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Avec raison, on dit souvent qu’il y a eu un avant et un après Dubmatique sur la scène hip-hop québécoise. En 1997, le groupe montréalais composé de Disoul, OTMC et DJ Choice a dévoilé son premier projet, La force de comprendre, frayant ainsi son propre chemin vers le succès, celui que de nombreux artistes ont emprunté à leur tour. Difficile de se dire amateurs de rap keb sans connaître les couplets engagés des deux MCs sur un titre comme Soul pleureur.
Puis le temps passe et Dubmatique fêtait (déjà) il y quelques temps les 25 ans de son album culte. Pour l’occasion, les membres du groupe dévoilent ce vendredi une réédition en vinyle et en format numérique. PAN M 360 a discuté avec les deux voix de la formation, OTMC et Disoul, de cette sortie surprise, de leur vie après Dubmatique et bien évidemment de l’immense succès de leur premier opus.
PAN M 360 : Même après toutes ces années, La force de comprendre est encore écoutée et certains des titres du projet tournent encore. Comment votre album a-t-il réussi à traverser les époques et les générations?
OTMC : C’est grâce au public et nos fans qui ont réussi à faire traverser nos morceaux à travers le temps. Cela étant, je dirais que c’est peut-être grâce aux messages véhiculés dans cet album qu’on en entend encore parler à ce jour. Que le hip-hop au Québec soit solidement ancré depuis quelques années aide aussi, si des gens cherchent à en savoir plus sur les racines de ce mouvement, notre groupe y figure. Les personnes ont envie d’en savoir plus sur l’histoire du rap d’ici. Il y a aussi les radios qui aident beaucoup. Ce sont toutes ces petites choses qui rendent cela possible. Il y a plusieurs années, on pensait que le rap et le hip-hop étaient des modes, et finalement ce ne l’était pas. Il y a aussi les célébrations des 50 ans du rap hip-hop cette année qui permettent de nous garder dans la tête des gens.
PAN M 360 : Qu’est-ce que vos fans pourront obtenir avec la réédition de ce projet?
DISOUL : Ils pourront obtenir l’album tel qu’il était en 1997. La pochette a été retravaillée et le son a été amélioré. Nous n’avions jamais vraiment eu la chance d’offrir La force de comprendre en vinyle. À l’époque, notre compagnie en avait imprimé quelques exemplaires, mais c’était seulement pour remettre aux DJs, environ une centaine de copies. C’est pour permettre à ceux qui nous suivent depuis nos tout débuts de mettre la main sur cette pièce de collection.
OTMC : Il y eut certains anciens exemplaires qui ont été vendus à plus de 1000$ par le passé, alors c’est vraiment cool de pouvoir enfin le sortir.
PAN M 360 : Votre dernier album en tant que Dubmatique remonte à 2009 lors de la réunion de votre groupe le temps d’un projet. Que faites-vous depuis? Quelles ont été vos occupations?
DISOUL : Depuis maintenant un peu plus de 12 ans, je travaille dans un autre domaine, je travaille pour FedEx. Ça a été un changement de cap qui s’est fait naturellement, près de la naissance de ma fille qui a maintenant 11 ans. J’avais besoin de me ressourcer. Je demeure maintenant à Valleyfield depuis plusieurs années, moi qui suis un Montréalais de cœur. La musique est toujours présente dans ma vie, mais plutôt par passion aujourd’hui. Lorsqu’il y a des événements ou des concerts reliés à Dubmatique, c’est toujours un plaisir « de remettre les gants ».
OTMC : Pour ma part, j’ai toujours regardé le mouvement hip-hop grandir. À un certain moment, j’ai voulu mettre la main à la pâte. J’ai voulu tenter de produire des plus jeunes et j’aimais beaucoup le côté visuel aussi, alors j’ai appris à faire des vidéos. Puis le temps passe, on fonde une famille et on réalise qu’on ne peut pas donner tout son temps à la musique. Quand nous étions jeunes, nous avons donné tout notre temps, comme dit notre chanson Jamais cesser d’y croire, « nos cœurs, nos âmes ». Ce n’était pas un sacrifice, mais nous avons donné ce que nous devions donner au rap. Je suis content d’avoir eu le privilège de pouvoir vivre de ça en étant très jeune, puis après les priorités changent et aujourd’hui on voit le hip-hop grandir au Québec. Dans nos vies personnelles, nous essayons de trouver une autre vie après Dubmatique.
PAN M 360 : Quand vous repensez à La force de comprendre, quel est le premier mot qui vous vient à l’esprit?
DISOUL : Je dirais la volonté, parce que ça a été un chemin parsemé d’embûches, d’une part parce qu’il y avait très peu de précédents et d’autre part parce que c’était un pari un peu fou de se dire de se lancer là-dedans. L’insouciance de la jeunesse a fait que nous nous sommes lancé la tête baissée dans cette direction-là, mais on se rend compte en échangeant avec les gens que le jeu en a valu la chandelle. En toute humilité, je crois que le succès du projet est à la hauteur des sacrifices qu’on a faits. Ça n’a vraiment pas toujours été facile. OTMC, DJ Choice et moi-même avions un but commun, soit de prouver qu’on était capable de le faire, et dieu merci le temps nous a donné raison.
