beaucoup plus de contrôle sur la composition et c’est un travail de ce type qui est présenté à Akousma. Il y a la deuxième façon, plus instinctive, où je vais travailler en direct sur des rythmes, avec une approche instrumentale, qui va se rapprocher de la drum’n’bass ou de l’abstract hip-hop. Là, je m’écarte de cette approche sur ce projet.
PAN M 360 : Quand je visionne et j’écoute tes propres productions audiovisuelles, les musiques sont plus ambient, abstraites en général.
Mourad Bncr : C’est plus cinématographique, ça prend un peu plus son temps.
PAN M 360 : Et ça pourrait se rapprocher de l’œuvre acousmatique présentée à Akousma. Un travail inédit?
Mourad Bncr : Presque. Il y a des choses qui sont sorties ou qui sont restées très confidentielles. Autour de tout ça, un projet à partir de cette matière pourrait évoluer après ce concert, et être éventuellement rendu public.
[indistinct voices over PA] – In Between (2022) from Mourad Bncr on Vimeo.