renseignements supplémentaires
Invitée au tout premier programme du festival Akousma cette semaine, Annette Vande Gorne est une incontournable de la mouvance acousmatique en Belgique.
Pendant quatre décennies d’une pratique intense, elle fut professeure de composition acousmatique au Conservatoire royal de Liège (1986), puis de Bruxelles (1987) et de Mons (1993). Elle dirige aussi depuis 1999 un stage international d’été sur la spatialisation et, depuis 1987 sur la composition électroacoustique. En 1982, elle fondait l’association Musiques & Recherches et le studio Métamorphoses d’Orphée, aussi une plateforme de diffusion de l’art vivant; cycle de concerts, festival acousmatique, concours de composition et d’interprétation spatialisée.
Ce qui nous importe cette fois à Montréal, c’est son chapeau de compositrice en 2022, car elle n’a pas dit son dernier son! Dans le cas qui nous occupe, elle vient diffuser à l’Usine C la matière de son album Haïkus, sous étiquette Empreintes Digitales. L’enregistrement a été d’ailleurs primé en Europe, soit aux Octaves de la musique 2021 (soutenus par la Fédération Wallonie-Bruxelles), catégorie Album de l’année — Musique contemporaine.
Pour toutes ces raisons, PAN M 360 vous offre un extrait d’un long entretien avec cette artiste, théoricienne, pédagogue et fervente défenseure de la pratique acousmatique.
PAN M 360 : Vous êtes dans la communauté électroacoustique depuis un bon moment déjà. Depuis longtemps, vous tissez des liens avec Montréal.
ANNETTE VANDE GORNE : Je suis venue la première fois pour la naissance de Réseaux (1991). La première fois que j’ai rencontré Robert Normandeau (son fondateur), c’était même avant, soit lorsqu’il était venu y faire une pièce en studio en Belgique, soit en 1987.
PAN M 360 : Vous êtes une pionnière de l’acousmatique en Belgique, c’est-à-dire l’électroacoustique présentée sans support visuel. Simultanément, vous avez tenu les rôles de compositrice, diffuseure, commissaire d’œuvres ou pédagogue. Il faut savoir s’organiser!
ANNETTE VANDE GORNE : Dans ce milieu, il faut tout faire si on veut que ça marche. J’ai aussi fondé une section électroacoustique au Conservatoire de Mons, au départ à Bruxelles. Aujourd’hui 14 professeurs travaillent dans cette section spécialisée.
PAN M 360 : Avec toute cette expérience, vos fonctions d’organisatrice et leader conceptuelle sont-elles aussi intenses qu’elles ne le furent déjà?
ANNETTE VANDE GORNE : À part le fait que je passe moins d’heures d’enseignement, il n’y a pas trop de différence, sauf peut-être que je compose un peu plus qu’avant. Je circule plus aujourd’hui car je peux compter sur des équipes, dont 6 personnes impliquées dans l’organisation du Festival Musiques & Recherches qui se tiendra juste après Akousma. Je dois quand même coordonner les choses. Je tiens à la direction artistique parce que électroacoustique ne veut rien dire au fond, plein de monde associe au terme acousmatique des choses qui n’en sont pas.
PAN M 360 : Que voulez-vous dire?
ANNETTE VANDE GORNE : Acousmatique veut dire écouter sans voir. Une fois qu’on a dit ça, dès qu’on ajoute de l’image ça devient de l’audiovisuel ou de la vidéo musique.
PAN M 360 : Point barre. Parlons de votre programme à Akousma?
ANNETTE VANDE GORNE : Ce n’est pas très compliqué comme programme : c’est ma série complète des Haïkus. Au départ, j’aurais voulu présenter mon opéra acousmatique mais avec tous ces reports en raison de la COVID, l’album des Haïkus a obtenu un prix de musique contemporaine en Belgique. Ce qui est une sorte de victoire car voilà de l’acousmatique qui n’a rien à voir avec de la musique instrumentale et qui peut aussi mériter un prix en musique contemporaine. C’est pourquoi Louis Dufort (directeur artistique d’Akousma) a préféré présenter cette musique des Haïkus plutôt que mon opéra.
PAN M 360 : Cette œuvre se développe sur 17 tableaux qui commencent par Feu d’artifice (Debussy), alors essayons d’en commenter quelques-uns si vous le voulez bien.
PAN M 360 : Quel est l’objectif central dans le processus créatif de vos haïkus?
ANNETTE VANDE GORNE : L’idée principale consiste à remettre l’acousmatique dans le fil de l’histoire de la musique occidentale dite savante.
PAN M 360 : D’où part ce projet?