OTMC : On pourrait aussi parler de découverte. Pour nous, c’était une découverte de rentrer dans l’industrie du disque, c’était vraiment ça. Nous faisions de la musique sans vraiment comprendre l’industrie, et quand l’album est sorti, c’est là qu’on y est vraiment entré. Nous avons dû en apprendre rapidement les rouages. Nous connaissions les succès de certains groupes francophones comme Alliance Ethnik, MC Solaar & IAM et nous voulions atteindre ce niveau-là, mais ça nous a frappé au début quand nous avons commencé à voir des gens se déplacer pour venir nous voir. C’est fou de voir que ce qu’on écrivait et chantait rejoignait des gens. Dans ce temps-là, il n’y avait pas de réseaux sociaux et tout, les gens venaient à nos concerts pour vivre le moment présent et c’était fou. Les artistes aujourd’hui le vivent autrement, mais c’est quelque chose qu’on ne retrouvera plus. Nous sommes chanceux d’avoir pu vivre les années 90 du rap où c’était l’âge d’or de cette musique. Je dirais que découverte et âge d’or du rap me viennent à l’esprit.
PAN M 360 : Est-ce qu’une anecdote vous a particulièrement marqué de l’époque de La force de comprendre?
DISOUL : Il y en a plusieurs, c’est certain. Ce qui me vient en tête, c’est qu’on ne se rendait pas compte de notre popularité et on était encore dans notre bulle de « débutants ». Un jour, on se rendait à la salle de spectacle Le Spectrum pour un test de son, en billet avec l’édifice de MusiquePlus. On se tourne la tête et on voit une centaine de fans qui étaient venus pour assister à un spectacle des 98 Degrees. On se demandait qui les gens étaient venus voir, et le temps qu’on tourne la tête, une centaine de personnes a traversé la rue pour venir nous voir et nous a encerclés pour avoir des autographes. On s’est dit « Voyons, ils préfèrent venir nous voir que d’aller à MusiquePlus. Ayoye! » C’est à ce moment qu’on a compris que notre album faisait une percée.
OTMC : Ce sont toujours les premières fois dont on se rappelle le plus, comme notre première apparition à la télévision à l’émission Bouge de Là. Dans le temps, il y avait toujours des gens avec nous. Nous sommes arrivés à plusieurs pour notre prestation à l’émission. Ce n’était pas incroyable, mais pour nous c’était déjà super de pouvoir se retrouver à la télévision. Sinon, il y a aussi la première fois que nous avons fait salle comble au Spectrum, c’était la salle mythique pour démontrer que tu avances dans ta carrière. C’est des bons petits souvenirs.
PAN M 360 : Vous avez vu la scène hip-hop et rap naître et évoluer au Québec au cours des dernières années. Selon vous, comment se porte-t-elle en ce moment?
OTMC : Elle se porte très bien. Comme vous savez, il y a des artistes qui ont réussi à remplir le Centre Bell et d’autres qui affichent complet dans des salles sans même jouer à la radio. Le rap a réussi à rejoindre son public cible, et même plus loin avec des artistes comme FouKi qui élargissent le panel. Aujourd’hui, on se rend compte que c’est difficile de détrôner le rap et de ne pas retrouver un artiste hip-hop dans une programmation d’un festival. De nos jours, il n’y a plus de filtre, les maisons de disque ont moins à jouer et ça se rend directement au public. C’est certain que les gens de notre génération sont toujours attachés à un certain style de rap. À notre époque, cette musique avait et a toujours une mission, et nous tenions à accomplir cette mission. Maintenant, tu peux voir tout les style de rappeurs.
PAN M 360 : Dès le départ, vos textes étaient très engagés et l’ont toujours été. Estimez-vous que les rappeurs de la génération actuelle devraient l’être davantage?
OTMC : Je crois que les artistes d’aujourd’hui sont engagés à leur manière. Cela étant, le rap a passé à un autre niveau, c’est beaucoup du divertissement. Le rap a pris plusieurs formes, ce qui est bien. Au niveau de l’engagement, nous suivions un fil conducteur parce que même avant le rap, nous écoutions beaucoup de reggae et étions influencés par l’aspect dénonciateur de ce genre musical. Alors étions-nous réellement des artistes engagées? Je dirais plutôt que nous étions inspirés et observions beaucoup la période dans laquelle nous vivions. Nous essayions de relater le tout dans notre musique. Aujourd’hui, il y a des artistes qui le font, chacun tente de le faire à sa manière, mais on dirait que leur ambition principale est la réussite, et par n’importe quels moyens. Nous, ce n’était pas notre objectif de vouloir vendre des millions de disques et tout. De nos jours et c’est malheureux, le message est un peu dilué parce que les artistes doivent vendre et faire le buzz.
PAN M 360 : 25 ans plus tard, quel est le titre le plus important pour vous sur ce projet?
DISOUL : Le morceau qui nous colle sur cet album-là, c’est La force de comprendre qui est justement le titre de notre album. Au départ, l’album s’appelait Montréal / Paris / Dakar, mais nos producteurs ont dit que La force de comprendre nous représentait très bien.
OTMC : La force de comprendre, c’est un peu la chanson qui résume l’esprit de l’album. Sans cette chanson et son succès, peut-être que nous ne serions pas en train de nous parler de ce projet en ce moment, que le rappeur serait minoritaire au Québec et qu’il n’y aurait toujours pas de catégorie pour notre genre musical à l’ADISQ. Cela étant, Soul pleureur est naturellement importante, car c’est celle qui nous a fait connaître au grand public. Il y a aussi Un été à Montréal qui est l’hymne pour la ville. Certains morceaux comme Jamais cesser d’y croire prennent tout leur sens quand on les interprète aujourd’hui.