ANNETTE VANDE GORNE : J’avais fait une première œuvre en 2003 qui s’intitule Ce qu’a vu le vent d’Est, commande d’un pianiste et directeur d’un festival en Sardaigne. Lui-même étant pianiste, il avait commandé une série d’ œuvres à des compositeurs qui devaient être en relation avec un compositeur pianistique. À la suite de quoi j’avais choisi Debussy.J’ai ensuite reçu une commande du festival Ars Musica, dont la thématique était le Japon, d’où les haïkus qui s’ensuivent.
Je m’étais alors rendu compte qu’il y avait moyen d’écouter des œuvres de ce genre (classique) avec une oreille électroacoustique si je puis dire. C’est donc ce que j’ai fait alors qu’au départ j’étais un peu rétive, radicale. Je sais alors que l’électroacoustique était une rupture radicale et qu’il fallait l’accepter. Maintenant je crois qu’il y a moyen de refaire des ponts.
PAN M 360 : Vos haïkus acousmatiques en sont de bons exemples!
ANNETTE VANDE GORNE : Ces haïkus sont des ponts, puisque chacun est associé à une ou plusieurs œuvres du passé, de Vivaldi à Jean-Michel Jarre. Ce qui caractérise aussi l’ensemble de ces œuvres et qu’on n’entend pas sur le CD, ce sont les 16 pistes; la spatialisation est assez poussée, l’écriture de l’espace est différente à chaque haïku. Ça ne s’entend qu’en concert.
PAN M 360 : On compte 17 haïkus au programme. Comment cela se décline-t-il?
ANNETTE VANDE GORNE : Au Japon (où je ne suis jamais allée) les haïkus sont basés sur les saisons, dont la 5e est le jour de l’An. De plus, ces haïkus sont associés à des œuvres du répertoire classique; de manière générale, c’est toujours quelque chose dans le répertoire en rapport avec le sujet traité dans le haïku. Chacun de mes haïkus a donc un répertoire qui le supporte.
Alors ma série commence avec les feux d’artifice au Jour de l’An. Et, tant qu’à faire, j’ai joué le Feu d’artifice de Debussy au piano, peut-être la pièce qui m’a demandé le plus de temps de travail. J’ai repris texto l’œuvre de Debussy et puis j’en ai remplacé chacun des événements, cellules ou motifs par des sons de feux d’artifices.
PAN M 360 : Sauf la 5e, les saisons « normales » de cette série comportent 3 ou 4 œuvres. Prenons par exemple, les œuvres du Printemps.
ANNETTE VANDE GORNE : Sous Printemps, il y a trois haïkus.
* Pour Jeux d’oiseaux, je suis allé voir chez Messiaen, qui était aussi un ornithologue. Dedans il y a de la flûte shakuhachi avec un morceau qui parle des oiseaux et il y a aussi l’extrait d’un quatuor de Murray Schafer.
* Pour Jeux d’eau, j’ai pensé à (Jeux d’eau à ) Villa d’Este de Liszt, aussi une pièce de Ravel intitulée Embarque.
* La troisième, Jeux d’enfants, c’est typiquement du Debussy, La Ronde de printemps.
PAN M 360 : Exemples estivaux?
ANNETTE VANDE GORNE :
* Dans l’Été, Voyage immobile est entièrement basé sur Jean-Michel Jarre, soit son album Oxygène que l’on ne peut reconnaître vu le travail que j’y ai fait.
* Le Songe d’un après-midi d’été évoque le titre Songe d’une nuit d’été que Mendelssohn avait emprunté à Shakespeare. Vous ne l’entendez pas non plus mais toute la structure de l’oeuvre est basée sur L’après-midi de faune de Debussy.
Dans Hiver, Jeux monotones ou on a cette sensation de paysage d’hiver blanc, monochrome. Si on fait vraiment attention, on entend le dernier lied du Voyage d’hiver de Schubert.
PAN M 360 : Et ainsi de suite jusqu’à la 17e station!
ANNETTE VANDE GORNE : Dans le tout dernier haïku, Jour de fête, il y a plein de choses et notamment Sites auriculaires de Ravel, sinon une collection de cloches de temples japonais – parce que j’ai un ami qui était au Japon et qui m’a passé des prises de son. Il y a aussi le son des églises (occidentales)… c’est tout un mélange.
PAN M 360 : Un haïku étant un bref poème illustrant l’évanescence des choses et les sensations qu’elles suscitent, haïku et acousmatique ont des liens insoupçonnés!
ANNETTE VANDE GORNE : Haïku et acousmatique, c’est le même but : procurer des sensations imaginaires avec peu d’éléments. Comme le poème haïku, l’acousmatique a pour objet de récupérer l’attention de l’auditeur notamment avec des images sonores.
PAN M 360 : Haïkusmatique, en somme!